À l'instar des Houthis, le polisario aspire à la bataille des drones, qui demeure une chimère, puisque ni l'Iran ni l'Algérie n'auraient intérêt à l'en équiper. Détails. Ces derniers jours, l'Iran est de plus en plus cité dans la guerre en Ukraine. Pour cause, les drones «Shaheed-136» que Téhéran a livrés à la Russie, dont les troupes font usage sur le front, ce qui a donné libre cours à moult supputations. Surnommés par certains observateurs «armes secrètes» de Poutine, d'autres y voient un signe de faiblesse de la deuxième armée du monde qui n'a pas été en mesure de développer son propre arsenal de drones capables de rivaliser avec ses pairs. Il s'agit non seulement d'un drone de reconnaissance, mais d'un aéronef de combat, avec une longue endurance (il peut tenir jusqu'à 24 heures). Doté d'une charge utile maximale de 400 kg, il peut atteindre une portée d'environ 2.000 km pourvu qu'il soit utilisé avec des stations relais au sol ou aéroportées. La Russie les a utilisés à des fins offensives lors des bombardements qui ont ciblé les infrastructures énergétiques, selon le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, dont le gouvernement se plaint depuis longtemps des livraisons iraniennes. Ceci a poussé Kiev à réduire considérablement la présence diplomatique de l'Iran. L'Ukraine n'est pas le seul à se plaindre de l'interférence des mollahs dans les conflits armés, puisqu'ils ont l'habitude de fournir des armes aussi bien aux Etats engagés dans des guerres meurtrières qu'à des groupuscules terroristes ou séparatistes, autrement appelés «acteurs nonétatiques ». Hezbollah au Liban, Houtis au Yémen, milices pro- Assad en Syrie, l'Iran est présent partout où il y a des foyers de tension dans le monde arabe, y compris aux frontières du Maroc, qui met en garde, depuis des années, le régime iranien contre toute volonté d'aller plus loin dans le soutien aux séparatistes. Le Royaume, rappelons-le, avait accusé en 2018 Téhéran d'entraîner et d'équiper les milices du polisario via son bras armé le Hezbollah. Il y a quelques jours, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a accusé de nouveau l'Iran d'armer les groupes non-étatiques, tout en soulignant le danger que représente la possibilité que Téhéran livre des armes (dont des drones) sophistiquées aux milices séparatistes, à l'instar de ce qu'ils font pour les Houthis au Yémen. Tout le monde se rappelle les dégâts que ces derniers ont pu infliger à l'Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis dont ils ont pu cibler les installations civiles via des drones. L'Iran n'osera pas ! Les craintes de Bourita sont justifiées puisque les propos du soi-disant ministre de l'intérieur du front séparatiste, Omar Mansour, laissent penser que le front polisario envisage d'employer des drones dans des opérations contre le Maroc. Une annonce qui a fait couler beaucoup d'encre, sachant qu'ils sont nombreux à penser qu'il ne s'agit que d'une provocation à la veille de la réunion du Conseil de Sécurité. D'autres prennent cette menace au sérieux en évoquant l'Iran comme potentiel fournisseur du polisario par l'entremise de l'Algérie, d'autant que les drones comme «Shaheed» sont considérés bon marché. Une hypothèse qu'exclut cependant Emmanuel Dupuy, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). «Je ne crois pas à la thèse qui dit que l'Iran fournisse des drones au polisario. Dans une pareille hypothèse, l'Iran deviendrait un cobelligérant dans le conflit», précise-t-il, ajoutant que le polisario est dans son rôle lorsqu'il fait des menaces tonitruantes, puisqu'il veut faire croire qu'il y a une guerre au Sahara comparable à ce qui se passe au Sahel. Selon M. Dupuy, ni l'Iran ni l'Algérie n'ont intérêt à s'aventurer à équiper le polisario en drones. Des coups de bluff à répétition ! Jusqu'à présent, tous les indices laissent croire que le polisario est dans une logique de bluff pour agiter le débat au moment où le Conseil de Sécurité s'apprête à se réunir. Depuis 2020, le front séparatiste n'a eu de cesse de s'adonner à une propagande de guerre fictive, en publiant des centaines de communiqués sur des opérations qui n'existent que dans l'imaginaire de ceux qui les rédigent. Le rapport des Nations Unies sur la situation au Sahara a contredit la propagande polisarienne, en ne faisant état que d'une hostilité de basse intensité. Anass MACHLOUKH Trois questions à Emmanuel Dupuy «Je doute que le polisario ait les moyens de se doter de drones»
Emmanuel Dupuy, président de l'IPSE, a répondu à nos questions. - A votre avis, l'Iran peut-il être impliqué dans la livraison de drones au polisario ? - D'abord, je tiens à préciser que l'Iran ne va pas fournir des drones au polisario, car il les vend. Encore faudraitil que le front ait la capacité de les acheter. Pour ce qui est de la vente de drones Shaheed-136 à la Russie, elle s'inscrit dans le cadre d'une coopération militaire de longue date entre les deux pays, à travers des exercices militaires conjoints. Je prends l'exemple de l'exercice « Ceinture de sécurité maritime » (janvier 2022), et l'exercice (Vostok 2022), organisé en septembre dernier. Personnellement, je vois mal comment l'Iran pourrait fournir des drones au polisario parce que le contexte géopolitique actuel ne s'y prête pas, bien que la tension entre Rabat et Téhéran soit vive. - Trouvez-vous que le polisario est sérieux quand il menace de mener des attaques par drones ? - En proférant des menaces de façon aussi tonitruante, le polisario et son chef Brahim Ghali restent dans la continuité de la rhétorique qui cherche, depuis novembre 2020, à faire croire que ce qui se passe au Sahara est comparable à la situation au Sahel. Cela a toujours été sa stratégie depuis sa création. Théoriquement, en dépit de ces menaces, je ne vois pas, en tout cas sur la base de ce qu'on voit actuellement, les drones dont pourrait disposer le polisario. L'Algérie, pour sa part, n'aurait pas intérêt à lui en donner puisqu'en cas de leur usage, elle serait accusée d'exacerber la tension dans la région au moment où on appelle à la désescalade. Je doute même que l'Algérie ait la capacité logistique de fournir des drones dont elle dispose en nombre limité. - Le Maroc fait de plus en plus souvent appel à la technologie israélienne, pourquoi ce choix ? - À présent, les drones israéliens dont dispose le Maroc sont des drones à la fois de surveillance et de combat, pas des drones dits kamikazes. Il y a une grande différence. En février dernier, le Maroc a acheté trois drones Heron, ensuite le Royaume a acquis, en plus des Harfang et des Hermes 900, les drones américano-israéliens « Reaper MQ9 ». Il s'agit là de drones de surveillance réutilisables qui peuvent être armés et sont capables de porter et larguer une bombe de 40 à 250 kg. Ce qui est différent d'un drone kamizake, qui peut s'exploser à usage unique contre une cible. Du reste, le Maroc n'en dispose pas à ma connaissance. L'usage de tels aéronefs n'est pas dans la doctrine d'emploi militaire marocaine. Recueillis par A. M.