Au vu des conditions climatiques extrêmes qui ont impacté négativement la biodiversité et les écosystèmes du Royaume, faut-il reporter, voire annuler, la saison de la chasse 2022-2023 ? Dans quelques jours, des milliers de chasseurs marocains investiront les territoires autorisés à la chasse. S'alignant sur le Conseil Supérieur de la Chasse, le ministère de l'Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts avait annoncé que l'ouverture générale de la chasse est fixée pour ce 2 octobre pour les principales espèces de gibier, à l'exception de la tourterelle dont la chasse sera ouverte le 15 juillet 2023. «Le Conseil a adopté les mesures d'ordre réglementaire pour la saison de chasse 2022/2023, y compris les dates d'ouverture et de fermeture de la saison pour les différents types de gibier, ainsi que le nombre autorisé par jour de chasse, et qui se basent principalement sur le respect de la biologie du gibier et de ses périodes de reproduction et de migration», avait souligné la même source. Avant cette annonce, plusieurs observateurs s'attendaient à ce qu'il y ait plusieurs modifications des conditions de la chasse afin de ménager un gibier et des habitats déjà éprouvés par les conditions climatiques difficiles qui ont sévi dans notre pays. Or, il n'en est rien. Aucune modification « Les prélèvements autorisés par espèce et par jour ainsi que les montants des redevances relatives aux battues et les prix des licences demeurent sans changement par rapport à ceux de la saison précédente », assure ainsi le ministère dans son communiqué. Selon l'arrêté portant ouverture, clôture et réglementation spéciale de la chasse pendant la saison 2022-2023, « le nombre maximal de pièces de gibier qu'un chasseur peut abattre au cours d'une même journée de chasse est fixé à : quatre (4) perdrix, un (1) lièvre, cinq (5) lapins, cinq (5) bécasses, cinquante (50) grives, dix (10) canards, deux (2) oies, vingt (20) bécassines de quelques espèces que ce soit, dix (10) pigeons bisets, colombins et palombes, vingt (20) cailles, cinquante (50) tourterelles, cinquante (50) calandres et calandrelles et vingt (20) unités parmi les autres espèces de gibier d'eau autorisées ». Pour certains naturalistes, ces quotas sont excessifs au vu des conditions environnementales actuelles. Raccourcir à défaut d'annuler ? « Au vu du nombre de chasseurs que compte notre pays et du nombre de jours autorisés à la chasse, les quotas qui ont été fixés sont, à mon avis, beaucoup trop élevés. Il ne faut pas oublier que ces dernières années ont été marquées par une sécheresse très rude et par des incendies de forêt qui ont ravagé des milliers d'hectares de forêts », s'exclame Mehdi Moumen, ancien chasseur qui se revendique « passionné de la Nature ». « D'autres pays - qui sont dans le même cas de figure que le Maroc - ont même réfléchi à mettre en place des moratoires sur la chasse. A minima, la chasse a été suspendue provisoirement dans certains territoires, car les pratiquants peuvent par endroits favoriser des départs involontaires de feu de forêt », poursuit la même source. Pour Brahim Haddane, expert en biodiversité et président du comité marocain de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature, « l'impact négatif des conditions climatiques extrêmes sur le couvert végétal et la reproduction du gibier est un fait avéré. C'est un fait qui a d'ailleurs été confirmé par des observations sur le terrain ». Lutte contre le braconnage Selon l'expert, « il aurait été raisonnable de prendre des mesures afin de diminuer la pression sur le gibier, surtout sur des espèces très vulnérables, comme la tourterelle des bois, qui sont interdites à la chasse dans d'autres pays ». À défaut de pouvoir raccourcir la saison avec une ouverture plus tardive que d'habitude, une revue à la baisse des quotas alloués par chasseur et par jour aurait également pu être un levier pertinent à actionner. « Pour l'instant, en attendant de voir comment vont évoluer les conditions climatiques qui causent une dégradation des habitats, il serait judicieux de renforcer les dispositifs de contrôle afin d'éviter les abus et les délits de chasse », recommande Brahim Haddane. Avec un effectif estimé à près de 80.000 chasseurs, les conditions écologiques actuelles justifient plus que jamais de mettre en oeuvre des formations pour les chasseurs afin de mieux encadrer la pratique. À noter que la Fédération Royale de la Chasse est actuellement en cours de renouveler ses instances, ce qui lui permettra de jouer pleinement son rôle dans ce domaine. Omar ASSIF Repères Moratoire sur la chasse En raison de la sécheresse et des incendies de forêt en France, le Centre Athénas de sauvegarde de la faune sauvage a lancé une pétition qui a, depuis quelques semaines, rassemblé plusieurs dizaines de milliers de signataires. La pétition appelle à mettre en place un moratoire immédiat sur la chasse afin de limiter la pression sur le gibier déjà malmené par les conditions climatiques. L'appel a par ailleurs été appuyé par Julien Bayou, député et secrétaire national du parti Europe Ecologie Les Verts.
Fédération en stand-by Alors que ses activités étaient quasiment bloquées depuis plusieurs années à cause de plusieurs affaires en attente d'arbitrage par la Justice, la Fédération Marocaine Royale de la Chasse est actuellement en cours de renouveler ses instances afin d'entamer un nouveau chapitre où elle pourra enfin jouer pleinement son rôle. Les élections de son Bureau étaient prévues pour le samedi 24 septembre. Cela dit, plusieurs sources ont affirmé que les élections ont finalement été reportées à une date non communiquée. L'info...Graphie Espèces nuisibles Est-il encore approprié de qualifier des espèces sauvages de « nuisibles » ?
Comme chaque année, l'arrêté portant ouverture, clôture et réglementation spéciale de la chasse énumère plusieurs espèces classées dans la catégorie des « nuisibles ». Pour cette année, le renard roux, l'étourneau sansonnet, le moineau espagnol et la pie bavarde se retrouvent dans cette catégorie et leur chasse se retrouve facilitée, voire encouragée. Cette classification, qui se fait d'ailleurs dans plusieurs autres pays, est souvent critiquée par un certain nombre de naturalistes et de scientifiques qui estiment qu'aucune espèce sauvage ne peut être qualifiée de « nuisible » en dépit des dommages qu'elle peut causer aux cultures ou au bon déroulement de certaines activités humaines. À noter que le sanglier, qui prolifère pourtant au niveau des espaces naturels et parfois périurbains du Royaume, n'est pas classé dans la catégorie des espèces « nuisibles » bien qu'il fasse l'objet d'un système de maîtrise de ses populations, basé sur la programmation préventive des opérations de régulation.
Secteur cynégétique Une pratique sportive qui génère 1.2 milliard de dirhams par an
Selon le site officiel de l'Agence Nationale des Eaux et Forêts (ANEF), « le secteur cynégétique (relatif à la chasse, NDLR) revêt actuellement une place de choix sur les plans socio-économique, culturel et récréatif, mais également en raison de son intégration aux plans de développement qui visent à améliorer les revenus des populations et la création d'emplois ». L'ANEF considère ainsi que « la chasse est non seulement une pratique de gestion rationnelle des populations de gibier, mais également un outil de développement local dans la mesure où plusieurs secteurs parallèles tirent profit de cette activité, notamment les équipements de chasse, les armuriers, le transport, l'hôtellerie, la restauration et les unités de production de gibiers d'élevage, etc. ». À noter qu'au Maroc, la chasse permet de générer un chiffre d'affaires annuel qui dépasse 1.2 milliard de dirhams. Le droit de chasse appartient par ailleurs exclusivement à l'Etat qui peut toutefois en déléguer l'exercice sous certaines conditions. Le type de chasse qui est le plus répandu au niveau national est celui pratiqué dans les territoires ouverts à tous les chasseurs (chasse dite banale). « Cependant, dans un souci de valorisation et de repeuplement des écosystèmes faunistiques, l'ANEF appuie et encourage le recours à la chasse organisée par la politique d'amodiations du droit de chasse à des associations ou des sociétés de chasse sur la base d'un cahier de charges qui définit les actions et mesures à mettre en place pour l'amélioration cynégétique des terrains amodiés », explique l'ANEF.
3 questions à Mohamed Larbi Jebari « Un processus de concertation plus inclusif permettra d'améliorer la durabilité et les conditions de la chasse »
Président de l'Association Marocaine de Chasse et de Protection de l'Environnement (AMCPE), Mohammed Larbi Jebari répond à nos questions. - Faut-il modifier les conditions de la saison actuelle de la chasse au vu du contexte lié à la sécheresse et aux dégâts des feux de forêt ? - Je pense que pour la saison actuelle, il est déjà trop tard de modifier quoi que ce soit puisque l'arrêté annuel de la chasse qui définit les jours et les quotas par espèce a été décidé et officiellement publié. S'il fallait intégrer des changements que ce soit dans les pratiques de la chasse ou dans la durée allouée à cette saison, ça aurait théoriquement dû se faire avant la tenue du Conseil supérieur de la chasse. Il est en revanche pertinent d'amorcer une véritable réflexion à ce sujet, surtout si les conditions environnementales et conjoncturelles difficiles qui ont été enregistrées ces dernières années perdurent. - Plusieurs observateurs parlent d'une raréfaction importante du gibier à cause de la sécheresse et des feux importants qui ont ravagé les forêts cet été. Vous confirmez ? - Il y a certes plusieurs zones dont l'état s'est dégradé et qui devraient à mon sens faire l'objet d'une protection spéciale pour donner une chance à la biodiversité locale de récupérer. Cela dit, il existe aussi plusieurs autres zones, surtout des amodiations de chasse qui ont été très bien gérées, où le gibier est encore suffisamment abondant.
- Quelle est, selon vous, l'urgence à laquelle il faut faire face pour que la chasse au Maroc puisse s'inscrire dans une perspective « durable » ? - La problématique qui justifie réellement de tirer la sonnette d'alarme, c'est le gâchis qui est causé par le braconnage. C'est un fléau qui fait des ravages dans les zones de chasse et appelle à un renforcement de la surveillance et du contrôle de la part des Eaux et Forêts, mais également du ministère de l'Intérieur, sans oublier l'examen du permis de chasse. L'autre aspect tout aussi inquiétant, ce sont les quotas parfois exagérés pour des espèces qui sont pourtant actuellement très vulnérables. Pour mieux tenir compte de ces aspects, nous espérons que les autorités concernées s'ouvriront plus à l'avis de toutes les parties prenantes avant le lancement de la saison de la chasse. Un processus de concertation plus inclusif permettra d'améliorer la durabilité et les conditions de la chasse.