A l'instar du secteur automobile qui tire pleinement profit de la crise ukrainienne, l'univers maritime marocain peut lui aussi considérablement faire une bonne affaire avec le chamboulement actuel dans le secteur des hydrocarbures et de la demande mondiale en phosphates A l'instar de la guerre en Ukraine qui s'est révélée être une véritable opportunité pour l'industrie automobile nationale, la crise actuelle sur les hydrocarbures peut elle aussi se transformer en une très bonne affaire pour le Maroc. Et comment ? Avec la crise en Europe de l'Est, deux faits majeurs sont constatés dans le transport maritime et sont en train de redistribuer les cartes : le premier porte sur le basculement partiel vers la variante maritime du transport de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) en lieu et place des gazoducs, comme le Nordstream par exemple. Le second consiste en une pression accrue sur l'alternative phosphatée par rapport aux engrais azotés dérivés du méthane. Ce qui entraîne obligatoirement un accroissement de la demande en phosphatiers, soufriers et autres chimiquiers. Par voie de conséquence : « il faut doubler la capacité de ces navires vraquiers pour répondre à la demande mondiale », préconise l'expert maritime, le professeur Najib Cherfaoui. Par vraquier, on entend tout navire qui transporte des marchandises solides (céréales et minerais) ou liquides (pétrole, gaz et produits chimiques). Dans le monde, il y a actuellement 26.000 bateaux de ce genre, à parts égales solides/liquides. Maîtriser la logistique Autrement dit, le Maroc dispose d'une des ressources les plus demandées actuellement dans l'agriculture mondiale : le phosphate. Aussi, sa position géographique stratégique place le Royaume au coeur des routes maritimes. Par rapport au Gaz naturel liquéfié, grâce au gazoduc présent sur son territoire, le Royaume maritime est devenu une option mondiale pour le soutage, la réception et la redistribution de cette ressource énergétique. Donc, pour bien tirer profit de cette situation, il serait opportun de miser sur ces navires de transport, pour non seulement pour répondre à la demande mondiale sur son phosphate et en maîtriser la logistique, mais aussi bien tirer profit du basculement vers le GNL. Une manoeuvre qui exige une vision à la fois court et long-termiste. « Cela signifie qu'il faut doter le Maroc d'une flotte stratégique englobant la sécurité des approvisionnements énergétiques et alimentaires, les communications, la délégation de service public et les fonctions portuaires (lamanage, remorquage, pilotage, soutage) », poursuit le professeur Najib Cherfaoui. Et bonne nouvelle, selon notre interlocuteur, « eu égard à ce défi, l'Agence Nationale des Ports (ANP) dispose d'un potentiel humain très puissant pour réaliser une contribution technique tout à fait substantielle ». Le maritime après l'automobile Il faudrait donc impulser une vision stratégique et se donner les moyens de ses ambitions. Car le jeu en vaut la chandelle. L'industrie automobile nationale, qui tire pleinement profit de la situation actuelle, ne dira pas le contraire, grâce notamment aux investissements consentis depuis des années pour en faire un acteur capable de placer le Maroc sur la carte mondiale de l'automobile. Et aujourd'hui, pour ce qui est du maritime, il faut l'avouer, le Maroc est encore très loin de tenir son rang mondial. Le pays dispose certes de la première plateforme maritime en Méditerranée, à savoir le Port Tanger Med, mais n'arrive toujours pas à relancer son pavillon national, disparu depuis une décennie. Si l'exemple était calqué sur l'aérien, on dirait que le Maroc est une destination incontournable, mais sans flotte aérienne. Donc, ce sont les armateurs étrangers qui continuent d'en tirer profit et de fluctuer les prix selon leur guise, comme cela a pu conduire à une flambée sans précédent sur le fret maritime fin 2021 et début 2022. Là, il ne s'agit pas uniquement de sécuriser ses approvisionnements, mais d'être un acteur qui sera sollicité, et donc encore plus influent sur la carte maritime mondiale. « Le Maroc est un pays qui ne dispose pas de gaz comme ressource naturelle, mais qui se retrouve en mesure de jouer le rôle de pivot, par sa position de carrefour », résume un professionnel du transport maritime, pour qui il ne faut surtout pas rater cette opportunité historique pour le royaume. A bon entendeur ! Abdellah MOUTAWAKIL
Repères Conteneurs : Tanger Med à la 25ème place mondiale... Les 146 ports mondiaux conteneurisés dont le volume a dépassé un million d'EVP annuel ont généré en 2021 un volume global de 744.250.000 EVP, en hausse de 8% par rapport à 2020. Selon le classement annuel publié par le consultant néerlandais Dynaliners, tous sont parvenus à capter 86% du trafic global. Tanger Med, avec sa forte progression de 24% (7,17 M EVP), est parvenu au 25ème étage de la fusée portuaire mondiale. Ce qui en fait le premier port africain et méditerranéen. Domination des ports chinois Dans la catégorie des 25 premiers ports mondiaux, les 12 se situant en tête de liste (dont 7 chinois) ont conservé l'an dernier leur position. Ainsi, le chinois Shanghai, qui est passé à 47 M EVP, est resté à la première place, malgré une croissance de 8%. Singapour, en hausse de 2%, a conservé le second rang, à 37,47 M EVP. Les chinois Ningbo (31,08 M EVP) et Shenzhen (28,77 M EVP), en progression respective de 8 % et 4%, ont suivi en 3ème et 4ème positions. L'info...Graphie Transport du GNL 600 méthaniers actifs dans le monde
Fin 2021, l'ensemble de la flotte mondiale de transporteurs de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) compte 600 navires actifs, y compris les unités flottantes de stockage et de regazéification, (FSRU), soit l'équivalent de 100 millions de m3 de gaz liquéfié. Les FSRU permettent de faciliter les imports de GNL. Elles peuvent stocker le gaz liquide. La majorité des navires seront construits en Corée du Sud par Hyundai Heavy Industries, Samsung Heavy Industries ou Daewoo Shipbuilding and Marine Engineering. Chaque année, 50 nouveaux navires de ce type sont construits. Sur le plan coût, l'affrètement spot d'un méthanier tourne autour de 50.000 dollars/jour et peut atteindre 80.000 dollars/jour. Il est à noter que s'agissant du Maroc, et d'ailleurs, à l'instar de la plupart des pays du monde, toute importation d'hydrocarbures passe par un appel aux acteurs qui affrètent ces méthaniers. Très prochainement, avec l'entrée en service de Nador West Med, le Royaume pourra devenir un hub pour le soutage au GNL.
Formation maritime Les marins marocains laissés sur le quai ?
La formation actuelle permet d'offrir à la totalité des marins du Maroc le libre accès à la gamme complète de tous les métiers de la mer. Cependant, l'état de la flotte actuelle (16 navires) ne permet pas l'embarquement de tous les lauréats aptes à naviguer. Pour ceux destinés aux bateaux de pêche, il y a la difficulté de l'arrêt technique créé par le repos biologique. Pour les débouchés, il y a la solution de faire appel aux navires étrangers en rotation régulière avec les ports du Maroc. « On retiendra en substance que le mérite de la formation professionnelle revient uniquement à l'Etat marocain, le secteur privé est totalement absent de cette initiative », renseigne le professeur Najib Cherfaoui. D'ailleurs, à ce propos, un établissement public joue un rôle central dans ce processus. Il s'agit de l'Ecole Hassania des Travaux Publics (EHTP). Depuis exactement vingt ans, tous les projets portuaires nationaux, sans exception, sont soumis à validation à l'EHTP, laquelle validation s'effectue toujours dans le cadre de Projets de Fin d'Etudes dont la plupart, pratiquement des thèses, demeurent mémorables et sont toujours d'actualité. Partout dans le monde, les lauréats marocains contribuent aujourd'hui au rayonnement des compétences de l'ingénierie nationale dans le domaine des travaux maritimes, y compris ses divers prolongements : météorologie, hydraulique, informatique, géographie, transport, génie civil et génie électrique. « Eu égard à ces accomplissements, l'EHTP est dorénavant, de manière achevée, dépositaire du patrimoine immatériel de la Marine Marchande de notre pays », commente un expert maritime.
3 questions à Najib Cherfaoui « Il y a urgence de disposer, à minima, d'une flotte de vraquiers »
Pour l'expert maritime, professeur Najib Cherfaoui, le Maroc doit disposer, à minima, d'une flotte de vraquiers conforme pour répondre aux défis de transports de gaz, mais aussi de phosphates, dont il est le premier producteur mondial. - Comment le Maroc est-il concerné et comment peut-il tirer profit des évolutions actuelles que connaît le secteur des hydrocarbures ? - Par rapport au GNL, grâce au gazoduc présent sur son territoire, le Maroc maritime est devenu une option mondiale pour le soutage, la réception et la redistribution de cette ressource énergétique. Eu égard à ce défi, l'Agence Nationale des Ports (ANP) dispose d'un potentiel humain très puissant pour réaliser une contribution technique tout à fait substantielle. Par rapport aux phosphates et à leurs dérivés, le Maroc maritime est fortement sollicité pour faire face à l'accroissement des cadences de productions, d'où l'urgence de disposer, à minima, d'une flotte de vraquiers conforme au référentiel de cette exigence supplémentaire. - Quelle leçon doit-on tirer de la crise actuelle sur les hydrocarbures ? - Parmi les leçons de la seconde guerre mondiale, en 1949, l'Etat retient la nécessité d'implanter une raffinerie de pétrole à Fédala (Mohammedia). C'est la Société Anonyme Marocaine Italienne de Raffinage (SAMIR) créée en 1959 et qui a cessé ses activités en 2015. La leçon à tirer de la fracture créée par les hostilités en Europe de l'Est consiste à repenser le positionnement du Maroc maritime autour de la refonte totale du système de raffinage à Mohammedia et à développer une plate-forme GNL au Sud de la ville de Dakhla au lieu dit « Lahjayra Lakbira » situé exactement à un mille marin au large du port de pêche de Lamhiriz. - Globalement, comment se porte le secteur maritime au Maroc ? - En 2021, il y a 16 navires de commerce jaugeant 137.413 tx, et aucun n'est armé pour le long cours. Ce qui est tout à fait inquiétant, eu égard aux 73 navires de 1989 ou aux 400.000 tx de 1986. Pour résoudre cette problématique, il convient de ventiler les besoins essentiels en termes de filières et de capacité par filière. Cela signifie qu'il faut doter le Maroc d'une flotte stratégique englobant la sécurité des approvisionnements énergétiques et alimentaires, les communications, la délégation de service public et les fonctions portuaires (lamanage, remorquage, pilotage, soutage). Recueillis par A. M.