Durant les derniers mois, l'Algérie et la Tunisie ont manifesté un rapprochement sans précédent, aux allures d'une nouvelle alliance dressée contre le Maroc. Depuis des mois, l'Algérie et la Tunisie n'ont eu de cesse d'afficher un rapprochement palpable. Un rapprochement qui s'est manifesté ostensiblement lors de la cérémonie de célébration du soixantième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, auquel le Président tunisien, Kais Saïed, a été convié. Il n'a pas échappé aux observateurs que ce dernier a été assis à la tribune à côté du chef du Front Polisario, Brahim Ghali. Un geste symbolique qui ne saurait être fortuit et semble préparé par les dirigeants d'Alger. Comme tout est politique chez le voisin de l'Est dès qu'il s'agit de la question du Sahara, nombreux sont ceux qui sont induits à penser qu'Alger veuille obtenir le soutien de la Tunisie dans le dossier du Sahara et à la faire sortir de sa tradition de neutralité. Cette hypothèse serait d'autant plus réaliste que le gouvernement du président Kais Saïed a d'ores et déjà manifesté des signes d'alignement sur la position algérienne en s'abstenant de voter pour ou contre la Résolution 2602 du Conseil de Sécurité, qui a soutenu l'initiative d'autonomie. Une position qualifiée de « la plus grande bavure diplomatique » par l'ex-ministre tunisien, Hatem Ben Salem, qui a rappelé, dans une émission de télévision, que son pays a vocation à jouer le rôle de médiateur dans le dossier du Sahara, en se devant de ne pas prendre position entre « deux frères ». Le vote tunisien a été incompris également au Maroc, d'autant que le Royaume a toujours veillé à avoir d'excellentes relations avec la Tunisie, sachant qu'il a multiplié les gestes de bonne volonté à l'endroit des Tunisiens ces dernières années. En témoignent la visite historique de SM le Roi Mohammed VI, en 2014, en Tunisie et l'envoi d'une aide humanitaire pendant la pandémie. Une « fuite en avant » Tunis serait-il prédisposé à sacrifier ses relations avec le Maroc pour plaire au régime algérien ? Zakaria Abouddahab, Professeur à l'Université Mohammed V à Rabat et expert en relations internationales, trouve que l'attitude tunisienne est due à sa situation politique et économique précaire. "En effet, l'abstention de la Tunisie de voter pour la Résolution 2602 n'a pas manqué de surprendre le Maroc, d'autant plus qu'elle a été perçue comme un soutien à l'Algérie. La visite du président algérien à Tunis et le don généreux de 300 millions de dollars ont alimenté les doutes sur un potentiel rapprochement", affirme l'expert, ajoutant que le président tunisien, soumis à une pression internationale à cause de ses aventures constitutionnelles, est en quête d'alliés. Notre interlocuteur qualifie ainsi le revirement de la Tunisie dans le dossier du Sahara comme "une fuite en avant". L'élite tunisienne divisée ! Le fait que la lune de miel entre Alger et Tunis perdure aux dépens des relations maroco-tunisiennes ne fait pas l'unanimité au sein de l'élite intellectuelle du plus oriental des peuples du Maghreb. Nombreux sont les intellectuels de renommée, tels que l'écrivain et ex-candidat aux élections présidentielles, Safi Saïd, qui plaide pour un partenariat étroit avec le Royaume. « Nous sommes interdits de coopérer avec le Maroc », s'est-il insurgé une fois au micro d'une radio, déplorant que les dirigeants de son pays évitent de froisser l'Algérie en osant coopérer avec le Maroc. Depuis des années, le flou plane sur les relations maroco-tunisiennes, il n'y a pas eu de visites de Chefs d'Etat depuis 2014, date de la visite de SM le Roi Mohammed VI à Tunis. Pourtant, il serait téméraire de dire que les deux pays sont en crise. En apparence, les deux pays continuent de dialoguer. En témoigne la récente rencontre entre le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch et son homologue tunisienne, Najla Bouden, en marge du Sommet « One Ocean Summit », en février dernier. Les deux responsables se sont convenus d'établir une commission mixte. En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'on assiste à un changement de paradigme dans la politique étrangère tunisienne après l'arrivée du président Kais Saïed au pouvoir. Ce dernier s'est démarqué de ses prédécesseurs qui tâchaient de préserver subtilement l'équilibre entre le Maroc et l'Algérie.
Anass MACHLOUKH 3 questions à Mohammed Maelaïnin « Le rapprochement entre Alger et Tunis n'est que conjoncturel »
Mohammed Maelaïnin, diplomate et ex-ambassadeur du Royaume dans plusieurs pays, a répondu à nos questions sur l'ambiguïté de la nouvelle position tunisienne quant à l'affaire du Sahara. - Quelle lecture faites-vous du rapprochement entre Alger et Tunis ? - Je pense qu'il faut garder à l'esprit que la Tunisie fait face à la menace sécuritaire aux frontières avec la Libye, sachant que ses frontières avec l'Algérie connaissent des infiltrations de terroristes qui ne cessent de causer beaucoup d'ennuis. À cela s'ajoute la situation politico-sociale inextricable et bien d'autres contraintes qui font qu'il serait difficile d'attendre de la Tunisie de prendre des positions fermes sur des questions qui ont un effet sur la région maghrébine. - A votre avis, la Tunisie subit-elle des pressions de la part de l'Algérie pour changer de position sur le dossier du Sahara ? - Nous ne pouvons appréhender ce rapprochement sans tenir compte de la pression que subissent les Tunisiens de la part de l'Algérie qui exerce le chantage par le gaz et la manne touristique. Je rappelle que l'Algérie fournit environ 30% des revenus touristiques en plus du gaz, sachant que la Tunisie bénéficie de la redevance du passage du gaz via le gazoduc transméditerranéen. Il est possible que l'Algérie pense à se prévaloir de la fragilité politique de la Tunisie pour la mettre sous pression. - Comment voyez-vous le futur des relations maroco-tunisiennes à la lumière de tout ce qui précède ? - Je préfère ne pas tirer de conclusions hâtives. Attendons la fin de l'imbroglio politique interne en Tunisie pour prendre acte de la conduite du gouvernement qui en sortirait. A mon avis, rien ne peut altérer les relations maroco-tunisiennes, même les manigances de l'Algérie. Le rapprochement ostensible entre Alger et Tunis n'est que conjoncturel, compte tenu de la crise politico-sociale que traverse la Tunisie. Recueillis par A. M.