En 2016, l'organisation de la COP 22 à Marrakech a connu un réel succès car elle a été l'occasion pour de nombreux chefs d'Etat de se réunir et de mettre en œuvre l'Accord de Paris sellé un an plus tôt et visant à limiter la hausse de la température en dessous de 2°C à l'horizon de 2100. Le Maroc fait partie des 113 Etats ayant adopté cet accord avec une réelle ambition de décarboner son économie. En témoigne l'inauguration du vaste complexe solaire Noor Ouarzazate qui devrait porter la part des énergies renouvelables dans le mix électrique du Royaume à plus de 50%. L'Accord de Paris a par ailleurs prévu que $ 100 milliards devront être consacrés chaque année au financement de projets permettant de verdir l'économie. Il a ainsi rappelé que la volonté politique à elle seule n'est qu'une première étape dans le long processus de la transition énergétique et que le réel enjeu réside dans le financement de la transformation de nos modes de productions. Ainsi, de nombreuses voix se sont élevées, notamment en Europe, invitant la banque centrale européenne (BCE) à verdir sa politique monétaire – en intégrant la dimension écologique à ses objectifs généralement limités au contrôle du taux d'inflation – pour accélérer et renforcer l'engagement du système financier dans la décarbonation. Comment le Maroc pourrait-il également mettre en place une politique financière verte pour accélérer le verdissement de son économie ?
1. Le rôle de Bank Al Maghrib en tant que banque centrale du Maroc :
Chaque Etat dispose d'une banque centrale qui assure le bon fonctionnement de sa politique monétaire. Au Maroc, il s'agit de Bank Al Maghrib. Cette institution publique, fondée en 1959, se fixe comme objectif de garantir la stabilité des prix et de contrôler l'évolution du taux d'inflation. Bank Al Maghrib pourrait ainsi, dans le cadre de la volonté du Maroc à promouvoir la décarbonation de son économie, ajouter les considération écologiques et environnementales à ses objectifs. Cela aurait pour effet d'orienter son action en faveur de l'écologie et de sanctionner les acteurs non soucieux des préoccupations environnementales. Concrètement, comment cela peut-il prendre forme ?
1. Le taux directeur :
Bank Al Maghrib dispose tout d'abord du taux directeur. Il s'agit du taux auquel se refinancent les banques commerciales au Maroc auprès de Bank Al Maghrib. Méthode peu orthodoxe mais qui aurait des effets immédiats, Bank Al Maghrib pourrait baisser son taux directeur pour les financements « verts » allant permettre aux banques commerciales d'apporter des capitaux aux porteurs de projets écologiques. Cela permettrait à la fois d'encourager ces entrepreneurs en leur accordant un financement à moindre cout et d'autre part de placer Bank Al Maghrib au cœur de la dynamique écologique marocaine.
1. D'autres instruments de la politique monétaire : Bank Al Maghrib dispose également d'autres instruments dans le cadre de sa politique monétaire, nous en citerons les deux principaux et qui pourront apporter les effets escomptés :
* Le marché interbancaire : il s'agit des opérations d'achats ou de ventes de titres d'actifs. Bank Al Maghrib pourrait racheter les titres relatifs à des projets « verts » détenus par les banques commerciales afin d'alléger leurs bilans et de leur apporter plus de liquidités.
* Les réserves obligatoires : il s'agit de dépôts effectués par les établissements bancaires auprès de Bank Al Maghrib et correspondant à un pourcentage des crédits accordés aux clients de ces établissements. Bank Al Maghrib pourrait par conséquent baisser ou augmenter le taux de réserve obligatoire exigé aux banques en fonction de leur engagement écologique.
Ainsi, Bank Al Maghrib sera amenée à développer un scoring pour chaque établissement bancaire en fonction de son engagement écologique et mettre en place un système de notation corrélé aux projets financés par ces établissements et aux émissions de CO2 générés par lesdits projets. C'est un système assez complexe à mettre en place mais s'il y a des incitations attractives en faveur des banques qui jouent le jeu (par exemple plus d'assouplissement sur les réserves obligatoires, un marché interbancaire plus attractif) Bank Al Maghrib réussira sans doute à nourrir un fort engouement pour le financement des projets verts. II. Le rôle des banques commerciales : Les banques commerciales sont en lien direct avec les porteurs de projets et sont par conséquent le principal acteur à encourager ou décourager les entrepreneurs à la recherche de financement pour la réalisation de projets « verts ». Il convient dès lors d'avoir une offre adaptée à ce type de financement pour accélérer les prêts relatifs à cette thématique.
1. Une offre de financement avantageuse :
Les banques devraient avoir une notation pour le financement des projets industriels et environnementaux. Ceux allant participer à la transition énergétique du Maroc devraient pouvoir bénéficier à la fois de taux d'intérêts très faibles - pour encourager les entrepreneurs – et de maturités de remboursement plus longues afin d'alléger le poids de la dette pour son contractant. En parallèle, il faudrait également proposer des solutions de financement moins avantageuses et plus couteuses aux porteurs de projet ayant un faible score écologique (principalement les industries très polluantes). L'objectif serait à la fois de véhiculer aux acteurs économiques le message selon lequel les projets verts sont les bienvenus mais que les opportunités économiques peu soucieuses de l'empreinte environnementale ne feront plus l'objet d'un traitement neutre.
1. Des produits financiers innovants : En plus de l'offre de financement avantageuse expliquée ci-dessus, les banques pourraient également commencer à penser à accélérer le développement de produits financiers peu orthodoxes et allant intéresser l'ensemble des segments de sa clientèle (professionnels et particuliers). Nous explorerons principalement deux offres qui se développent à forte vitesse dans le monde : les obligations vertes et l'épargne verte. Les obligations vertes (dites également Green bonds) représentent désormais la nouvelle tendance financière dont se targuent de nombreuses banques internationales dans le cadre du financement de la transition énergétique. Il s'agit de titres de dettes émis par une entreprise avec l'aide d'une banque afin de permettre aux investisseurs d'apporter des fonds allant financer des projets liés à la transition écologique. Les banques marocaines pourraient par conséquent accélérer le développement de cette opportunité pour lever des fonds au niveau national et international en proposant des reportings détaillés sur la dimension écologique des projets sélectionnés. En collaboration avec l'Etat et Bank Al Maghrib, les banques commerciales peuvent également lancer un produit d'épargne axé sur le développement durable. Il permettrait aux banques de proposer une épargne aux particuliers qui servira au financement des projets de développement durable au Maroc. En contrepartie, ces particuliers pourront bénéficier d'un taux de rendement adossé à au niveau d'inflation (généralement entre 1 et 2% comme constaté en France et au Royaume-Uni au sein des banques qui proposent ce type de produits). Conclusion : Le Maroc nourrit de grandes ambitions pour la transition énergétique de son économie et de son tissu industriel. Cette ambition est justifiée car elle permettra de créer des milliers d'emplois et de contribuer au développement social du pays. Néanmoins, elle ne pourra aboutir qu'avec le soutien et le dynamisme du système bancaire car le besoin en investissement est estimé à plus de 45 milliards de dollars pour réaliser l'ambition marocaine. La banque centrale et les banques commerciales auront par conséquent un rôle majeur à assumer et assurer. Badr LACHGAR Analyste financier