La surveillance et le contrôle des produits phytosanitaires au niveau national se sont renforcés ces dernières années, mais restent toutefois limités par les moyens qui leur sont alloués. Il y a quelques jours, le ministre de l'Agriculture, Mohamed Sadiki, a été interpellé à travers une question écrite d'un membre de la Chambre des Représentants à propos des efforts entrepris pour lutter contre le phénomène d'utilisation excessive des pesticides. Une interrogation qui est d'autant plus importante qu'elle touche à des pratiques régulièrement dénoncées par les associations marocaines de protection des consommateurs à cause de leur dangerosité sur la santé humaine, voire sur l'environnement. L'utilisation excessive des produits phytosanitaires a également été à l'origine de plusieurs embargos sur des lots de denrées marocaines exportées qui ont été détectées par les systèmes étrangers de veille sanitaire aux frontières. Le dernier épisode de ce genre s'est d'ailleurs déroulé le 28 février dernier, quand les autorités néerlandaises avaient annoncé la détection puis la destruction d'un lot d'oranges (produites au Maroc et destinées au marché hollandais) comportant quasiment le double de la teneur autorisée d'un pesticide interdit en Europe depuis 2020 (Chlorpyrifos). Le système européen d'alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux (RASFF) avait alors classé le cas comme « grave ». Les efforts étatiques Dans sa réponse, le ministre de l'Agriculture s'est cependant voulu rassurant soulignant qu'un plan d'action spécifique est entrepris afin de lutter contre le phénomène. Afin de montrer que les efforts de contrôle touchent autant les denrées écoulées au niveau national que celles destinées à l'export, le ministre de l'Agriculture a précisé que « rien qu'en 2021, trente tonnes de récoltes agricoles contenant des résidus de pesticides au-delà des seuils autorisés ont été détruites par l'ONSSA». Il a par ailleurs expliqué que l'Office veille au suivi régulier des pesticides autorisés et leur évaluation à la lumière de l'actualité scientifique et des données de la pharmacovigilance ayant trait à la politique phytosanitaire. Dans ce sens, « sur les 56 matières actives réévaluées et examinées par la Commission nationale des pesticides agricoles depuis 2018, pas moins de 42 matières ont été interdites. Une mesure qui a donné lieu au retrait de pas moins de 300 pesticides du marché national. En outre, l'Office a durci le recours à 11 matières actives en tenant compte de l'existence d'autres alternatives plus sécurisées ». Interdit ici, autorisé ailleurs Sachant que le dilemme d'interdire ou d'autoriser un produit phytosanitaire en particulier se résout différemment d'un pays à un autre, le Royaume se retrouve ainsi à suivre son propre arbitrage à ce sujet. Exemple du Chlorpyrifos, interdit en Europe depuis juin 2020, puis proscrit dans les cultures au Maroc à partir du 10 février dernier, mais encore autorisé dans d'autres pays comme le Canada, l'Australie et le Japon. « Ces dernières années, notre pays a fait énormément d'efforts concernant les produits phytosanitaires et se retrouve actuellement avec des exigences qui sont parfois plus élevées que d'autres pays plus développés. Le Maroc a tendance par ailleurs à se conformer en priorité aux normes des marchés dans lesquels sont positionnés ses produits agricoles. À cet égard, le choix au Maroc des produits phytosanitaires à interdire est actuellement plus ou moins le même qu'en Europe. Le vrai problème à mon sens n'est pas le choix d'autoriser ou d'interdire telle ou telle substance active, mais bien d'arriver enfin à garantir que les produits utilisés passent tous par un circuit légal et que l'utilisation en elle-même est correcte et rationnelle », nous confie Mohamed B., ingénieur agricole qui a préféré garder l'anonymat. De médicament à poison Par rapport à cet aspect, la réponse du ministre de l'Agriculture a évoqué les activités menées par l'ONSSA et ses partenaires dans une perspective de sensibilisation des agriculteurs, de qualification de près de 1200 vendeurs de pesticides, ou encore de contrôle des plantations et des marchés à travers des prélèvements qui visent à évaluer le taux d'exposition aux pesticides ou l'utilisation de produits interdits. Des initiatives dont certains observateurs contestent plus l'échelle que la nature. « Je pense que les efforts entrepris actuellement par les autorités sont louables, mais ça reste assez faible au vu de l'importance des volumes et de la multitude des vendeurs et des producteurs, dont certains écoulent des tonnes de produits agricoles en dehors des circuits de commercialisation. Ajoutez à cela qu'il est avéré que par manque de connaissance, un très grand nombre d'agriculteurs utilise les produits phytosanitaires d'une manière excessive pour plus d'efficacité, les transformant ainsi en véritable poison pour le consommateur », regrette pour sa part M. Ouadie Madih, président de la Fédération Nationale des Associations du Consommateur. « Je crois qu'il est plus que temps que le contrôle et la surveillance deviennent plus rigoureux et surtout : que les moyens nécessaires pour y parvenir soient mobilisés », conclut-il. Oussama ABAOUSS Repères Réglementation des pesticides La décision de retirer un pesticide au Maroc se base actuellement sur l'article 5 de la loi n°42-95 relative au contrôle et à l'organisation du commerce des produits pesticides à usage agricole qui stipule que « lorsqu'à la suite d'un fait nouveau ou en raison de son utilisation ou, éventuellement, après un nouvel examen, un produit ne satisfait plus aux conditions d'efficacité et d'innocuité à l'égard de l'Homme, des animaux ou de leur environnement, l'homologation ou l'autorisation de vente est retirée ».
Echantillonnage national L'ONSSA a récemment annoncé que, durant l'année 2021, un total de 2.300 échantillons de fruits et légumes destinés au marché local ont été prélevés et analysés par les laboratoires de l'autorité sanitaire au niveau des marchés de gros, des points de vente et des exploitations agricoles. En 2022, 2.500 échantillons de fruits et légumes seront prélevés et analysés dans le cadre des plans de surveillance et de contrôle des résidus de pesticides dans les fruits et légumes, couvrant l'ensemble des régions du Maroc. L'info...Graphie Sécurité agroalimentaire Quand la Cour des Comptes pointait l'absence de contrôle sur les résidus de pesticides
En janvier 2020, lors d'une session de la commission de contrôle des finances publiques à la Chambre des Représentants consacrée à l'examen du dernier rapport de la Cour des Comptes sur l'Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires (ONSSA), le président de la Cour des Comptes avait appelé à revoir la gouvernance de l'ONSSA à travers une plus grande indépendance vis-à-vis de l'autorité politique. À noter que le rapport 2018 de la Cour des Comptes, publié en septembre 2019, avait pointé plusieurs défaillances dans les missions de l'autorité sanitaire, notamment l'absence de contrôle sur les résidus de pesticides contenus dans les fruits et légumes destinés au marché local, et ce, contrairement aux produits destinés à l'exportation, où le suivi des résidus pesticides est réalisé de manière rigoureuse. « Les produits destinés au marché local sont hors contrôle en matière de traçabilité et de connaissance sur leurs contenus en résidus de pesticides », signalait la Cour des Comptes.
Réglementation De nouvelles substances actives seront réévaluées en 2022
L'Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires a élaboré une nouvelle loi 34-18 relative aux produits phytopharmaceutiques, promulguée en juillet 2021, qui vise le renforcement du contrôle des pesticides à tous les niveaux selon « les exigences internationales les plus rigoureuses en la matière ». LONSSA dispose par ailleurs d'un système de veille sur les pesticides au niveau national et international. Ce système permet d'identifier des substances actives polémiques dont certaines causeraient des préoccupations pour la santé ou l'environnement. Pour l'année 2022, l'ONSSA a programmé la réévaluation de 16 substances actives correspondant à une soixantaine de produits pesticides. Dans ce sens, l'Office a informé officiellement les professionnels à travers un avis public à ce sujet publié notamment sur le site de l'institution. Au terme des études que font les experts de l'ONSSA, cette année et après avis de la commission interministérielle, « l'Office procédera aux retraits de ces matières actives ou bien à la restriction de leur usage en tenant compte de la disponibilité des alternatives et des moyens de maîtrise du risque ». « L'ONSSA accorde une attention particulière à l'homologation des produits à faible risque, notamment les bio-pesticides (produits à base d'extrait de plantes, produits minéraux, produits à base de microorganismes), en les priorisant lors de l'instruction des dossiers d'homologation », nous apprend par ailleurs M. Ahmed Jaâfari, chef de la Division des intrants chimiques à l'ONSSA.
3 question à Ahmed Jaâfari, chef de division à l'ONSSA « Le Maroc est l'un des pays qui utilisent le moins de pesticides par hectare »
Chef de la Division des Intrants Chimiques à l'Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires (ONSSA), M. Ahmed Jaâfari répond à nos questions. - Le Maroc est-il considéré comme un grand consommateur de pesticides ? - Le Maroc est l'un des pays qui utilisent le moins de pesticides par hectare. La consommation au Maroc de pesticides dédiés aux usages agricoles est de l'ordre de 1,46 Kg/ha de produit fini selon les données de l'agence statistique de l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) pour 2017. - Comment l'ONSSA veille-t-il à ce que les pesticides pesticides autorisés soient utilisés d'une manière rationnelle ? - Les décisions d'homologation délivrées par l'ONSSA pour chaque produit phytopharmaceutique comportent toutes les informations pour une utilisation raisonnable, sûre et efficace, en l'occurrence la dose à respecter, le délai avant récolte à partir duquel la récolte est possible et le nombre de traitements à ne pas dépasser, ceci pour une bonne efficacité du produit, mais aussi pour que le produit réponde à l'exigence de la LMR (Limite Maximale de Résidus) réglementaire. - Qu'en est-il du contrôle des denrées destinées au marché local ? - L'ONSSA établit chaque année des plans de contrôles et de surveillance des fruits, légumes et aromates et ces plans concernent toutes les régions du Royaume. En effet, l'Office procède aux prélèvements des échantillons dans les champs, les stations de conditionnement, les marchés de gros, les lieux de stockage et les grandes surfaces, ensuite ces échantillons sont envoyés aux laboratoires de l'ONSSA pour analyse moyennant des appareils sophistiqués qui cherchent plus de 300 substances différentes. Les produits non-conformes sont détruits en collaboration avec les autorités locales. Recueillis par O. A.