Les résultats d'une étude visant à évaluer l'impact de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) sur l'économie marocaine ont été, mercredi à Rabat, au centre d'une conférence tenue à l'initiative du Policy Center for the New South (PCNS), de la Direction des études et des prévisions financières (DEPF) et de l'Agence française de développement au Maroc (AFD). Menée par la DEPF, en partenariat avec l'AFD et avec l'appui technique d'International Food Policy Research Institute (IFPRI), cette étude vise à évaluer les impacts potentiels de différents scénarios d'intégration africaine sur l'économie marocaine et à prospecter les réponses de politiques publiques à même de maximiser les retombées de la future zone de libre-échange panafricaine, indique un communiqué.
Réalisée selon une démarche de partenariat entre pairs, de co-construction et de mobilisation des experts internationaux de l'IFPRI et nationaux de la DEPF, cette étude s'est basée sur des techniques avancées en matière de modélisation. Elle avait pour objectif d'évaluer l'impact de la ZLECAf sur l'économie marocaine en termes de flux de commerce, d'activité et d'agrégats macroéconomiques, tout en simulant différents scénarios de libéralisation tarifaire et de réduction de mesures non tarifaires.
Pour comprendre la portée de ce rapport, il faut dire que la ZLECAf est un projet ambitieux qui vise à créer sur le continent africain l'une des plus grandes zones de libre-échange au monde avec un marché potentiel de 1.2 milliard de consommateurs et un PIB combiné de 3.000 milliards de dollars. Signé en mars 2018 au sommet de Kigali par 44 chefs d'Etat et de gouvernement, la ZLECAf s'inscrit dans l'Agenda 2063 de l'Union Africaine qui vise un marché unique à l'échelle du continent.
L'accord instituant la ZLECAf prévoit trois phases de négociations. La phase I concerne le commerce des biens et services et les procédures de règlement des différends. La phase II porte sur l'investissement, la politique de la concurrence et les droits de propriété. Quant à la dernière phase, elle porte sur le e-commerce.
Processus de ratification Entré en vigueur fin mai 2019, avec la ratification de 28 des 54 pays signataires, l'accord est devenu pleinement opérationnel à partir du 1er janvier 2021 avec la possibilité pour les pays de commercer sous le régime de la ZLECAf. Au 30 septembre 2021, 38 pays avaient ratifié l'accord. Les pays dans l'attente du processus de ratification sont, entre autres, le Bénin, Madagascar, le Maroc, le Mozambique et la RDC.
Par ailleurs, si la ZLECAf est devenue opérationnelle en janvier 2021, les négociations sur les règles d'origine sont toujours en cours pour la phase I. Selon le Secrétariat, les pays membres se sont mis d'accord sur près de 90 % des règles d'origine. Les questions en suspens concernent les produits laitiers, l'automobile, l'habillement et les textiles, le sucre et les huiles alimentaires.
La mise en œuvre de la ZLECAf est également en cours pour les services. Mais elles sont en retard, comme pour la mise en œuvre de l'accord sur les marchandises. Cinq secteurs prioritaires ont été définis qui sont les transports, les communications, le tourisme, les services financiers et les services aux entreprises. À ce jour, 34 pays ont déjà soumis leurs offres initiales sur le commerce des services. Concernant les phases II et III, le sommet de Johannesburg de décembre 2020 a exhorté les ministres du commerce à conclure toutes les négociations avant le 31 décembre 2021.
A l'issue de cette étude, il ressort que la seule partie tarifaire de l'accord ZLECAf, dans sa forme actuelle, aura un impact macroéconomique faible mais positif sur le Maroc : les clauses des produits sensibles et des produits exclus réduisent les effets positifs de l'accord. Les rédacteurs soulignent que si l'accord de la ZLECAf inclut une réduction ambitieuse des coûts liés aux Mesures Non Tarifaires, par exemple de 50 pourcents, l'impact de l'accord commercial continental sur le Maroc est plus conséquent.
Il s'agit de la hausse significative du PIB (+0.3%), du revenu réel des ménages marocains (+0,6%) ; hausse des exportations totales marocaines en volume (+2,3%), hausse de la rémunération du travail non qualifié (+0,3%), du travail qualifié (+0,5%) et du capital (+0,6%). Enfin, le rapport souligne que si une libéralisation tarifaire dans le cadre de la ZLECAf bénéficie surtout à l'industrie alimentaire et au secteur de l'élevage, ajouter une réduction ambitieuse des mesures non tarifaires serait significativement profitable à l'activité dans l'industrie en général.
Pour mener à bien cette étude, le critère retenu résulte d'une approche en termes d'économie politique du protectionnisme. Elle est basée sur les travaux académiques de Jean, Laborde et Martin (2010), reposant sur un modèle décrivant les gouvernements à la fois soucieux de l'intérêt public, mais aussi intéressés par les contributions venant de groupes d'intérêt (Grossman et Helpman 1994).
Choix des produits sensibles et exclus Pour simuler précisément l'accord, il faut identifier la liste des produits sensibles au niveau de désagrégation du Système Harmonisé SH6, fait remarquer le rapport. Or la liste de ces produits pour chaque pays africain n'est pas disponible. Un critère doit être adopté. Ce pourrait être les recettes tarifaires obtenues par le gouvernement ou on peut encore imaginer la création d'un indicateur lié à l'industrialisation du pays ou à sa sécurité alimentaire : beaucoup d'options sont possibles.
Pour les rédacteurs, le critère retenu pour l'étude résulte d'une approche en termes d'économie politique du protectionnisme. Elle est basée sur les travaux académiques de Jean, Laborde et Martin (2010), reposant sur un modèle décrivant les gouvernements à la fois soucieux de l'intérêt public, mais aussi intéressés par les contributions venant de groupes d'intérêt (Grossman et Helpman 1994).
Agrégation des tarifs Dans la définition des scenarios, l'agrégation des tarifs est une question très importante. Il faut en effet passer de tarifs définis sur des lignes du Système Harmonisé SH6 (plus de 5.000 lignes) ou de la nomenclature douanière nationale à la nomenclature du modèle (40 secteurs). Il faut en outre agréger des tarifs sur un même produit mais différenciés par partenaire car le modèle n'inclut que 22 régions/pays. La réalisation de cette agrégation peut introduire de nombreux biais, surtout pour le bien-être.
En effet on sait que la distorsion créée par un droit de douane est proportionnelle au carré de ce tarif. Si par exemple on agrège deux produits faisant l'objet d'une même importation en valeur, la distorsion associée à une paire de tarifs de 10% sur chaque bien ne sera pas la même que celle associée à une paire de 0% sur un bien et 20% sur l'autre. Il faut donc choisir une méthode d'agrégation cohérente.
L'approche utilisée dans MIRAGRODEP est celle du Consistent Policy Aggregator ou agrégateur politique cohérent, approche élaborée par Laborde, Martin et Van der Mensbrugghe (2017). C'est une approche théoriquement fondée (cf. Anderson et Neary, 1996) pour agréger les lignes tarifaires dans la nomenclature du modèle où le poids des lignes tarifaires est endogène.
Mesures non tarifaires Les mesures non tarifaires sont intégrées dans la ZLECAf dans le cadre du protocole sur les biens, notamment l'Annexe 5 qui définit les modalités pratiques d'opérationnalisation, en particulier les institutions à mettre en place. Les mesures non tarifaires sont hétérogènes, allant des réglementations sur l'inspection avant expédition de la cargaison aux mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) et aux règles d'origine liées à la mise en œuvre d'un accord de libre-échange.
Dans le cadre de ce travail des équivalents ad valorem ont été calculés dans la mesure où les différentes mesures non tarifaires ne peuvent être directement comparées entre elles ou avec d'autres barrières commerciales comme les tarifs.
Toute comparaison doit être basée sur l'estimation du droit de douane qui aurait un impact commercial équivalent à la mesure non tarifaire. Des estimations économétriques ont permis d'estimer des équivalents ad valorem et ceux-ci ont été intégrés dans le modèle sous forme de coûts additionnel pour les exportateurs et non comme un droit de douane fictif au niveau de l'importateur.
Définition des scenarios Conformément au calendrier de l'accord, en plus de la baseline (scenario de référence), les scenarios simulés dans le cadre de cette note sont les suivants :
* Scenario 1 : ZLECAF intégrale (ZLECAF0%), sans produits sensibles et exclus. Ce scenario d'élimination totale des droits de douane (sans produits sensibles et exclus) permet d'étudier quel est l'impact de la clause des produits sensibles et des produits exclus. Il représente ainsi le maximum de gain que l'on devrait observer en l'absence de clause d'exclusion
* Scenario 2 : ZLECAF avec réduction des mesures non tarifaires de 50 % (ZLECAf-MNTs50%). Il s'agit du vrai scenario calé sur le calendrier de l'accord avec une élimination des droits de douane entre pays africains sur 90% des lignes tarifaires entre 2021 et 2025, suivie d'une libéralisation de 7% des lignes correspondant aux produits sensibles entre 2026 et 2030. En outre, dans ce scenario, il est supposé que les négociations sur mesures non tarifaires aboutissent à une réduction de 50 % de ces entraves au commerce de marchandises entre pays africains.
A propos de l'Agence française de développement (AFD)
Institution financière publique et solidaire, l'AFD est l'acteur central de la politique de développement française. Nous nous engageons sur des projets qui améliorent concrètement le quotidien des populations, dans nos territoires d'Outre-mer ainsi que dans les pays en développement et les pays émergents, en conformité avec les objectifs de développement durable (ODD) et les priorités de l'action extérieure de la France. Présents dans 115 pays via un réseau de 85 agences, dont celle de Rabat, nous accompagnons aujourd'hui plus de 4000 projets de développement, dont 44 au Maroc.
A propos du Policy Center for The New South (PCNS)
Le Policy Center for the New South (PCNS) est un think tank marocain dont la mission est de contribuer à l'amélioration des politiques publiques, aussi bien économiques que sociales et internationales, qui concernent le Maroc et l'Afrique, parties intégrantes du Sud global. Le PCNS défend le concept d'un « nouveau Sud » ouvert, responsable et entreprenant ; un Sud qui définit ses propres narratifs, ainsi que les cartes mentales autour des bassins de la Méditerranée et de l'Atlantique Sud, dans le cadre d'un rapport décomplexé avec le reste du monde