Shinozuka Takashi décrypte pour nous la nature des relations entre le Royaume et le pays du Soleil levant aux niveaux économique, sécuritaire, énergétique et culturel. - Le Maroc et le Japon sont des pays qui partagent beaucoup de ressemblances au niveau de l'Histoire et des valeurs, qu'en est-il de leurs relations actuellement ? - Le Japon considère le Maroc actuellement comme un partenaire fiable et de choix en Afrique. Les échanges mutuels entre la famille royale et celle impériale, entre hautes personnalités gouvernementales et parlementaires, ont renforcé les relations politiques et économiques gagnant-gagnant des deux pays. - Parlons de la coopération économique, est-ce que les entreprises japonaises montrent de l'intérêt pour le marché marocain ? - Depuis 2014, année d'ouverture à Rabat du bureau du JETRO (l'Organisation Japonaise du Commerce Extérieur), la coopération économique des deux pays n'a pas cessé de se développer. En témoigne le nombre de compagnies japonaises implantées au Royaume qui a doublé, passant de 36 à 70 actuellement. Ces entreprises contribuent à la création d'environ 40.000 emplois locaux. - Comment se portent les échanges commerciaux entre les deux pays ? - Pour le Japon, le Maroc est le deuxième partenaire d'affaires en Afrique. En janvier 2020, en marge de la 5ème commission mixte Maroc-Japon, un accord d'investissement ainsi qu'une convention fiscale ont été signés, promettant d'approfondir davantage les relations économiques. L'ambition exprimée était de rehausser les échanges commerciaux entre le Maroc et le Japon qui représentent 4.5% du volume d'échange entre le Maroc et l'Asie et 2.7% des échanges entre le Japon et l'Afrique. Actuellement, le commerce entre les deux pays ne dépasse pas six milliards de dirhams, y compris l'import et l'export. En plus, trois des plus grands groupes japonais se sont installés au Maroc grâce à sa politique industrielle. On parle à titre d'exemple de Sumitomo, qui emploie plus de 20.000 personnes, de Yazaki et Fujikora qui sont installés à Tanger et à Kénitra. - Quels sont les perspectives de cette coopération ? - D'abord, je tiens à déclarer que nous sommes confiants dans le fait que le nouveau ministre de l'Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, est un ministre qui connaît bien le Japon ainsi que les dossiers de coopération économique entre les deux pays. Toutefois, l'économie japonaise et celle marocaine sont des économies libérales et donc l'investissement reste tributaire de la volonté du secteur privé. Néanmoins, le JETRO incite les entreprises japonaises à investir au Maroc vu l'ensemble des atouts attractifs du Royaume, à savoir la proximité avec l'Europe, la position comme porte d'entrée en Afrique, l'infrastructure très développée ainsi que la main d'oeuvre de plus en plus qualifiée, l'arsenal de législation et de réglementation qui est développé afin de faire face à tous les défis du 21ème siècle, notamment Covid, et en dessus tout on a le peuple marocain qui est très tolérant, ouvert et apte pour coopérer avec les différents pays, ainsi que la pérennité et la stabilité des institutions qui sont garanties par la monarchie. On a donc beaucoup à faire et nous sommes optimistes. - Le ministère de l'Industrie japonais a publié une nouvelle feuille de route énergétique où on constate une hausse du budget accordé aux énergies renouvelables. Le Maroc est reconnu comme un champion du climat en Afrique, est-ce que cela peut représenter un nouveau chemin de coopération ? - Oui, absolument. Le Japon est un pays qui n'a pas de ressources naturelles, pas d'hydrocarbures, on a des projets de nucléaire, mais on essaie de trouver de nouveaux chemins. Le Maroc honore ses engagements envers la lutte contre le changement climatique, il a organisé la COP22... C'est un travail conséquent ! Nous suivons donc avec grand intérêt comment va évoluer le mix énergétique du Maroc. D'ailleurs, 51% en énergies renouvelables en 2030 est déjà impressionnant mais j'ai l'impression que vous cherchez à mieux faire avec la nouvelle ministre de la Transition énergétique qui est experte en la matière. D'ailleurs, nous avons d'ores et déjà quelques projets au niveau énergétique. Nous citons à titre d'exemple, à Safi, une entreprise japonaise a monté une centrale thermique. En outre, l'année dernière, grâce à un financement conjoint public-privé, nous venons de prendre part, avec une compagnie française, pour le lancement d'un parc éolien à Taza. Je crois donc qu'il y a beaucoup à faire pour les deux pays au plan énergétique, surtout au niveau des énergies renouvelables. - Vous aviez déjà annoncé que « sur les tables japonaises, vous avez une chance sur deux que les calamars que vous mangez soient du Maroc ». Il y a un peu plus d'un mois, le tribunal de l'Union Européenne décidait d'annuler deux accords commerciaux (notamment de pêche) entre le Maroc et l'UE. Pensez-vous que ça aurait un effet sur les le partenariat Japon-Maroc ? - En ce qui concerne les accords de pêche, nous ne sommes pas encore en position pour faire des commentaires mais nous espérons que le Maroc et l'Europe, étant non seulement des voisins mais des partenaires stratégiques, feront le nécessaire pour faire en sorte que le problème soit résolu à l'amiable et sans laisser de traces. - Nous venons de célébrer le 6 novembre le 46ème anniversaire de la Marche Verte, quelle est la position du Japon sur le Sahara ? - Nous soutenons les efforts déployés par le Secrétaire Général des Nations-Unies en vue d'une solution politique négociée qui serait durable et acceptable par toutes les parties. D'ailleurs, M. Staffan de Mistura vient d'être nommé comme nouvel envoyé personnel et nous espérons que toutes les parties sauront se montrer coopératives à son égard. Nous tenons également à préciser que nous avons été très impressionnés par les dernières élections qui ont connu une très grande adhésion dans le royaume. - Le Maroc représente la porte d'entrée pour l'Afrique, comment vous voyez la coopération tripartite Japon-Maroc-Afrique ? - La coopération Sud-Sud représente l'un des axes névralgiques de la diplomatie marocaine pilotée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Cette approche est en complémentarité avec notre vision pour l'Afrique et le monde arabe. D'ailleurs, le Japon a réalisé depuis 1990 que l'Afrique déborde de potentialités et a commencé à lui accorder une grande importance. A travers des projets de coopération triangulaire à titre d'exemple, nous offrons aux ressortissants de pays subsahariens des stages au Maroc. En outre, vu le grand dynamisme des entreprises marocaines dans les pays africains, dans différents secteurs comme les banques, la communication... des partenariats privés Maroc-Japon peuvent être faits sur le marché africain. - Depuis le nouveau gouvernement, les restrictions d'armement du Japon ont connu une baisse, peut-on s'attendre à une coopération sécuritaire ou encore à des investissements de la part des opérateurs japonais à la stratégie de défense marocaine ? - Certes, le Maroc est en train de renforcer son arsenal et nous sommes en train de suivre tout ce qui est en train de se faire. Toutefois, concernant la participation du Japon à cet effort, notre pays a encore des restrictions très rigoureuses sur l'exportation des armes, je crois donc que nous n'aurions pas de rôle à jouer dans ce domaine-là. Mais concernant la coopération sécuritaire, la situation géographique de nos deux pays fait que nous n'avons pas encore de projets sécuritaires en vue, mais le Japon est très intéressé à la paix en Moyen-Orient et nous suivons de près la politique stratégique du Maroc en ce sens. Nous sommes toujours contre les menaces du terrorisme et nous nous joignons aux efforts internationaux pour combattre ce fléau. Nos deux pays regardent dans la même direction et nos efforts peuvent alors converger.
La coopération Sud-Sud représente l'un des axes névralgiques de la diplomatie marocaine.
- Des « mangakas marocains » marquent de plus en plus la scène culturelle marocaine, comment vous accompagnez cet accroissement d'intérêt à la culture japonaise ? - Au Maroc, l'intérêt pour la culture japonaise va au-delà du dessin animé et du manga, s'étendant aussi à la culture traditionnelle telle que la cérémonie du thé ou les arts martiaux, et la motivation est grande chez les jeunes qui apprennent la langue japonaise. Nous essayons de continuer à fournir les diverses informations sur le Japon et en présenter les aspects culturels pour mieux répondre aux attentes des Marocains s'intéressant à notre culture. Recueillis par Hiba CHAKER
Bio express Fin connaisseur du Maroc et aussi des affaires du pays, M. Shinozuka Takashi a une longue expérience diplomatique allant de la Maison Impériale au Japon aux représentations diplomatiques dans différents pays avant de s'installer au Royaume en janvier 2020 comme ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire. Diplômé d'une licence en droit de l'université de Tokyo, Shinozuka Takashi a été élève étranger à l'Ecole Nationale d'Administration en France. Après son entrée au ministère japonais des Affaires Etrangères, il a d'abord servi en administration centrale (Directions d'Europe, des affaires culturelles et des affaires économiques) et au cabinet du Premier ministre ainsi qu'aux ambassades du Japon en France et au Myanmar. D'ailleurs, il a passé onze ans à la Maison Impériale où il a été Vice- Grand Maître des cérémonies avant d'être nommé consul général à Atlanta.