Les scientifiques qui ont par le passé élaboré les diverses simulations d'éruptions volcaniques aux Canaries n'ont pas exclu la possibilité d'un embrasement qui déchaînerait un tsunami. Invitation à la vigilance... Depuis dimanche dernier, la Nature reprend ses droits dans une partie de l'archipel des îles Canaries. Un demi-siècle après son dernier réveil, le volcan Cumbre Vieja situé, dans le Sud de l'île de La Palma, a entamé un nouvel épisode d'éruption volcanique. Si le phénomène n'a pas fait de morts parmi les populations locales, les dégâts matériels sont impressionnants. La coulée de lave qui chemine tranquillement vers l'océan a détruit sur son passage près de 154 hectares de terrain et 320 bâtiments. Selon l'Institut volcanologique des Canaries (Involcan), l'éruption du « Vieux Sommet » (traduction littérale : Cumbre Vieja) pourrait durer « entre 24 et 84 jours », avec à la clé d'importantes émanations de gaz et de fumées. Entre 6000 et 11.500 tonnes de dioxyde de soufre sont ainsi recrachées quotidiennement dans l'atmosphère. Le nuage, qui a déjà atteint les côtes marocaines et la péninsule ibérique, devrait ensuite remonter vers les îles Baléares et le Sud de la France, selon les projections du programme Copernicus. Le risque de tsunami Les répercussions de ce phénomène sur le Maroc pourraient cependant s'étendre au-delà des simples nuages de gaz. Face à une catastrophe naturelle dont les forces sont indomptables, les scientifiques prédisent plusieurs scénarios probables dont le pire donne des sueurs froides à l'ensemble des pays de l'Atlantique. En 2001, un groupe de scientifiques avait développé une théorie qui décrit la possibilité qu'une éruption volcanique violente dans les îles Canaries puisse causer un mégatsunami. Cette hypothèse se base sur l'existence d'une supposée faiblesse du terrain par endroits autour du volcan. « Un tsunami causé par des éruptions volcaniques se forme théoriquement suite à un glissement de terrain des versants du volcan : un collapse, qui se retrouve dans l'océan. Le grand volume de la terre qui pénètre dans l'eau provoque une vague proportionnellement équivalente, qui ensuite se propage en s'amplifiant », explique Pr Iz-Eddine El Amrani El Hassani, pétrologue géochimiste à l'Institut Scientifique de Rabat. Un scénario peu probable Le postulat cauchemardesque de ce « worst-case scenario » a cependant été démenti plusieurs fois depuis la publication de cette théorie. « Personnellement, je me base sur les données qui nous arrivent au fur et à mesure. Il y a sur place une antenne de l'Institut géographique national espagnol, ainsi que d'autres instituts qui ont des capteurs sur place et qui nous donnent des informations sur la situation. Avant l'éruption, la communauté scientifique a vu venir le phénomène en suivant plusieurs indices que les nouvelles technologies pouvaient mettre en évidence. Grâce à cela, il a été constaté que la zone d'éruption a une aire très localisée. Le scénario le plus pessimiste est basé sur l'éventualité d'un cataclysme dont la dimension toucherait toute la niche d'arrache ment de la grande masse de l'île. Là, il est évident que nous sommes loin de ce cas de figure puisque les paramètres relayés indiquent une zone très limitée, ce qui explique d'ailleurs que les autorités locales n'ont pas fait évacuer toute l'île », nous explique pour sa part Pr Nacer Jabour, chef de division à l'Institut National de Géophysique. La vigilance est de rigueur Selon les dernières informations provenant de cette île peuplée de 85.000 habitants, près de 6 .100 personnes (dont 400 touristes) ont été évacuées depuis le début de l'éruption. Plusieurs vidéos qui ont circulé dans les médias et les réseaux montrent l'impressionnant cheminement de la coulée de lave qui ravage tout sur son passage. À ce stade, les spécialistes ne sont pas certains que les ruisseaux de magma atteindront l'océan, puisque la vitesse de la lave semble ralentir à un kilomètre par heure. Les responsables canariens estiment que les dégâts provoqués par la catastrophe dépassent déjà les 400 millions d'euros. « Même si tout semble indiquer que les risques de tsunami sont quasiment nuls, il est important de rester vigilant. C'est d'ailleurs une occasion pour le Maroc de revoir ses dispositifs et protocoles prévus pour prévenir et agir dans de telles situations et aussi d'améliorer le niveau de coordination entre les divers intervenants et parties prenantes », conclut Pr Iz-Eddine El Amrani El Hassani. Oussama ABAOUSS
Repères Risque de tsunami en Méditerranée Une récente étude du Conseil supérieur de la recherche scientifique (CSIC) espagnol a suggéré que des failles dans le bassin central de la mer d'Alboran, située entre la péninsule ibérique et le Nord de l'Afrique, pourrait déclencher des tsunamis. La faille d'Averroès pourrait provoquer un saut vertical de 5,4 mètres, ce qui pourrait également générer un séisme de magnitude 7, estime les auteurs qui soulignent la nécessité de préparer des mesures visant à atténuer l'impact d'une éventuelle catastrophe. Le Maroc et les tsunamis Le 1er novembre 1755 à 9 h 40 mn, un violent séisme avait ébranlé le littoral de l'Afrique du Nord, du détroit de Gibraltar à Alger. Cette catastrophe naturelle avait causé le plus important tsunami enregistré dans la région. La vague avait à l'époque ravagé plusieurs villes côtières du Royaume dont Tanger, Asilah, Larache, Mehdia, Salé, Safi et Agadir. Si d'autres tsunamis avaient sévi en Méditerranée en 1848 puis en 1889, celui de 1755 est considéré comme le plus dévastateur durant les derniers siècles. L'info...Graphie Mécanique d'un cataclysme Les multiples phénomènes qui peuvent engendrer des tsunamis
D'une façon générale, les tsunamis sont habituellement générés par de grands tremblements de terre (une magnitude supérieure à 7 à l'échelle de Richter), sous-marins et peu profonds. Cela dit, ce phénomène extrême peut avoir d'autres origines, à savoir les mouvements de terrain sous-marin de grande ampleur et les éruptions volcaniques de type explosif qui surviennent dans des îles ou dans les profondeurs sous-marines. Parmi les causes possibles, on compte aussi les impacts météoritiques et les explosions nucléaires sous-marines. Suite à leur génération, les tsunamis se propagent dans toutes les directions, parfois sur plusieurs milliers de kilomètres, jusqu'à atteindre les côtes et exercer leur effet dévastateur. Sachant qu'un tsunami n'est pas la conséquence d'éléments à caractère météorologique et afin d'éviter l'association fausse avec les marées et pallier l'imprécision du terme de raz-de-marée, les scientifiques préfèrent le mot tsunami, officialisé en 1963. Le terme est passé par ailleurs dans la langue courante.
Coopération Un don japonais pour doter le Maroc de technologies d'alerte précoce
En lien avec son mandat dans le domaine des sciences, l'UNESCO facilite et promeut l'utilisation de la science et de la technologie pour contribuer à la Réduction des Risques de Catastrophe. L'Organisation veille au renforcement de la coopération scientifique internationale pour améliorer les capacités de ses pays membres à se prémunir des risques de catastrophes. C'est dans ce cadre que l'Organisation a fait bénéficier le Centre National pour la Recherche Scientifique et Technique (CNRST) d'un don d'équipements de haute technologie d'alerte précoce aux tremblements de terre fourni par la compagnie japonaise Challenge Company Limited. Entre les 17 et 21 janvier 2021, M. Kazuo Sasaki, président de la compagnie nippone, était au Maroc pour une mission de remise et d'installation de sept équipements de haute technologie d'alerte précoce aux tremblements de terre. « Grâce au professionnalisme et à la collaboration efficace du staff du CNRST, cette mission a été couronnée de succès et a permis d'installer le premier équipement à l'Institut National de Géophysique et les autres au niveau des villes de Kénitra, Larache, Tanger, Al-Hoceima, Nador et Fès », précise un communiqué de l'UNESCO. Le matériel en question permet de détecter les tremblements de terre juste avant leur occurrence et de lancer des messages d'alerte à travers des haut-parleurs. Il est également d'une grande utilité pour l'alerte au Tsunami et peut déclencher l'arrêt instantané de certains équipements sensibles (machines au niveau des centrales nucléaires, trains, ascenseurs, ...).
3 questions à Samira Mellas, Docteur en géosciences marines et gestion des risques « Le Maroc ne dispose pas de stratégie spécifique de prévention »
Enseignante-chercheuse à l'Institut Supérieur d'Etudes Maritimes et auteure d'un article scientifique sur les risques de tsunami au Maroc, Samira Mellas répond à nos questions.
- Existe-t-il une stratégie et un système de veille dédiée au tsunami au Maroc ? - Le Maroc, malheureusement, ne dispose pas encore de stratégie « spécifique » de prévention et de gestion du risque tsunami, ni d'un système d'alerte au tsunami « opérationnel ». Cependant, notre pays a déployé ces dernières années de grands efforts en vue de mettre en place un dispositif de surveillance et d'alerte aux tsunamis, pour réduire le risque et protéger ses côtes. En effet, ce système est en cours de développement et est piloté par l'Institut National de Géophysique (ING), l'organe qui dispose de l'infrastructure pour la détection des séismes et développe continuellement son réseau de marégraphes télémétrés pour détecter les vagues de tsunami. Ainsi, dans le cadre de la nouvelle Stratégie Nationale de Gestion des Risques 2021-2031, parmi les projets jugés prioritaires dans le cadre de son plan d'action prioritaire 2021-2023, on trouve le projet relatif aux ''Etudes et scénarios du risque de tsunami pour les territoires prioritaires'' qui se décompose en deux actions. La première consiste en ''L'élaboration de la cartographie du risque de tsunami'', et la deuxième correspond à ''L'étude pour la mise en place d'un système d'alerte Tsunami''. - Quelles sont les institutions chargées de piloter ce projet ? - Les responsables de ce projet sont le ministère de l'Intérieur, le Centre Royal de Télédétection Spatiale (CRTS), la Direction Générale de la Météorologie (DGM) et le Centre National pour la Recherche Scientifique et Technique (CNRST), et il sera mis en oeuvre en étroite coopération avec plusieurs partenaires dont le ministère de l'Equipement et du Transport, la Marine Royale, les collectivités territoriales, le Fonds de Solidarité contre les Evénements Catastrophiques (FSEC), le Centre National de Coordination du Sauvetage Maritime (CNCSM), l'Institut National des Sciences de l'Archéologie et du Patrimoine (INSAP) ainsi que des experts nationaux et internationaux. - Le Maroc est-il impliqué dans un dispositif régional d'alerte ? - À l'échelle régionale, le Maroc participe activement au système d'alerte aux tsunamis pour l'Atlantique Nord-Est et la Méditerranée (NEAMTWS : North-eastern Atlantic, the Mediterranean and Connected Sea Tsunami Warning System) et aux exercices de simulation de tsunami, coordonnés par le Groupe de coordination intergouvernemental UNESCO/COI pour le NEAMTWS, dont le dernier ''NEAMWAVE 21'' a été organisé en mars 2021. Recueillis par O. A.