Une nouvelle série de publications scientifiques souligne l'importance de l'impact économique des espèces invasives en Afrique et dans les pays du bassin méditerranéen. Détails. Dans une série de 3 articles scientifiques publiés dans la revue spécialisée « Neo Biota », une équipe internationale d'experts tire la sonnette d'alarme concernant les menaces environnementales, socioéconomiques et sanitaires liées aux espèces exotiques envahissantes (espèces introduites qui prolifèrent). Le deuxième article de cette série, consacré au continent africain, souligne qu'entre 1970 et l'année 2020, les coûts déclarés des invasions biologiques varient entre 18,2 et 78,9 milliards de dollars. « Plus alarmant encore, ces coûts augmentent de façon exponentielle au fil du temps, sans aucun signe de réduction pour les années à venir », précise Pr Ahmed Taheri, entomologiste, enseignant chercheur à l'Université Chouaïb Doukkali et co-auteur de l'étude. Le troisième article de la série, qui sera publié dans les prochains jours sur la même revue scientifique et dont nous avons pu obtenir une copie en avant-première, tente de quantifier l'impact économique des espèces invasives au niveau du bassin méditerranéen. Là aussi, les données sont inquiétantes : « De façon générale, les coûts liés aux invasions augmentent avec le temps, avec un coût annuel moyen entre 1990 et 2017 estimé à $975,5 millions ». Exotique mais pas forcément envahissant « Quantifier le coût économique de l'impact des espèces exotiques envahissantes est un travail long et fastidieux. Il existe dans notre continent des lacunes de connaissances très importantes dans ce domaine. Les conclusions qui ressortent à chaque fois dans nos publications soulignent la nécessité justement de combler ces manques de données afin de pouvoir disposer d'une perspective précise sur le sujet », explique l'entomologiste marocain. Par « espèces exotiques envahissantes », les scientifiques font référence à diverses espèces de faune et de flore qui ont été introduites volontairement ou accidentellement dans des écosystèmes où elles n'existent pas à l'origine. « Toutes les espèces exotiques ne sont pas forcément envahissantes. Des milliers d'espèces exotiques en tout genre ont été introduites en dehors de leurs habitats d'origine que ce soit dans le domaine de l'agriculture, de l'élevage ou encore à des fins ornementales pour la flore. Ce n'est qu'une infime fraction de ces espèces qui a le potentiel de devenir envahissante, c'est-à-dire de s'adapter à son nouveau milieu, de s'y reproduire et d'entrer en compétition avec des espèces locales engendrant au passage des dégâts plus ou moins importants », explique le chercheur. Un travail qui implique plusieurs départements Avec l'augmentation en importance du transport et du commerce international, les introductions accidentelles d'espèces exotiques devenues invasives se sont multipliées dans toutes les régions de la planète. Les dégâts engendrés par ce phénomène touchent principalement les équilibres des écosystèmes naturels, l'agriculture et parfois la santé humaine quand les espèces invasives en question représentent un risque sanitaire ou sont des vecteurs de maladies (exemple du moustique tigre qui véhicule le paludisme). « Pour lutter contre les impacts potentiellement néfastes de ce phénomène, nous disposons de plusieurs programmes dédiés à des espèces spécifiques. Nous travaillons sur la base de la liste des espèces dites « de quarantaine » qui est régulièrement mise à jour par l'Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes (OEPP)», explique pour sa part Fouad Assali, chef du Centre National de Gestion des Risques Climatiques Forestiers. « Notre travail se focalise principalement sur les espèces invasives qui peuvent toucher les écosystèmes forestiers. Cet effort implique cependant d'autres institutions, principalement les Douanes, l'ONSSA et un certain nombre de laboratoires nationaux et privés », poursuit la même source. Prévention et traitement des infestations Lutter contre le risque des espèces invasives commence au niveau des entrées du territoire (ports et aéroports). Sachant que ces espèces « voyagent » dans des produits très divers (des produits intermédiaires, du bois d'importation, des aliments...), les douanes marocaines ont mis en place plusieurs protocoles (quarantaines, exigences de traitement ou de certification sanitaire) qui permettent de limiter les risques. « A notre niveau, la surveillance se fait en aval, c'est-à-dire dans les écosystèmes forestiers. Nos agents sur le terrain sont à l'affût de symptômes caractéristiques qui peuvent être des indices de présence d'espèces invasives. Quand ils suspectent une infestation, une commission d'experts est dépêchée sur place pour faire des échantillonnages qui sont ensuite analysés. Si la présence d'une espèce invasive est avérée, on débute alors des protocoles de traitement adaptés à l'espèce et au degré d'infestation », résume Fouad Assali. En dépit des efforts menés dans ce domaine au Maroc et dans les pays méditerranéens, les scientifiques appellent à la mise en oeuvre d'une approche régionale et coordonnée. « C'est une menace importante, croissante et silencieuse. Notre pays gagnerait à redoubler d'efforts pour améliorer encore plus les connaissances et les dispositifs de lutte et de prévention », conclu Ahmed Taheri.
Oussama ABAOUSS L'info...Graphie question au Pr Ahmed Taheri, entomologiste « Mieux vaut prévenir que guérir »
Co-auteur de l'étude sur le coût économique des espèces invasives en Afrique et enseignant chercheur à l'université Chouaïb Doukkali, Pr Ahmed Taheri répond à nos questions. - Comment peut-on augmenter l'efficacité de la lutte contre les espèces invasives au Maroc ? - En dépit des efforts menés au niveau national, la lutte contre les espèces invasives reste encore perfectible à travers une amélioration de la coordination entre les multiples intervenants qui agissent dans ce domaine. L'article scientifique qui évalue le coût économique de la lutte contre les espèces invasives dans le bassin méditerranéen recommande justement d'améliorer l'efficacité de ce chantier grâce à une approche régionale ou territoriale qui vise la mise en place d'une politique de réponse coordonnée contre les espèces exotiques envahissantes. - Qu'en est-il des lacunes de connaissances mises en évidence plusieurs fois dans les articles scientifiques ? - C'est un véritable problème, car le manque de données ne permet pas de réaliser l'ampleur des impacts liés aux espèces invasives et, donc, la mise en place d'une réponse efficace et adaptée. Le Maroc compte plusieurs espèces exotiques envahissantes aquatiques et terrestres. En dépit de cela, il n'existe quasiment pas de données publiques sur le coût économique de la lutte contre ces espèces. Les seules données de ce genre que nous avons trouvées sont liées à une seule espèce : « Tuta absoluta » qui est un ravageur de la tomate. Je pense que la recherche scientifique axée sur les espèces invasives est un pilier qu'il faut absolument développer encore plus au niveau national pour combler justement cette lacune de connaissance. - Quelles sont, selon vous, les priorités concernant la lutte contre les espèces invasives au Maroc ? - Le savoir-faire dans ce domaine et les profils scientifiques marocains existent, mais gagneraient à être mieux valorisés dans le cadre d'une stratégie transversale coordonnée par une instance spécialement dédiée à ce sujet. D'un autre côté, les études que nous avons menées à l'échelle mondiale nous ont indiqué que les pays les plus avancés dans ce domaine investissent beaucoup dans la prévention. C'est une orientation stratégique pertinente qui devrait être renforcée au Maroc. On dit que « mieux vaut prévenir que guérir ». C'est parfaitement vrai dans notre cas de figure, car la prévention de ce genre de risque coûte toujours beaucoup moins que le traitement en aval d'une infestation déjà en cours.