Après près de trois mois de crise diplomatique, l'Espagne montre pour la première fois sa réelle volonté d'apaiser la tension avec le Maroc en sacrifiant sa ministre espagnole des Affaires étrangères, Arancha Gonzalez Laya. Eclairage. À l'issue du très attendu remaniement ministériel du gouvernement ibérique annoncé samedi 10 juillet, sept ministres appartenant au Parti socialiste ouvrier espagnol ont été poussés vers la sortie, dont Gonzalez Laya qui fait partie des principaux acteurs derrière la pire crise entre Rabat et Madrid durant les seize dernières années. Un départ qui relève de l'évidence : premièrement du fait que les partis de l'opposition appellent, depuis des semaines, à sa démission, épinglant son échec historique à gérer la tension avec le Royaume, premier partenaire commercial de l'Espagne sur le continent ; deuxièmement vu le rôle central qu'elle a joué dans l'accueil, en catimini, de Brahim Ghali, leader des séparatistes du Polisario, et ce malgré les avis négatifs des ministres espagnols de l'Intérieur et de la Défense ainsi que les services de renseignements. En effet, si la ministre a refusé et refuse toujours d'admettre toute responsabilité dans le déclenchement de la crise maroco-espagnole, l'armée de l'Air espagnole a reconnu, début juillet, dans un document écrit, que Brahim Ghali AKA « Mohammed Ben Battouch » n'a été soumis à aucune procédure de contrôle de passeport lors de son arrivée le 18 avril à l'aéroport de Saragosse dans un avion en provenance d'Algérie, suite à un ordre direct d'Arancha Gonzalez Laya. Ce qui fait d'elle la principale pièce à éliminer dans le gouvernement espagnol pour relancer le dialogue avec la diplomatie marocaine. «Le remaniement ministériel est un pas en avant pour la sortie de crise », nous indique Mohammed Maelaïnin, diplomate, ancien ambassadeur du Maroc dans plusieurs pays, qui précise que le Maroc ne refuse pas les gestes positifs, «il reste sur ses aguets et à chaque position, il marque la réaction conséquente». Dans ce sens, le diplomate affirme que la ministre a commis l'erreur fatale de rester «cette Basque du temps où les basques étaient séparatistes et où ils soutenaient le "polisario" », estimant ainsi «qu'elle n'a été éjectée du gouvernement qu'en conséquence de son incompréhension du Maroc, grand voisin du Sud de l'Espagne », ce qui fait d'elle une personne inadéquate pour assurer la sortie de crise. Une position partagée par bon nombre de politiques et médias espagnols, notamment El Pais, proche du gouvernement, qui a indiqué dans un article publié samedi que le jour où le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, a décidé de couper le contact avec l'Espagne, «son homologue espagnole, Arancha González Laya, a été condamnée ». «Une ministre des Affaires étrangères qui ne peut pas parler au Maroc peut être très bonne, mais elle n'est pas utile », écrit le journal, citant un diplomate «chevronné ». Ce n'est qu'un début La substitution de la ministre des Affaires étrangères par José Manuel Albares, ex-conseiller de Pedro Sánchez, suffira-t-elle à tourner la page de la crise entre Rabat et Madrid ? Rien n'est moins sûr, puisque les revendications du Maroc ne dépendent nullement des individus, mais plutôt de l'orientation diplomatique du gouvernement en entier. «La réparation de son erreur réside non pas seulement dans son éjection, qui est un pas positif, mais surtout dans les positions à venir », note Mohammed Maelaïnin. En effet, la diplomatie marocaine a déclaré, en début de crise, sans ambages, que le fond de la mésentente est une question d'arrière-pensées espagnoles hostiles au sujet du Sahara, cause sacrée de l'ensemble du peuple marocain. Les attentes du Royaume devront ainsi commencer d'abord par une clarification définitive par l'Espagne de ses choix, de ses décisions et de sa position sur la marocanité du Sahara. Tant que le gouvernement Sanchez continuera de botter en touche sans montrer une réelle volonté de vouloir asseoir un partenariat d'égal à égal avec un pays stratégique tant pour l'Espagne que pour l'Europe, la tension diplomatique ne verra pas le bout du tunnel de sitôt. Un état des lieux préjudiciable pour le gouvernement espagnol,dont la légitimité se réduit en peau de chagrin, surtout en ce moment délicat où le Parti populaire et Vox gagnent du terrain avec une démarche populiste qui s'avère efficace pour eux dans ce contexte de brouille. Un retour à la normale avec le Maroc permettrait donc aux socialistes espagnols de recentrer le débat sur des thématiques internes et d'éviter la constitution d'un front de droite dure capable de décrocher la majorité absolue lors des prochaines élections. L'enjeu est d'envergure !