Le Maroc s'apprête à atteindre le cap des 10 millions de vaccinés, les autorités sanitaires prévoient une couverture vaccinale pour les trentenaires, puis les plus jeunes, dans les prochaines semaines. Depuis quelques mois, les médecins des soins intensifs dans plusieurs pays du monde, particulièrement au Brésil ou encore dans le Royaume-Uni, voient de plus en plus de patients jeunes remplir les lits de leurs hôpitaux. Si cette catégorie de la population est connue pour être la plus résistance face au Covid-19, elle est devenue dernièrement la première victime de la flambée des variants, poussant les Etats à vacciner les juniors illico presto. Au Maroc, où la campagne nationale de vaccination est arrivée au stade des quadragénaires, la situation n'est pas aussi alarmante qu'en Europe, néanmoins, avec l'allègement des mesures restrictives et la réouverture des frontières pour certains pays, l'intrusion de ces nouvelles souches du Covid, qui font des jeunes une cible de choix, devient de plus en plus probable. «Nous attendons la prochaine livraison des vaccins pour élargir la campagne aux trentenaires», nous confie Saïd Afif, Président du Conseil syndical national des médecins généralistes privés (CSNMSP) et membre du comité scientifique et technique de vaccination, qui ne cache pas son inquiétude quant aux dangers des variants, surtout sur les jeunes.
Ce dernier souligne qu'une partie de cette catégorie est déjà vaccinée, notamment «les personnes travaillant dans le secteur de la Santé, sans oublier les étudiants en médecine, et ce, du fait qu'ils sont également en première ligne face à la pandémie». A cela s'ajoutent les jeunes qui souffrent de « maladies chroniques, qui sont partie intégrante de la population vulnérable», précise notre interlocuteur. «Nous restons dépendants des fournisseurs» ! Cela dit, en passant en revue la situation épidémiologique dans le monde, on s'aperçoit rapidement que la course contre la montre de la vaccination engagée doit aussi se faire auprès des jeunes. Au Brésil, plus de 50% des patients hospitalisés en soins intensifs sont âgés de moins de 40, alors qu'ils n'étaient que 14,6% au début de la pandémie. En Inde, les choses sont presque à l'identique...lors de la dernière vague, 65% des personnes touchées par le virus ont moins de 45 ans. «En effet, les données disponibles pour le moment soulignent l'impératif de lancer la vaccination des jeunes, surtout les vingtenaires, puisqu'ils contribuent significativement à véhiculer le virus, et souvent ne respectent pas les gestes barrières», souligne Saïd Afif, notant toutefois que cette étape «reste dépendante du rythme d'approvisionnement des doses». Le Royaume qui a déjà reçu près de 18 millions de doses des vaccins, Sinopharm et AstraZeneca, attend toujours le reste, soit quelque 45 millions de vaccins, sans oublier sa dotation Covax, qui était initialement estimée à 1,6 million de doses du vaccin britannique. «Si nous recevons ces lots dans les délais, nous allons pouvoir baisser la tranche d'âge dans les prochaines semaines, à même de vacciner les plus jeunes, qui constituent près de 40% de la population nationale», avance Afif. Quid de l'immunité collective ? Aujourd'hui, la question fait presque l'unanimité. Bon nombre d'experts estiment que la vaccination des plus jeunes sert à atteindre plus rapidement l'immunité collective. «Ceux-ci s'exposent davantage aux risques que leurs aînés, soit parce qu'ils doivent aller travailler, donc plus de mobilité, soit parce qu'ils se croient moins vulnérables», explique Tayeb Hamdi, médecin, chercheur en politiques et systèmes de santé (voir 3 questions à...). D'autant que l'atteinte de l'immunité collective est beaucoup plus complexe qu'elle ne paraît. «Avec un taux d'efficacité avoisinant les 80%, il faut, théoriquement, vacciner quelque 80% de la population pour garantir l'immunité collective», indique Hamdi qui rappelle que la population âgée de plus de 15 ans dépasse de peu les 70% de la population totale. Pour atteindre la fameuse immunité, il faut donc, non seulement élargir la campagne à la tranche d'âge de 20 ans et plus, mais également inculquer les doses d'espoir aux adolescents. Néanmoins, l'objectif immunitaire reste encore « un mirage », selon le chercheur en politique et systèmes de Santé, puisqu'à peine près du tiers des résidents au Maroc ont été vaccinés, sachant que les autorités sanitaires attendent toujours plus de 40 millions de doses, dont la livraison ne se fera pas de sitôt, suite à la bataille commerciale qui règne aujourd'hui entre les fournisseurs de vaccins et les Etats.
Saâd JAFRI
Repères Allégement des restrictions : la tutelle sonne le tocsin Le ministère de la Santé a mis en garde, lundi, contre les dangers liés au non-respect des mesures préventives relatives à la Covid-19, notamment après le relâchement considérable observé durant les derniers jours. Dans un communiqué, la tutelle appelle les citoyennes et citoyens au respect strict des mesures préventives contre la Covid-19 recommandées par le Comité national scientifique et les autorités sanitaires du pays, à travers le port correct du masque, l'hygiène, le respect de la distanciation sociale et l'évitement des rassemblements non-nécessaires. L'objectif est de préserver les acquis réalisés. La vaccination... se poursuit, mais doucement ! Après une courte suspension, l'approvisionnement vaccinal du Maroc a repris son cours grâce à un nouveau lot de Sinopharm, comptant un million de doses. Avec ce nouvel arrivage, la campagne de vaccination va pouvoir renouer avec son rythme normal, sachant que près de 10 millions de personnes ont déjà reçu leur première dose. Ainsi, près du tiers de la population cible de la campagne nationale a déjà entamé le processus de vaccination.
3 questions à Tayeb Hamdi, médecin, chercheur en politiques et systèmes de santé « La vaccination des jeunes est importante, mais les moins jeunes restent les plus menacés » - Les jeunes sont une cible de choix pour certains variants, notamment l'Alpha, le Beta et le Gamma. Ne faut-il donc pas faire de cette partie de la population une priorité, surtout avec la réouverture des frontières ? - La question de la vaccination des jeunes fait objet de débats, partout dans le monde, surtout que ces derniers développent des infections moins graves que les personnes âgées.Toutefois, la situation est bien plus complexe. Il est vrai que les cas de décès chez les jeunes sont beaucoup moins importants que chez les seniors. Si on a 1000 personnes âgées de moins de 40 ans contaminées, il y a une forte probabilité que 10 d'entre elles soient conduites en réanimation et un sujet décède.La situation au Maroc ne paraît pas alarmante du fait que le taux de contamination est désormais faible au Maroc. Si on ne procède pas à la vaccination de cette partie de la population, qui est, rappelons-le, caractérisée par sa forte mobilité, nous risquons de voir des centaines de personnes en réanimation et des dizaines de décès par jour. D'autant plus que les personnes âgées de plus de 40 ans ne sont pas tous vaccinées (personnes non-éligibles à la vaccination : femmes enceintes, maladies chroniques, ou des anti-vac.../ NDLR), ce qui est un grand point faible, dans le sens où, si le Maroc connaît une vague de contaminations, celles-ci seront les premières victimes. Donc, oui, la vaccination des jeunes est importante, mais les moins jeunes et les personnes souffrant de maladies chroniques sont encore plus menacés par les variants que vous avez mentionnés, car ils seraient plus virulents pour les jeunes, mais ils seraient également plus meurtriers pour les moins jeunes. - Quel est impact de ces variants sur l'immunité collective ? - Premièrement, il faut noter que la fin de la pandémie n'est pas pour demain, et ce, du fait qu'il y a de grandes inégalités de distribution des doses dans le Monde. Il sied également de mentionner que l'immunité collective nationale reste majoritairement tributaire de l'immunité collective au niveau mondial. Cela dit, avec la propagation des nouvelles souches et l'ambiguïté qui entoure l'approvisionnement des doses, il est difficile de se prononcer sur une date précise de l'immunité collective. Sur le plan épidémiologique, il faut aussi mettre à jour la base de calculs estimatifs. Si le pouvoir de transmission du variant britannique plus que la souche classique et que le variant indien a un pouvoir de transmission 50% de plus par rapport au britannique, il faut donc au lieu de faire les calculs du taux d'immunité collective sur la base d'un R0, il faut le faire par rapport à un R0 entre 4 et 5 en fonction des souches propagées. Avec la réouverture des frontières, tous les variants risquent de s'incruster, mais grâce au dispositif mis en place, ils ne se propageront pas dans le territoire national. - Avec l'approvisionnement des vaccins qui avance à pas de tortue, pensez-vous qu'on pourrait dépasser, sans problèmes, les « tests » de la saison estivale et l'Aïd Al Adha ? - Nous avons remarqué dernièrement un certain relâchement qui pourrait entraîner la détérioration de la situation épidémiologique, notamment avec les vacances d'été, le retour des vols internationaux de et vers le Maroc, l'allègement du couvre-feu nocturne et l'approche de l'Aïd Al Adha. Même avec un approvisionnement constant des vaccins, la vigilance reste de mise. Il faut à tout prix éviter le rétropédalage et préserver les acquis, et ce, en respectant les consignes communiquées par les autorités sanitaires. Si celles-ci sont respectées, nous passerons une saison estivale sans rechute.