Concédant plusieurs avancées dans le domaine énergétique, le Nouveau Modèle de Développement pointe plusieurs dysfonctionnements et esquisse une feuille de route aussi ambitieuse que laborieuse. Dans le Nouveau Modèle de Développement (NMD), l'énergie détient une place de choix, car l'économie de notre pays dépend de ce secteur qui est aussi transversal que complexe. Dépendant quasi-exclusivement de l'extérieur pour son approvisionnement en hydrocarbures, le Maroc subit l'évolution erratique des prix sur le marché international, avec des tensions fortes sur la balance commerciale et sur l'équilibre des finances publiques. « Le défi du pays pendant les dix prochaines années sera d'offrir une énergie à la fois verte et compétitive. Le choix d'une énergie propre représente une option incontournable d'alignement sur les exigences nationales et internationales de durabilité, un levier de compétitivité industrielle, et une opportunité de consolider le positionnement international du pays, à travers le rôle fondamental qu'il peut jouer pour l'approvisionnement de pays voisins en énergie propre. En outre, la réforme profonde du secteur énergétique permettant d'aboutir à une énergie compétitive est aujourd'hui une nécessité pour enclencher la transformation structurelle de l'économie », précise la Commission spéciale sur nouveau modèle de développement (CSNMD). Des acquis et des dissonances Dans son diagnostique, le NMD évoque une stratégie énergétique nationale, adoptée en 2009, qui a posé les bases du cadre réglementaire actuel, particulièrement favorable aux énergies renouvelables, à l'efficacité énergétique et à la durabilité. « Cette stratégie vise à porter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique électrique à 52% à l'horizon 2030, et ce, grâce à des projets structurants d'énergies solaires et éoliennes. Cette stratégie constitue un emblème du volontarisme du Maroc dans des domaines pionniers » souligne le rapport. L'examen du fonctionnement du secteur énergétique marocain laisse cependant apparaître « des dissonances tant au niveau de la doctrine énergétique nationale, non-évolutive et en silos, qu'au niveau de la gouvernance, trop plurielle pour la taille du marché marocain, qui génère divergence et opacité et décourage l'initiative privée », pointe la commission qui évoque par ailleurs « l'absence d'un régulateur dédié » et le fait que « l'énergie demeure un facteur de production relativement cher ». Essoufflement et paralysie Concernant les énergies renouvelables, le rapport admet que la politique volontariste de l'Etat en matière de développement des énergies renouvelables a permis de positionner le Maroc comme leader régional (MENA) de la transition énergétique. « Cette politique accuse toutefois un certain essoufflement et peine à s'inscrire en totale convergence avec les mutations du contexte international, notamment pour ce qui est des transformations technologiques qui s'opèrent à une vitesse accélérée », souligne le rapport qui fait ainsi référence à un phénomène de « paralysie d'analyse » (immobilisme induit par une analyse excessive de certains enjeux énergétiques, entravant la prise de décision) qui est apparent sur plusieurs dossiers énergétiques et qui « empêche le Maroc d'embrasser des opportunités ». Sur un autre registre, le rapport note que « l'arrêt de l'activité de raffinage de pétrole depuis 2016 et la gestion peu claire des stocks stratégiques en produits pétroliers raffinés qui constituent une source de fragilité à la sécurité énergétique du pays ». Vers un choc de compétitivité Au vu des atouts, des acquis et des réalités du secteur énergétique marocain, l'ambition tracée par le NMD est de « faire de l'énergie un levier d'attractivité et de développement, dans la perspective d'enclencher un véritable choc de compétitivité, autour de critères de prix et de modes de production bas carbone. Une telle approche permettra, par ailleurs, de renforcer la sécurité énergétique du pays (en volumes et en prix) et de l'ériger en acteur mondial dans la durabilité et dans le domaine des énergies renouvelables, avec une impulsion forte à la R&D et à l'industrialisation des équipements de production énergétique ». L'atteinte de cette ambition exigera en particulier trois changements majeurs : la suppression des pertes de compétitivité ; la libéralisation maîtrisée et accompagnée du secteur et la corrélation des prix intérieurs aux tendances internationales ; et enfin, « une politique volontariste, stable mais agile, en cohérence avec les engagements internationaux, sans augmentation des coûts de l'énergie au consommateur ». 3 questions à Badr Ikken, directeur général de l'IRESEN « La question de l'énergie doit faire l'objet d'un véritable travail d'équipe » Directeur général de l'Institut de recherche en énergie solaire et en énergies nouvelles (IRESEN), M. Badr Ikken répond à nos questions sur le secteur énergétique dans le NMD. - Les orientations fixées par le NMD concernant le domaine de l'énergie sont-elles pertinentes et atteignables ? - Les orientations qui ont été établies par le Nouveau Modèle de Développement sont, à mon sens, pertinentes. Les objectifs de décarbonisation des différents secteurs vont cependant constituer un réel défi puisque les efforts actuels de décarbonisation se focalisent uniquement sur la partie électrique. Il va donc falloir s'engager fortement en matière d'efficacité énergétique, mais aussi mettre en place un cadre qui permet d'intégrer les nouvelles technologies, le stockage, l'utilisation directe des énergies renouvelables dans le secteur industriel et d'impulser la filière de l'hydrogène vert. - Quels sont selon vous les autres défis qu'il faudra relever dans ce chantier ? - Aujourd'hui, en se basant sur plusieurs rapports, il est clair qu'il est possible que l'on commence à produire au Maroc des combustibles synthétiques à l'horizon 2035. Cela permettrait de décarboner une grande partie du secteur du transport et une grande partie du secteur de l'industrie. Il va falloir cependant d'ici là continuer à déployer massivement les énergies renouvelables au Maroc. Il va également falloir rapidement développer et déployer la mobilité électrique et la filière des molécules vertes. Le défi sera de pouvoir assurer l'agilité et la recherche et développement nécessaires à cette dynamique. Il faudra par ailleurs veiller à lever les barrières éventuelles pour que ce chantier se fasse dans une approche participative où la question de l'énergie dépasse les clivages et fait l'objet d'un véritable travail d'équipe. - Qu'en est-il du rôle que devront jouer les partenariats internationaux ? - Pour arriver à atteindre les objectifs et ériger le Royaume en véritable hub régional puis international, le partenariat international va jouer un rôle important. Cofinancer notre transition énergétique rapidement implique de pouvoir avoir accès à des marchés d'export avec des partenaires et donc le partenariat international nécessite également un véritable travail d'équipe.