Malgré un exposé plus ou moins concluant des différentes mesures prises par le gouvernement pour la mise en oeuvre du chantier de la généralisation de la protection sociale, le chef du gouvernement n'a pas su répondre à toutes les questions des députés. A l'aube de la concrétisation de l'un des chantiers les plus importants de l'Histoire du Royaume, le chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani, a présenté les « mesures gouvernementales pour activer le chantier de la généralisation de la protection sociale », lors d'une séance plénière mensuelle de politique générale du gouvernement à la Chambre des Représentants, tenue lundi 10 mai. Un chantier national sociétal sans précédent, mené par SM le Roi, qui constitue une « véritable révolution sociale au Royaume », a indiqué Lahcen Haddad, député istiqlalien. En effet, la réussite de ce chantier, notons le, permettra aux citoyens, particulièrement ceux issus des catégories démunies et vulnérables, à jouir d'un soutien et d'une protection sociale, de manière à garder leur dignité et préserver la cohésion sociale et contribuera de manière significative à l'intégration du secteur informel dans le tissu économique national. Le groupe Istiqlalien a d'ailleurs annoncé dès le départ son soutien absolu à ce chantier stratégique d'envergure, mené par SM le Roi, ainsi que sa volonté à participer effectivement dans sa mise en oeuvre sur le terrain, a affirmé Haddad. Un exposé timide des mesures gouvernementales Par ailleurs, El Othmani a rappelé le lancement progressif du processus de la généralisation de la couverture sociale pour tous les Marocains au cours des cinq prochaines années, présentant ainsi le plan d'action global à adopter pour mettre en oeuvre cette réforme, qui comprend le calendrier, le cadre juridique et les options de financement, ainsi que les mécanismes de gouvernance approuvés. Dans ce contexte, il a évoqué les axes majeurs de ce chantier, notamment la généralisation de l'Assurance Maladie Obligatoire (AMO) au profit de 22 millions de bénéficiaires supplémentaires et des allocations familiales au profit d'environ 7 millions d'enfants scolarisés, en plus de l'élargissement de la base des adhérents aux régimes de retraite pour inclure environ 5 millions de personnes. La réforme profonde du système national de santé - notamment les ressources humaines, la gouvernance, l'offre de santé, l'action sociale et les établissements de la protection sociale - figure parmi les mesures accompagnant la mise en oeuvre de ce chantier, a avancé El Othmani. Il va sans dire que la présentation du Chef du gouvernement n'a pa pu convaincre les députés, qui n'ont pas manqué d'émettre de nombreuses remarques et critiques constructives, en se basant notamment sur les expériences antérieures du gouvernement. Comment ne pas retomber dans les erreurs du RAMED ? Lors de son intervention, Lahcen Haddad a souligné que la réussite « nécessite que le prochain gouvernement soit fort, homogène, courageux et précis dans la prise de décision ». Un gouvernement « capable de définir les contraintes réelles auxquelles nous devons faire face et l'ampleur des défis que nous allons rencontrer », a-t-il poursuivi, « afin d'éviter de tomber dans des erreurs de gestions et de prévenir que ce projet d'envergure ne souffre de conflits politiques intergouvernementaux, comme il a été le cas pour de nombreux programmes, initiatives et réformes qui ont échoué à cause des rivalités gouvernementales et des calculs électoraux ». Pour donner plus de couleurs, Haddad a évoqué comme exemple le programme RAMED, introduit en 2012, « qui connaît un échec monumental, à cause des erreurs structurelles que le gouvernement a commises lors de sa mise en oeuvre », a-t-il matraqué. En effet, « dans l'absence d'une réforme du système de santé pour accompagner le programme en question », explique-t-il, « plusieurs promesses n'ont pas été tenues, induisant une augmentation de la demande sans aucun effet positif sur la santé générale ou sur la sécurité sanitaire du citoyen ». Rappelons à cet égard les tares bien connues du programme RAMED. Ce dernier a souffert de nombreuses difficultés en matière de gouvernance et de pilotage, d'absence de traçabilité des ressources affectées, d'identification des citoyens éligibles, d'accès des patients aux soins, de carences de l'offre de soins disponibles et d'insuffisance des outils de régulation, portant ainsi un coup fatal à sa soutenabilité financière et à sa pérennité. Le programme qui devait apporter une solution pour améliorer les conditions sanitaires des populations défavorisées semble avoir eu l'effet contraire. Allongement des files d'attente et des délais de traitement, dégradation de la qualité des soins, usure accélérée du matériel au sein des hôpitaux... sont les résultats d'une gestion gouvernementale arbitraire d'un chantier d'envergure. D'ailleurs, à partir de 2015, le programme a connu une désaffection progressive. En 2017, moins d'un bénéficiaire sur deux choisit de renouveler sa carte. Notons également que dans son rapport 2018 sur la situation sanitaire au Maroc, le Réseau marocain de défense du droit à la santé avait affirmé que « RAMED est un échec ». L'association n'a pas manqué en outre de faire remarquer que « les différentes stratégies de santé adoptées par le gouvernement de 2012 à 2018 se sont limitées à des paroles et à des déclarations politiques, entrecoupées de promesses et d'engagements qui ne peuvent être atteints dans le cadre d'une politique improvisée sans objectifs, sans priorités réelles et sans budget adapté aux besoins et attentes exprimés par les citoyens et les partis ». Dans ce sens, le député istiqlalien a noté qu'il est « nécessaire de redonner confiance aux citoyens dans la politique sociale pour réussir ce projet ». Carte sanitaire, Dossier électronique unifié, prix élevé des médicaments... D'autres problèmes hantent le système de santé au Royaume. « Bien des régions au Maroc connaissent une pénurie inquiétante de compétences médicales », fait remarquer Lahcen Haddad, et ce, encore une fois, « à cause du gouvernement dans la mise en oeuvre de la loi cadre 34.09, notamment concernant la carte sanitaire ». Haddad ne manque tout de même pas de noter que « le dossier électronique patient est une bonne initiative ». Cependant, « dans l'absence de coordination entre les différentes parties concernées, ce projet est également à l'échec », explique-t-il, soulignant qu' « il faut élaborer un système d'information global ». Quant aux prix élevés des médicaments, Lahcen Haddad suggère de créer une agence indépendante, dont le rôle est la réglementation du secteur des médicaments et du matériel sanitaire. « Encourager l'utilisation des médicaments génériques » peut aussi être une solution, selon lui, « mais il faut donner les garanties nécessaires » en adoptant la solution de la bioéquivalence aux médicaments qui disposent d'une licence au Maroc. Repères CPU : 230.000 inscrits à la DGI jusqu'à présent Améliorer la condition des ressources humaines pour réussir le défi Parmi les 800.000 bénéficiaires concernés par la Contribution professionnelle unique (CPU), quelque 230.000 bénéficiaires concernés par la Contribution professionnelle unique sont déjà inscrits auprès de la Direction général des impôts (DGI), a indiqué El Othmani devant les députés, assurant que de nouvelles catégories de professionnels devront bientôt adhérer au régime de l'assurance-maladie obligatoire. Il a en outre affirmé que les négociations avançaient pour l'intégration d'autres catégories de professionnels dans le régime de l'assurance maladie obligatoire (AMO). Les professions concernées par cette prochaine intégration sont notamment les traducteurs, les chauffeurs de taxis, les architectes, les artistes, les pharmaciens, les dentistes, les professions paramédicales ainsi que les greffiers. Améliorer la condition des ressources humaines pour réussir le défi
« Il faut comprendre qu'on ne peut pas imaginer une couverture médicale généralisée sans une refonte globale de notre système de santé, et j'insiste sur ce point. D'ailleurs, cette refonte profonde du système de santé a été toujours le voeu de SM le Roi », insiste Dr Allal Amraoui, chirurgien et député Istiqlalien. Par ailleurs, quand on parle de refonte, il faut prendre en considération la gouvernance, l'infrastructure, l'offre de soins et aussi la gestion des ressources humaines ... La refonte de notre système de santé devra impérativement améliorer les conditions de travail du personnel médical. Sachant qu'aujourd'hui la pénurie en personnel médical existe, il faut avoir un système de santé capable de convaincre et d'attirer les compétences nationales. Investir dans les secteurs sociaux et les ressources humaines « Le gouvernement ne doit pas lever le pied des secteurs sociaux et doit prioriser l'investissement dans les ressources humaines. Il est important de se diriger vers un système d'investissement social. Un système qui fournit les conditions permettant l'activation économique et sociale et qui permet l'auto-prospérité et l'ascension sociale des classes vulnérables », a insisté Lahcen Haddad lors de son intervention. L'objectif est d'aboutir à la consolidation et au développement de la classe moyenne, en améliorant les secteurs de la Santé, de l'Education et en adoptant une réforme globale du système de retraite, un plan spécial pour intégrer le secteur informel dans le tissu de l'économie nationale et une politique d'emploi efficace qui contribuera à la pérennité des services des caisses de la protection sociale.