Elaborée en 2016, la réforme du code pénal peine à voir le bout du tunnel de la Chambre des Représentants, au moment où les groupes de la majorité ne parviennent pas à s'entendre, à quelques mois de la fin de la législature. Eclairage. Cela fait près de cinq ans que la réforme du code pénal traîne dans les tiroirs de la Chambre des Représentants sans aucun indice qu'elle sera votée alors que la présente législature touche à sa fin. Après que les députés se sont mis enfin d'accord pour voter la loi sur le blanchiment d'argent et de lutte contre le terrorisme, rien ne laisse présager qu'ils se soient accordés sur le reste de la réforme du code pénal, dont le texte a été soumis par le gouvernement Abdelilah Benkirane et notamment par l'ancien ministre El Mustapha Ramid. Maintenant que ce dernier occupe le portefeuille des relations avec le Parlement, il s'est efforcé de critiquer le retard du vote de cette réforme importante, appelant les députés de la commission de la Justice et de la législation à fournir plus d'efforts pour faire adopter le projet de loi 10.16 complétant et modifiant le code pénal dans les plus brefs délais. Ce texte y introduit des changements majeurs et vise à conformer la législation pénale marocaine aux normes internationales en matière de protection des droits de l'Homme, de garanties de la défense et de lutte contre la corruption, la torture et la discrimination. Blocage au sein de la commission de Justice En effet, la réforme ne parvient pas à sortir de la Commission bien que la discussion détaillée soit achevée en 2019. El Mustapha Ramid a rappelé, dans une note explicative, que les discussions ont eu lieu pendant douze réunions, tenues de 2017 à 2019. Quelle est donc l'origine du blocage ? Ce sont les amendements qui continuent de diviser les députés, surtout ceux de la majorité, sur plusieurs articles de la réforme. Premier point de la discorde est l'article pénalisant l'enrichissement illicite. Le dépôt des amendements a été reporté jusqu'à nouvel ordre, faute d'une entente entre députés de la majorité qui étaient censés présenter des amendements en commun. En réalité, le groupe parlementaire du PJD a retiré à la dernière minute un amendement. Ce geste a irrité leurs collègues de la majorité qui ont aussitôt demandé un report pour qu'ils puissent revoir leurs amendements. Cette attitude n'a guère plu à l'opposition parlementaire, dont l'istiqlalien Omar Abassi, qui fait état d'une volonté de saboter la réforme. Sollicité par « L'Opinion », le ministre de la Justice et des libertés Mohammed Benabdelkader nous a précisé qu'il incombe à la commission de programmer l'adoption de la réforme dans sa totalité. Or, aucune date n'est encore dévoilée, quoique le président de la Chambre des Représentants Lahbib Malki ait fait savoir au gouvernement dans une lettre datant du 9 février 2021 que le bureau de la commission est disposé à fixer une échéance pour le vote de la loi. Par ailleurs, les obstacles se dressent également contre la proposition de loi du Parti de l'Istiqlal sur la pénalisation des conflits d'intérêts, déposée en septembre dernier. La discussion du texte n'est pas encore programmée, nous confirment des sources parlementaires, pointant du doigt les procrastinations de l'Exécutif. Une réforme importante Si les appels à l'adoption du projet de loi 10.16 avant la fin de la législature se multiplient, c'est parce que la réforme touche des articles sensibles qui divisent la société comme ceux relatifs à la peine de mort. Le texte réduit le nombre des crimes passibles de la peine capitale, en annulant cette peine pour les tentatives et participations aux crimes. Les articles 130 et 147 visent à substituer l'application de la peine de mort par une peine de réclusion à perpétuité, tout en la maintenant pour les crimes dangereux tels quelques types d'homicide. Pour harmoniser la législation nationale avec le droit international humanitaire, la réforme ajoute les génocides, les crimes de guerre, ceux contre l'humanité dans la liste des crimes dangereux. En plus de la pénalisation de la torture, le nouveau code pénal durcit les sanctions contre les actes de discrimination et des violences sexuelles contre les mineurs qui seront élevés au rang de crimes au lieu de délits. L'une des mesures phares de la réforme est le changement de la procédure du code pénal avec l'introduction des peines alternatives. Le but est de baisser la pression sur les établissements carcéraux qui souffrent d'une surcharge infernale. Si la loi est adoptée, les juges auront un pouvoir discrétionnaire les habilitant à appliquer des sanctions non privatives de liberté pour les peines inférieures à deux ans. Il s'agit de la surveillance par bracelet électronique, des travaux d'intérêt général, les amendes, l'assignation à résidence, etc. Il en sera de même pour les poursuites judiciaires et les procédures d'instruction qui seront conduites plus souvent en état de liberté surveillée. Ceci dit, les juges d'instruction n'auront recours à la détention préventive qu'en cas d'extrême nécessité.
Trois questions à Nourredine Moudian
« Nous allons insister pour que notre proposition de loi sur les conflits d'intérêts soit discutée le plutôt possible » Nourredine Moudian, président du groupe istiqlalien « Pour l'Unité et l'Egalitarisme » à la Chambre des Représentants, a répondu à nos questions sur la proposition du Parti de l'Istiqlal relative à la pénalisation des conflits d'intérêts. - Le groupe que vous présidez à la Chambre des Représentants a déposé une proposition de loi sur les conflits d'intérêts dès septembre 2020. Pourtant, la loi n'est pas encore discutée, pourquoi ? - En réalité, notre proposition n'a même pas été programmée dans la commission concernée pour qu'elle soit discutée. Nous ne savons pas encore ce qu'attend le gouvernement pour entamer la procédure législative. A chaque fois que nous proposons une date, le gouvernement ne réagit pas sous prétexte qu'il prépare un projet de loi similaire. Or, rien ne nous est parvenu jusqu'à présent, ce qui va nous pousser à insister davantage pour que le texte que nous avons soumis soit discuté dans les plus brefs délais. - Quelques députés ont fait état d'une tentative d'obstruction, vous en convenez ? - Pas tout à fait, mais nous avons les raisons de croire que les groupes parlementaires de la majorité comme le gouvernement ne prennent pas assez au sérieux notre proposition, aussi avant-gardiste soit-elle dans la lutte contre les conflits d'intérêts, vu les multiples procrastinations auxquelles nous assistons. - Peut-on expliquer cela par des divergences sur le fond du texte ? - Non, il est encore trop tôt de parler de divergences, étant donné que la discussion du texte que nous avons proposé n'a même pas été programmée à la Commission compétente. Ce n'est que durant les débats qu'on pourra déceler les différences de points de vue entre les formations politiques. Jusqu'à maintenant, le gouvernement tergiverse, et nous avons souligné à plusieurs reprises la nécessité d'entamer les discussions avant la fin de la législature.