L'indétrônable diva de l'aïta marsaouiya s'est retirée à 91 ans. Ce 5 avril devrait nous rappeler qu'une Hajja est passée par là et a tout saccagé avec bonheur. Elle connaît la gloire, la descente aux enfers, la reconnaissance, l'humiliation, l'admiration, l'oubli, la réhabilitation. Elle chante tout ou presque : amour, patriotisme, heurs et malheurs, religion... en osant moderniser l'aïta marsaouiya (elle tient son nom de marsa/port de Casablanca où elle voit le jour), jusqu'à indisposer puristes et assimilés. Ses textes, parsemés de messages crus et d'érotisme, lui confèrent un statut de guerrière pacifiste. Sa vie est un long fleuve débouchant, par à-coups, sur des marécages insolites. Son existence est celle d'une diva qui s'ignore.
Hajja Hamdaouia naît entre les deux Guerres, en 1930, dans un quartier populaire casablancais dit Derb Karloti. Son père, modeste commerçant, est féru de musique, de marsaoui, de cheikhate. Sa maison accueille régulièrement des troupes imbibées jusqu'à distinguer le fil blanc du fil noir. La jeune Hajja, ainsi prénommée par sa maman, grandit avec ces sons, élargis à Abidate Rma. Très jeune, elle exprime le souhait d'intégrer une troupe. La famille la dirige vers la formation théâtrale de Bachir Al Alj. Elle y croise Mfaddel Lahrizi, Bouchaïb El Bidaoui (son premier samaritain), Ahmed Souiri... Seulement, ce n'est pas ce qu'elle recherche. Ce qui la fait jouir, c'est donner de la voix, partager son coffre, faire vibrer par ses cordes vocales ! La toujours jeune Hamdaouia décide alors d'émigrer vers Maâti El Bidaoui, au sein de son célèbre orchestre «Al Kawakib». Le maestro croit en elle et à ses capacités d'interprète, jusqu'au jour où le vent tourne pour lui. La petite qui monte est approchée et engagée par le patron du «Coq d'Or» où Warda Al Jazairiya fait ses premiers grands pas, Salim Halali. Le franco-algérien amouraché du Maroc lui inculque les secrets de la séduction et du professionnalisme : comment s'habiller, comment se maquiller, comment se tenir sur scène, comment se comporter avec le public... En somme, des leçons de vie pour une vedette en devenir. En parallèle de ses tours de chant au Coq, Hajja Hamdaouia écrit, compose et réorchestre des pièces du registre marsaoui.
Ailes, racines et exil
En 1953, la chanteuse devenue étoile quitte le navire Halali, vole de ses propres ailes en revendiquant encore et toujours ses racines. Elle s'aventure dans l'écriture et la composition d'une chanson qui la conduit à l'exil : «Waili ya chibani» égratignant Ben Arafa choisi par les autorités coloniales françaises pour investir le trône de Mohammed V, déporté. Persécutée, mise en détention, elle réussit, grâce à des résistants, à gagner Paris où elle est accueillie par de grandes figures de la chanson. Dans le lot, Ahmed Jabran, Ali Riahi, Mohamed Fouiteh, Sami Al Maghribi, Albert Souissa, Hadi Jouini... Et tisse une relation d'amitié avec Cheikha Rimiti. Hajja est prise pleinement en charge, mais cela ne lui suffit pas. Elle veut retrouver la scène. «Propulsée» par ses connaissances, elle se produit dans plusieurs cabarets dont Le Morocco, Al Jazair, Le Koutoubia, Layali Loubnane, Le Tam-Tam (propriété du père de sa collègue du Coq d'Or, Warda), La Kasbah... Hamdaouia est plébiscitée et gagne confortablement sa vie. Aussitôt empoché, son argent est dilapidé. Celle qui finit par adopter une douzaine d'enfants la quittant en grandissant, sait que son lendemain est une chimère.
Aura intacte
Hajja rentre au pays au lendemain du retour du Sultan. Elle découvre que son aura est intacte, fréquente le palais, joue lors de fêtes privées prestigieuses et tient plus tard une résidence prolongée au cabaret Farah du palace Tour Hassan à Rabat où elle compose quelques hits comme «Mami ya Mami». Dans la foulée, l'auteure de «Mnine ana we mnine nta» demeurant à Diour Jamaâ-Les Orangers, est programmée pour des concerts parisiens à L'Olympia, au Zénith, à L'Institut du Monde Arabe et à La Mutualité. Elle foule également d'autres scènes d'Europe, du Canada et des Etats-Unis. De retour au Maroc, Hamdaouia est de toutes les noubas, des «places to be». Jusqu'à cette malheureuse soirée où elle se crêpe le chignon avec un convive amoureux qui joue de ses relations pour qu'on ferme toutes les entrées à l'artiste. S'ensuit une «réclusion» indécente de plus de 20 années, notamment dans une chambre misérable d'un quartier malfamé de Tanger. Son salut arrive grâce au réveil tardif des médias, avant la réception d'une décoration de Mohammed VI. Une carrière qui repart à un âge avancé, un duo revisité de «El Kass Hlou» avec Hamid Bouchnak, un face-à-face scénique inédit avec Raymonde Elbidaouiya aux Andalousies d'Essaouira et une étonnante cession des droits de toutes ses chansons à l'artiste r'n'b Xena, fille de Saïd Aouita. Dommage que l'anthologie Aïta éditée en 2017 en 10 CD's par Atlas Azawan n'ait fait à aucun moment référence à toi Hamdaouia. Mais tes belles réalisations continuent à faire parler de ton talent : «Salba, Salba», «Daba Yji», «Mama Hiyani», «Jilali Bouya», «El Aâr ya Laâr», «Laghzal», «El Haddaouiate», «Hadra»... Repose en paix, les conflits sont derrière toi.