La poésie a sa journée mondiale, mais pas la littérature ou le roman, comme ont pu l'avoir la philosophie, l'environnement ou la femme... Elle a aussi ses Prix. Survol d'une journée pas comme les autres. A la veille de la Journée de la poésie, célébrée le 21 mars de chaque année, comment ne pas rappeler l'attribution du Prix Nobel de littérature 2020 par l'Académie suédoise à la poétesse américaine Louise Glück, signifiant ainsi que la poésie n'est ni morte ni enterrée malgré sa quasi-disparition des catalogues des éditeurs qui font l'actualité éditoriale et du livre ? Le Nobel de littérature n'est pas l'unique trophée de Louise Glück qui avait également obtenu le Prix Pulitzer de poésie en 1993, le National Book Critics Circle Award (The Triumph of Achilles), le Prix de l'Academy of American Poets, le Wallace Stevens Award et la médaille d'or de la poésie de l'American Academy of Arts and Letters. Au Maroc, la Maison de la Poésie réunit des poètes confirmés et fut dirigée tour à tour par Mohammed Bennis, Hassan Najmi et Najib Khodari, connus au Maghreb et dans le monde arabe, sans oublier l'actuel président Mourad Kadiri. La Maison de la Poésie a même institué un prix international de la poésie et le lauréat de cette année n'est autre que Mohamed Achaari, un poète connu et reconnu également à l'échelon du Maghreb et du Monde arabe. Le prix qui porte le nom Argana est décerné chaque année en partenariat avec la CDG et en coopération avec le ministère de la Culture. Le Prix Argana est à sa quinzième édition. Le choix s'est porté sur la poésie de Mohamed Achaari qui a contribué, selon les termes du communiqué de la Maison de la poésie au Maroc, "pendant plus de quatre décennies, à la consécration de l'écriture en étant que résistance visant à élargir les espaces de la liberté dans la langue et l'écriture, à travers une pratique poétique plaçant la liberté au centre de ses intérêts". La poésie ne s'édite plus Les prix de la poésie permettent d'entretenir la flamme mais ne sont pas suffisants en soi. La Journée Mondiale de la Poésie proclamée en 1999 a pour objectif d'encourager la lecture, la rédaction, la publication et l'enseignement de la poésie dans le monde entier et de «donner une reconnaissance et une impulsion nouvelles aux mouvements poétiques nationaux, régionaux et internationaux», selon l'UNESCO qui porte, depuis cette année le projet. Il s'agit pour ses promoteurs, les Nations Unies, de soutenir la poésie, dans son interaction avec les autres formes de création selon la formule de Delacroix qui écrivait dans son Journal «Il n'y a pas d'art sans poésie». Les commémorations favorisent-elles l'essor de la poésie, dans ses audaces, esthétiques, langagières, cette logique d'affrontement qui la distingue de son environnement créatif et littéraire ? La poésie n'évolue pas à l'ombre des mondanités et ces rencontres pêchent par cet aspect qui en limite la portée. Un prix, heureusement, vient consacrer l'existant sinon il y a longtemps que la poésie serait morte, cette fois-ci, de sa belle mort. La Journée mondiale de la poésie comme le Prix de la Maison de la Poésie suscitent-ils un intérêt éditorial pour la poésie ? Certes, pas. La finalité est l'animation culturelle. La Maison de la Poésie est devenue une sorte d'éditeur à part entière comme en témoigne la présentation des publications parues au titre de l'année 2019, consacrées, pour l'essentiel, à la traduction et à la critique. Ces publications ont bénéficié du programme de soutien à l'édition et au livre du ministère de la Culture. La traduction et la critique ne sont pas du registre de la création poétique, mais, toutes proportions gardées, elles y contribuent. L'une comme l'autre participent à l'enrichissement de la poésie et créent des espaces interculturels par lesquels l'intelligence poétique se faufile, se trace des chemins improbables et de discontinuité pour ne pas dire de rupture. Comme la poésie a peu d'affinités avec ce qui peut relever de l'institutionnel – les subventions des Organisations et de la Coopération internationales, du ministère de la Culture, des fondations quand elles existent... -, le choc poétique (et esthétique, selon l'expression de Abderrahmane Tenkoul qui faisait remarquer que la Covid-19 n'a pas provoqué de choc esthétique dans la littérature maghrébine) n'a pas le sens des mondanités et des discours convenus. La poésie se reconnait dans les débats... surréalistes et guère dans les discours planifiés à l'année ! Dans ce sens, la Journée Mondiale de la Poésie a des raisons d'être quand elle se penche sur l'oralité, les expressions collectives et non individuelles qui sont le cachet de la poésie représentée par des auteurs à l'immense stature : Tahar Ben Jelloun est de ceux-là ainsi que peuvent l'être Abdellatif Laabi, Mohammed KhaïrEddine ou encore Mohamed Loakira, Mustapha Nissaboury, Abdelaziz Mansouri, Abdelkébir Khatibi, Mohammed Bennis, Mohamed Al Achaari, Hassan Najmi, par exemple. L'espoir est permis avec l'actuelle génération de poètes, Rachid Khales, Mohamed Hmoudane, du moins en langue française. Abdallah BENSMAIN Des groupes poétiques Pleure, ô poésie bien aimée ! Sommes-nous obligés de commencer par «il était une fois », chaque fois que nous évoquons la poésie ? Aurait-elle disparu des radars littéraires ? Les poètes seraient-ils devenus une race en voie de disparition ? Le monde numérisé d'aujourd'hui serait-il allergique à la poésie ? C'est malheureux de le dire, mais le constat est accablant : la poésie a déserté notre univers, ou plus exactement c'est nous qui l'avons désertée. Des recueils de poésie continuent d'être édités, en quantité dérisoire certes, pour nous rappeler que la poésie n'est pas encore morte. Les poèmes, ou supposés tels, pullulent sur la Toile. Des rencontres dédiés à la poésie sont organisées çà et là. Mais pourquoi avons-nous l'impression que la poésie est dans une éternelle agonie ? À mon humble avis, l'une des raisons est l'inexistence de mouvements poétiques qui redonneraient un nouveau souffle à la poésie. On peut être d'accord ou pas sur cette notion de mouvement, mais l'histoire littéraire a démontré que le regroupement autour d'une revue, de quelques idées, est la garantie non seulement du renouvellement littéraire, mais aussi de la survie du genre. Que seraient devenus Leconte de Lisle sans le Parnasse ? Malraux sans le Symbolisme? Tzara sans le Dadaïsme? Aragon sans le Surréalisme ? Queneau sans l'Oulipo ? La poésie, à n'en pas douter, surgit dans la solitude, mais ce sont les mouvements qui la portent, la répandent et lui insufflent la vie. De nos jours, si la poésie est en mauvaise posture, c'est parce que les poètes ont choisi de faire cavalier seul. L'idée d'adhérer à un groupe semble révolue, voire déshonorante. Grave erreur. Je crois que seule la création de nouveaux mouvements permet de fédérer les poètes autour d'un projet poétique, parce que seul un groupe est à même de fusionner des sensibilités différentes, voire opposées. Créer un groupe ne signifie pas dissoudre son individualité dans la masse ni être d'accord sur tout, (les Surréalistes n'arrêtaient pas de se chamailler entre eux), mais œuvrer pour un même objectif, quitte à ce que les styles diffèrent. Mokhtar CHAOUI, Enseignant-chercheur Amours, de Mouad Moutaoukil : Un récit écrit au masculin, lu et critiqué au féminin Le recueil de nouvelles est un témoignage d'un ensemble d'histoires, chacune définit l'amour différemment. Ce sentiment universel qui, malgré sa complexité, reste le moteur de l'humanité et la raison d'être de tout individu. Il est certain que nous pouvons ressentir du bonheur et de la puissance grâce à l'amour. Spinoza confirme que « l'amour est désir, mais le désir est puissance ». Être heureux c'est avoir ce qu'on désire, c'est peut-être la même vision d'un grand nombre d'hommes et de beaucoup de femmes envers l'amour. Cette idée se traduit dans la deuxième nouvelle « Sourire ». Deux villageois s'aimaient, ils étaient dans un état d'ivresse émotionnelle, dans une homogénéité extrême, leurs deux corps étaient devenus un seul. Pendant dix ans, puisqu'ils ont franchi l'interdit, ces deux créatures amoureuses étaient en proie à la douleur. La huitième et la dernière nouvelle est racontée au féminin. La protagoniste témoigne en détail de ce que subit une femme qui aime. Après son avortement, elle est toute seule, délaissée dans une obscurité. Celui qui lui a promis un paradis sur terre renonce à elle. Sa famille la rejette, la société la criminalise. C'est choquant, mais c'est bien la réalité, l'amour peut être source d'amertume et d'angoisse. Ces huit récits littéraires, ont bien joué le rôle de stimuler les pensées des lecteurs, les inviter à construire leurs propres définitions de l'amour. Pour finir, aimer c'est vivre des « Amours » décevantes ou passionnantes, qui resteront archivées dans des coins de notre mémoire, mais elles font certainement partie de nous et de notre histoire en tant qu'entité de ce monde. L'amour est énigmatique et difficilement explicable, mais ce qui est sûr c'est qu'il est le sentiment le plus puissant chez l'être humain. Maryem SADDIQUI Poètes et éditeurs marocains, encore un effort pour mériter le droit à la poésie ! Il revient au Maroc d'avoir été à l'origine de la célébration de la Journée mondiale de la Poésie, notamment à Mohammed Bennis. Une célébration qui revendique la poésie comme un droit. Un art en crise à travers le monde. Au Maroc, la production poétique est pléthorique. En témoignent le nombre de publications, souvent à compte d'auteur, la diversité linguistique des « poésies » marocaines, le nombre des évènements poétiques, les prix littéraires qui consacrent chaque année la poésie. Il ne faut pas oublier le rôle de la Maison de la poésie et des deux antennes de Dar Chiir. Des poètes marocains ont donné ses lettres de noblesse à cet art exigeant, parmi lesquels on peut citer Mohammed Khaïr-Eddine, Abdellatif Laâbi, Mohammed Bennis, Larbi Batma, Abdallah Zriqa... Ces consécrations ne doivent pas cacher de sérieux problèmes. Au Maroc, tout ce qui se publie sous l'enseigne « poésie » n'est pas toujours de la poésie. Si l'on exclut les éditions Toubkal, aujourd'hui en difficulté, et les éditions Marsam, les éditeurs marocains s'engagent peu pour la poésie. Il ne s'agit pas seule à l'oriment de publier des recueils de poèmes, mais encore d'avoir une politique éditoriale claire et de soigner la forme (papier, format, couverture, caractère, illustration...). Reste enfin une question centrale : qu'est-ce que la « poésie marocaine » ? On en parle souvent comme d'un corpus défini. Or force est de constater que, pour le moment, seules deux variétés linguistiques de cette poésie sont mises en avant, à savoir la poésie d'expression arabe et la poésie d'expression française, avec un avantage, de par le nombre, pour la première. D'autres variétés, la dialectale, l'amazighe, la hassanie... restent dans l'ombre. Une ombre qui finit souvent par occulter beaucoup de recueils de poèmes, à défaut d'archives et de d'anthologie. Le livre de la « poésie marocaine » n'existe pas encore. Il sera toujours inachevé et lacunaire. Abdelghani FENNANE Auteur