La fermeture des internats des écoles d'ingénieurs a causé de nombreux effets négatifs aux étudiants ainsi qu'à leurs familles. En conséquence de quoi, les étudiants de cinq écoles d'ingénieurs à Rabat ont décidé de s'unir afin d'exprimer leurs griefs communs. « Depuis que j'ai quitté l'internat pour revenir chez moi et étudier à distance, la vie est devenue bien trop contraignante », nous confie Imane, 23 ans, étudiante en 2ème année de l'Institut national de statistique et d'économie appliquée (INSEA). Elle nous assure que ce changement brusque causé par la pandémie l'a impactée non seulement au niveau de ses études mais également au niveau personnel, en raison de la situation financière vulnérable de sa famille. « Pendant toute cette année que j'ai passée ici, je sens que je suis devenue un poids pour ma famille. C'est déprimant et angoissant », déplore-t-elle, larmoyante, expliquant que son père est aujourd'hui amené à fournir toutes les dépenses qu'elle lui avait épargné « en étant admise à une école d'ingénieurs avec internat, grâce au labeur de toute une vie ». Le cas de Imane n'est pas isolé parmi les étudiants des établissements supérieurs. Ils sont bien nombreux à vivre une situation sociale ou financière délicate, à des degrés différents, suite à la fermeture des cités universitaires et des internats dans les écoles et instituts supérieurs. Le cas de Yassine est un autre exemple qui reflète l'impact négatif dévastateur de la fermeture des internats. Etudiant en développement informatique à l'Ecole Nationale Supérieure d'Informatique et d'Analyse des Systèmes (ENSIAS), également issu d'une famille à très faible revenu, Yassine s'est habitué à « se dégoter des bricoles », grâce à sa maîtrise des langages de programmation de sites web. « Non seulement cet argent me permettait de subvenir à mes besoins, mais en plus je pouvais aider ma famille financièrement », nous confie-t-il. Yassine, dont le domicile familial est situé dans une zone reculée, s'insurge du fait qu' « aujourd'hui, loin de mon réseau de connaissances, qui se trouve à Rabat, et avec la connexion internet très limitée dans notre domicile, je n'arrive plus à trouver des projets de site web à développer, et la situation financière de ma famille s'en retrouve d'autant plus affectée ». Déclenchement d'une révolte en masse : une grève des classes sur les radars Les histoires d'étudiants durement affectés par la fermeture des internats étant redondantes, une réaction décisive de ces derniers est devenue incontournable. Après la grève des étudiants de six écoles d'ingénieurs, encadrée par la Coordination Nationale des Elèves Ingénieurs Marocains (CNEIM), et la récente grève des étudiants de l'Institut National des Postes et des Télécommunications (INPT), qui a duré plus d'un mois, les associations d'élèves de cinq écoles d'ingénieurs, situées à Rabat, s'unissent cette fois-ci pour exprimer leurs refus de la situation actuelle. Il s'agit de l'Ecole Nationale de l'Industrie Minière (ENIM), de l'Ecole nationale supérieure d'arts et métiers de Rabat (ENSAM), de l'ENSIAS, l'INSEA et l'INPT. Dans une déclaration conjointe, les associations des étudiants de ces écoles annoncent « le début d'une nouvelle phase de coordination pour établir un programme de lutte unifié qui sera adopté à partir du deuxième semestre ». « Nous sommes pleinement résolus à poursuivre notre lutte jusqu'à l'accomplissement de nos principales revendications, à savoir l'ouverture des internats et l'adoption du système d'enseignement en présentiel », peut-on lire dans la déclaration en question. Il va sans dire que les arguments de ces jeunes ingénieurs en herbe sont solides. Il s'agit d'abord de l'absence de l'égalité des chances entre les écoles précitées et les écoles supérieures de Casablanca, ainsi que les instituts privés qui ont été autorisés à accueillir leurs élèves dans les classes et dans les internats. Il s'agit également des difficultés de suivre une formation d'ingénieur digne du nom en adoptant l'enseignement à distance. Des conditions sine qua none d'une formation particulière A ce propos, les futurs ingénieurs mettent l'accent sur la particularité de la formation d'ingénieur, qui« en plus de sa composante théorique, a des exigences d'application spécifiques, dont la plupart nécessitent soit la présence physique des élèves dans les écoles avec des enseignants afin d'accompagner et d'encadrer, soit de bénéficier de l'équipement de laboratoires et des salles spécialisées, qui ne peuvent en aucun cas être compensées par l'enseignement à distance », expliquent-ils. En outre, étant donné que bon nombre d'étudiants de ces instituts vivent dans des régions éloignées, « l'enseignement à distance devient un éloignement de l'enseignement », estime l'union des étudiants, ajoutant que« la plupart d'entre eux se sont trouvés, depuis mars de l'année dernière, totalement ou partiellement incapables de suivre les cours, en raison de la couverture Internet faible ou absente dans leurs régions ». Malgré leurs appels plus d'une fois à trouver des solutions concrètes, les étudiants ingénieurs déplorent la négligence qu'ils ont dû endurer de la part des responsables. Ainsi, les étudiants ingénieurs se sont accordés à militer pour leurs droits pour lesquels ils continueront de lutter jusqu'à la réalisation de leurs revendications.
Logement dans les internats :crucial en période de stages
Pour achever leurs cursus académiques et récolter les fruits de plusieurs années de formation, les étudiants des écoles et instituts supérieurs sont amenés à effectuer un stage de fin d'études, obligatoire. Or, en raison de la fermeture des internats dans plusieurs écoles d'ingénieurs à Rabat, bon nombre d'étudiants se sont retrouvés contraints de refuser des offres stages intéressantes qui auraient pu non seulement les introduire au monde du travail et mais aussi ajouter une grande valeur à leurs curriculums vitae. « Le logement dans les internats durant la période n'est pas juste important, il est crucial et déterminant », nous confie Abdelhalim Asfiri, président de l'association des étudiants de l'ENSIAS. « Plusieurs étudiants viennent de diverses régions et les opportunités de stages sont naturellement concentrées à Casablanca et Rabat », nous explique Asfiri.
A cause de la fermeture des internats, les étudiants se retrouvent obligés de louer un appartement à leurs frais, à défaut de disponibilité de l'internat et sont donc contraints de refuser un stage « pour des raisons financières ». D'autant plus que les stages trouvés jusqu'à présent ne sont pas rémunérés, contrairement aux années précédentes où les étudiants bénéficiaient d'une rémunération dans les environs de 1500 DH. « Nous espérons sincèrement que notre administration prenne ces facteurs en considération et ouvre les portes de l'internat ».
D'autant plus qu'en raison des répercussions de la crise sanitaire, bien des entreprises ont dû réduire leurs effectifs, fermer boutique ou opter pour le travail à distance. Une situation qui a provoqué une baisse significative du nombre de stages proposés.
3 questions à Jalal Abdessamad « La distinction entre écoles privées et écoles étatiques porte un coup fatal au principe d'égalité des chances et elle est inacceptable. » Jalal Abdessamad, président de l'association des étudiants de l'ENIM nous explique les raisons de la grogne des étudiants des écoles d'ingénieurs à Rabat - Quelles sont les raisons de la création de ce mouvement ? - Depuis mars dernier, en raison des restrictions imposées par la pandémie, nous nous sommes retrouvés dans l'obligation d'étudier à distance. Au début, cette mesure s'est avérée nécessaire et nous, étudiants ingénieurs, avons respecté toutes les dispositions imposées. Cependant, depuis le mois de septembre, soit le début de l'année universitaire courante, les restrictions ont été allégées et les écoles pré-baccalauréat, ainsi que plusieurs instituts supérieurs ont pu entamer l'année avec un système d'enseignement hybride ou en présentiel. Aussi, nous trouvons incompréhensible que les cafés, restaurants, les malls et d'autres lieux de divertissement soient ouverts, alors qu'un lieu aussi indispensable que l'internat ne soit pas autorisé à accueillir des étudiants. - N'est-il pas possible de continuer l'année universitaire courante à distance sans recourir à l'ouverture des internats? - Non. Et c'est un non catégorique ! D'abord, parce que l'internat est un droit de l'étudiant, ensuite car nous savons aujourd'hui que l'ouverture des internats est possible, puisqu'à Casablanca, plusieurs écoles d'ingénieurs ont ouvert leurs portes à leurs étudiants. Sans compter que les écoles d'ingénieurs privées ont été autorisées non seulement à adopter l'enseignement en présentiel mais aussi d'ouvrir les portes de leurs internats, alors que dans nos écoles, sous prétexte de ne pas avoir d'autorisation des autorités locales, les internats sont toujours fermés et les cours se font toujours à distance. Cette distinction porte un coup fatal au principe d'égalité des chances et elle est inacceptable. - Quelles sont les répercussions de la non-ouverture des internats ? - Commençons par le plus évident, à savoir la dégradation de la formation. Il est essentiel de comprendre que la présence dans les écoles est absolument nécessaire, vu la nature de nos études. Les services que proposent les laboratoires et les salles spécialisées, en termes de matériel et de formation, sont irremplaçables. D'autre part, bon nombre d'étudiants ont dû refuser ou abandonner des offres de stages très intéressantes à cause de la difficulté du logement et de son prix élevé à Rabat. Un problème dont la seule et unique solution est l'ouverture des internats. Dans le cas contraire, plusieurs étudiants pourraient voir le fruit de leurs efforts s'évaporer.