La société civile demande au législateur de permettre aux propriétaires qui ont gardé des chiens, dont la race est interdite au Maroc depuis 2018, de régulariser leur situation. Contre l'avis de leur gouvernement, les députés français ont adopté, le 27 janvier dernier, un amendement, dans le cadre de la proposition de loi contre la maltraitance animale, qui prévoit de mettre un terme à la «marchandisation» des canidés et des félidés. Si le Sénat vote pour la promulgation de cette proposition de loi, les chiens et les chats ne seront plus vendus dans les animaleries françaises dès 2024. Sachant qu'un nombre important d'animaleries marocaines s'approvisionnent en Europe, une telle mesure ne manquera pas d'avoir des répercussions sur le marché local. La dernière réglementation marocaine en date au sujet des animaux de compagnie concernait l'interdiction de 6 races de chiens considérés comme « dangereuses » par la loi 56-12. Si les milieux de la protection animale au Maroc seraient ravis de voir interdire la vente des chiens et des chats dans les animaleries afin de favoriser les adoptions plutôt que les achats, leurs aspirations pour le moment sont encore terre-à-terre et restent bien ancrées dans le réel. Le sujet qui revient le plus souvent est celui des effets négatifs de la loi 56- 12 et notamment celui de l'explosion des ventes en ligne de chats et de chiens, y compris ceux appartenant à des races interdites depuis 2018. Pitbulls à vendre en ligne Vérification faite sur les sites d'annonces et sur les groupes dédiés dans les réseaux sociaux, la vente de races de chiens interdites depuis 2018 par le législateur est une réalité. Si des offres de vente des races rares comme le TozaInu ou le Boerboel sont inexistantes, celles relatives à des pitbulls ou à des « staffs » sont en revanche bien présentes, avec des prix qui varient entre 1000 et 2000 dirhams. Contacté par nos soins, un vendeur en ligne nous a expliqué que son couple de pitbulls avait eu une portée et qu'il n'avait pas d'autres choix que de proposer les chiots à la vente. D'abord méfiant, le vendeur a fini par se confier en requérant l'anonymat : « Il y a deux ans, j'avais constaté que mes chiens étaient désormais légalement interdits au Maroc. Je ne pouvais toutefois pas me résoudre à les donner aux autorités pour les euthanasier », explique le jeune casablancais. « Mes chiens sont bien dressés et n'ont jamais fait de mal à personne. Pour les chiots, ils sont en bonne santé et je peux même mettre en contact l'acheteur avec un vétérinaire qui pourra les vacciner », avoue le vendeur en ligne. Une loi peu appliquée Si les molosses, interdits depuis 2018, sont moins visibles dans les espaces publics du Royaume, la loi reste cependant largement inappliquée dans le sens où les propriétaires ont pour leur majorité gardé leurs chiens. Alors même que les vétérinaires sont légalement tenus de n'effectuer aucun acte sur un animal appartenant à une des 6 races proscrites, certains propriétaires ont trouvé des méthodes détournées pour vacciner leurs chiens. « À ce jour, l'application de cette loi ne se fait pas systématiquement. C'est-à-dire que la saisie ne se fait que si des agents de l'autorité rencontrent une personne accompagnée d'un chien catégorisé dangereux, dans les cas de figure où l'animal cause des dommages à autrui ou encore dans les cas où des délinquants ou des criminels sont arrêtés avec un chien dangereux en leur possession. Ce sont les bureaux municipaux d'hygiène qui sont alors chargés de capturer le chien pour ensuite l'euthanasier », explique pour sa part Dr Jamal Bakhat, chef de division d'hygiène et de contrôle sanitaire à Tanger et président de la Société Marocaine des Médecin d'Hygiène et de Salubrité Publique. Les demandes de la société civile « Ni les professionnels de la santé animale, ni les associations de protection animale n'ont été consultés pour la rédaction de cette loi et du décret d'application correspondant », déplore Amal Bakri, Secrétaire Générale du Réseau Associatif pour la Protection Animale et le Développement Durable (RAPAD Maroc). « Dans sa forme actuelle, cette loi a poussé un bon nombre de propriétaires de chiens (qui sont devenus interdits) à la clandestinité. Ils sont réduits à ne pas vacciner leurs chiens ou alors à le faire dans l'illégalité, parfois avec l'aide de personnes non-qualifiées », poursuit Amal Bakri qui espère que le législateur percevra la nécessité de régulariser la situation des chiens acquis avant la promulgation de la loi 56-12 : « La meilleure solution serait de permettre aux propriétaires de continuer à détenir leurs chiens à condition de les vacciner, de les stériliser et, une fois dans l'espace public, de les museler tout en veillant à les tenir en laisse ». « La dangerosité d'un chien ne dépend pas de la race, mais de son dressage et des conditions de détention et d'usage par son propriétaire », tient à rappeler la Secrétaire Générale du RAPAD Maroc. Oussama ABAOUSS 3 questions à Dr Yassine Jamali, vétérinaire « Cibler les propriétaires de manière bienveillante et constructive » Dr Yassine Jamali a répondu à nos questions sur la prévention et la protection des personnes contre les dangers de certaines races canines potentiellement dangereuses. - Que pensez-vous de la loi 56-12, trois ans après sa promulgation ? - Pour cette loi, il y a eu la moitié du chemin qui a été faite, c'est la partie répression et sanction. Mais ce n'est pas suffisant, car il faut maintenant la partie éducation des propriétaires. Cette loi a arrêté une liste de six races qui ont depuis été interdites car potentiellement dangereuses. Dans cette logique, on pourrait se poser la question de la pertinence du choix de ces races en particulier, car, dans les statistiques qu'on peut trouver ailleurs dans le monde, on ne voit pas forcément ressortir une dangerosité - en nombre de morsures ou en nombre de décès humains - d'une race ou d'un groupe de races en particulier. La race de chien doit, à mon avis, rester, pour le grand public comme pour le législateur, un sujet marginal. Ce qui est réellement important, c'est de cibler les propriétaires de manière bienveillante et constructive, notamment à travers des séminaires gratuits d'éducation et de formation, afin de les protéger ainsi que leurs familles de leur propre chien. - Certaines ONG internationales recommandent vivement de favoriser les déclarations systématiques des morsures. Qu'en pensez-vous ? - Je suis d'accord dans le sens où ces déclarations permettront de dégager des chiffres et des statistiques très utiles. Grâce à ces chiffres, on aurait pu par exemple comparer avec précision le nombre des morsures avant et après la promulgation de la loi 56-12 pour en estimer l'efficacité. - Les chiens de garde ou de défense sont-ils les seuls à constituer un danger potentiel pour l'Homme ? - Malheureusement, tout chien d'un certain gabarit, qui est sélectionné et dressé pour attaquer, peut représenter un danger. D'où l'intérêt de responsabiliser et d'éduquer les propriétaires, surtout les plus jeunes, car le véritable risque ne réside pas dans le chien lui-même, mais dans l'usage que peut en faire son propriétaire. Recueillis par O. A. Encadré International : Le meilleur Ami de l'Homme n'est pas un ennemi La question de la catégorisation des chiens a largement été débattue dans plusieurs pays où des lois ont été promulguées, réglementant la détention de chiens « potentiellement dangereux ». Les avis des associations de vétérinaires convergent le plus souvent vers une responsabilisation des propriétaires plutôt que vers une interdiction de certaines races. « Nous sommes opposés à toute législation qui cible certaines races de chiens plutôt que de se pencher sur le comportement individuel des chiens agressifs. La responsabilisation des propriétaires est la clef d'une politique de prévention des morsures de chiens », avait annoncé la British Veterinary Association. Le collectif français contre la catégorisation des chiens avait pour sa part émis des recommandations aux pays à ce sujet en suggérant qu'une réelle politique de prévention des morsures de chiens devrait être basée sur l'identification des chiens, la déclaration obligatoire des cas de morsures ainsi que la mise en place d'une structure nationale destinée à récolter les données et à les analyser afin d'adapter au mieux les politiques de prévention mises en œuvre. Ce collectif avait par ailleurs souligné la nécessité de construire un système d'identification des chiens potentiellement dangereux et - après analyse - de mesures adaptées au cas par cas. Le collectif a enfin insisté sur l'importance de sensibiliser et d'informer toutes les parties prenantes concernées « pour ne plus laisser croire que le meilleur Ami de l'Homme est un ennemi ». Repères Evaluation comportementale des chiens Plusieurs pays européens - la France notamment - classent les chiens en catégories selon leur dangerosité potentielle. Pour détenir un chien considéré comme potentiellement dangereux, le propriétaire doit obligatoirement faire passer une évaluation comportementale à son chien auprès d'un vétérinaire spécialisé. Le résultat de cette évaluation détermine si le chien peut constituer un danger et le cas échéant permet de proposer des solutions pour remédier à ce risque, notamment à travers des séances de socialisation et d'éducation du chien en question. Certificat d'aptitude pour propriétaire Détenir ou garder un chien dont la race est considérée dangereuse est également strictement conditionnée en France par l'obtention d'un certificat d'aptitude qui confirme la capacité d'une personne à bien gérer le chien en question. Ce document est un préalable pour pouvoir faire la demande du permis de détention ou pour circuler avec le chien concerné. Pour recevoir une attestation d'aptitude, le futur maître doit passer une formation d'une journée.