Très attendues pour soutenir le tissu économique dans cette période de crise, les banques sont souvent pointées du doigt car elles semblent rechigner à s'y engager pleinement au moment où plusieurs entreprises peinent à accéder aux prêts garantis. Eclairage. « Ne dites pas qu'ils ne sont pas des patriotes ! », c'est ainsi que Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al Maghrib, a répondu à un député qui a accusé les banques de ne pas contribuer suffisamment au financement de l'économie dans cette période de crise. C'est lors de son passage à la Commission des Finances à la Chambre des Représentants, le 24 novembre dernier, que le gouverneur a défendu le secteur. Face aux membres de la Commission, le wali de BAM a promis de faire venir les représentants du secteur bancaire pour qu'ils puissent s'expliquer sur le financement des entreprises, et en particulier les PME, dont plusieurs sont au bord de la faillite. Parole tenue puisque les députés sont en cours d'examen des établissements de crédits, dans le cadre d'une mission exploratoire, dont les travaux on pris fin le 3 février, après la réunion avec la présidente de l'Autorité Marocaine du Marché de Capitaux. Ces derniers ont d'ores et déjà rencontré les principaux acteurs du secteur financier, à savoir le ministre des Finances, les directeurs de la Caisse centrale de garantie (CCG), de l'Office des changes et le président du Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM). L'enjeu est de savoir à quel point les banques se sont acquittées de leurs obligations dans le pacte de relance, ce que jugera le rapport de la mission exploratoire, nous explique Ahmed Toumi, député istiqlalien et membre de la Commission des Finances, précisant que les détails du rapport sont encore confidentiels. Prêts garantis : les petites entreprises peinent à se fiancer Si les députés éprouvent le besoin de viser le secteur bancaire, c'est à cause des multiples accusations adressées aux banques quant au durcissement de l'accès au financement pour les petites entreprises, dans le cadre des prêts garantis par l'Etat, dont Daman Oxygène et Daman Relance. Les banques ont d'ailleurs bénéficié d'une politique monétaire accommodante avec un taux directeur de 1,5%. En témoigne le rapport accablant du Haut-Commissariat au Plan (HCP), révélant que seulement 32,8% des entreprises ont bénéficié des mesures d'accompagnement financier comme les prêts garantis, le report de l'échéance de paiement, etc. Toutes se plaignent de la complexité des procédures et du manque de suivi. Plusieurs catégories professionnelles en furent privées, à l'instar des transporteurs touristiques, auxquels les banques ont refusé un report de crédit bien qu'ils soient en arrêt total d'activité, ce qui les a poussés à demander l'intervention du wali de Bank Al Maghrib. En effet, 22,4 milliards de dirhams de crédits garantis ont été distribués à 15.183 entreprises, depuis mars dernier, dont 19,7 milliards supportés par la Caisse centrale de garantie (CCG), et le reste par les banques. A ce titre, Attijariwafa bank a assuré l'octroi de 37% des crédits « Daman Oxygène » et 43% des crédits « Daman Relance », au profit des TPME. Pour Abdellah El Fergui, président de la Confédération marocaine de TPE-PME, les PME s'en sont bien sorties, tandis que les TPE et les coopératives ont eu de la peine à contracter des crédits vu leurs problèmes de solvabilité. « Elles sont nombreuses à voir leurs dossiers rejetés, à cause des barrières procédurales, justifiées par les antécédents d'impayés, la fragilité du bilan, etc. », nous a-t-il confié. Le vrai problème, selon M. El Fergui, est que les PME et les TPE furent regroupées au début dans des programmes communs, ajoutant que ceci est dû au manque de représentativité des TPE à la CGEM et au Comité de veille économique. « Nous avons toujours appelé à la création d'un observatoire de la TPE », a-t-il rappelé. Quid des auto-entrepreneurs ? Etant également impactés par la crise, les auto-entrepreneurs ont eu une lueur d'espoir avec la reprise du programme Intelaka, après une longue suspension à cause de la crise sanitaire. Or, les difficultés ne manquent pas aux yeux d'Amine Nejjar, Conseiller du président de l'Union générale des entreprises et des professions (UGEP), qui estime que les procédures sont toujours compliquées, il se plaint également de la lenteur des délais de traitement des dossiers, et du déblocage des crédits en cas d'approbation. « Les refus ne sont généralement pas bien justifiés par les banques », a-t-il remarqué. Les entreprises appelées à plus de rigueur « Le vrai problème qu'il faut régler est celui de l'humain », s'était indigné Abdellatif Jouahri devant les députés en faisant allusion à la corruption et au manque de rigueur des chefs d'entreprises, qui compliquent leur accès au financement. Un constat partagé par Mehdi Fakir, économiste et expert-comptable, qui nous a indiqué que beaucoup d'entreprises tendent à envisager les crédits comme une rente, alors qu'il s'agit d'un prêt conditionné. Idem pour Aimane Cherragui, consultant en montage d'affaires, qui nous a indiqué qu'il existe un problème de fiabilité des dossiers et du montage de projets par les entreprises. « 6% seulement du total des crédits de « Daman Intelaka » ont été débloqués jusqu'à présent », nous a-til confié, ajoutant que « les directeurs d'agences se font réprimander par leurs sièges s'ils acceptent des projets économiquement non-viables ». En effet, si les jeunes entrepreneurs ont du mal à concevoir des projets convaincants, ils sont donc mal accompagnés, d'où la nécessité d'un écosystème d'accompagnement entrepreneuriat. Un rôle supposé être assumé par la Caisse centrale de garantie, selon M. Cherragui, qui rappelle que sept organismes ont été accrédités à l'échelle nationale pour superviser les entrepreneurs tout au long de leur parcours. Par conséquent, l'expert recommande de rendre obligatoire l'étude de dossier par ces opérateurs accrédités avant tout dépôt de dossier. Trois questions à Lahcen Haddad « Les petites et moyennes entreprises doivent développer leur gouvernance et leur transparence » Lahcen Haddad, ex-ministre du Tourisme et député istiqlalien à la Chambre des Représentants, a répondu à nos questions sur le rôle du secteur bancaire dans le financement de l'économie. - Les députés ont formé une mission exploratoire sur les établissements de crédit, le secteur bancaire contribuet-il assez au financement des entreprises et notamment les TPE ? - Personnellement, je ne pense pas qu'il existe un problème de financement pour les entreprises du moment que les crédits sont garantis par l'Etat. Les banques n'encourent pas un grand risque puisqu'elles n'en supportent qu'environ 10%. Le problème se situe au niveau de la structuration des entreprises, sachant que plusieurs n'ont pas suffisamment de ressources ou manquent de transparence dans certains cas. En somme, comme le problème du risque ne se présente pas, les banques veulent financer, les entreprises doivent cependant fournir plus d'efforts en matière de transparence, de gestion et de gouvernance. - Le gouvernement peut-il intervenir dans ce sens ? - Oui, il existe quelques possibilités d'intervention au niveau de la capitalisation des entreprises, j'estime que le fonds de compétitivité des entreprises doit être réactivé pour les subventionner dans leurs plans d'investissements et de restructuration. En plus, il faut œuvrer à la valorisation du capital des entreprises. Pour ma part, j'avais proposé un amendement qui préconise la valorisation des terrains des PME et des TPE dans les opérations d'augmentation de capital prenant en compte la valeur réelle au lieu de la valeur d'acquisition. - Le gouverneur de Bank Al-Maghrib a mis l'accent sur la qualité des dirigeants des entreprises, y a-t-il un problème de formation ? - Pour ma part, je pense qu'il y a assez de d'aide gouvernementale en matière de formation continue des ressources humaines, toutefois, j'estime qu'il faut fournir davantage d'efforts en accordant plus d'incitations aux entreprises pour qu'elles puissent élaborer des programmes de formation de leurs cadres. Ces programmes doivent être très pointus et ouverts sur les nouveaux métiers industriels et technologiques. Recueillis par A. M.
Encadré Pacte de relance : Le secteur bancaire appelé à délivrer les entreprises Pour faire face à la crise qui ébranle l'économie nationale, le gouvernement, sur hautes instructions royales, a mis sur la table 120 milliards de dirhams pour relancer l'activité, dont 75 milliards accordés aux entreprises à titre de crédits garantis par l'Etat. C'est en somme l'objet du pacte de la relance économique et de l'emploi, dont font partie le secteur privé et le secteur bancaire. Représenté par le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM), le secteur bancaire s'y était engagé à prendre part à l'effort national de relance en contribuant activement à la relance du programme « Intelaka » ainsi qu'à la distribution, de manière fluide, des crédits prévus dans le cadre des mécanismes de sauvetage des entreprises. Le rôle du secteur bancaire est décisif dans la réussite de la relance de l'activité, étant donné la vitalité de son rôle en matière de financement de l'économie. Malgré l'augmentation des risques liées aux crédits accordés aux entreprises en difficulté, les banques n'en demeurent pas moins confortées par les mesures prises par la Banque centrale (Bank Al Maghrib). Outre le maintien du taux directeur à un niveau très bas, Abdellatif Jouahri avait annoncé qu'un Fonds de garantie sera mis en place par Bank Al-Maghrib en collaboration avec le ministère de l'Economie au profit des associations de micro-crédit (AMC). Ce Fonds servira à couvrir les crédits restructurés et additionnels accordés dans le cadre de la réponse à la crise de Covid-19. Face à une politique monétaire aussi conciliante, les appels se sont multipliés pour demander aux banques de faciliter l'octroi des crédits et de revoir leurs taux à la baisse, y compris ceux des crédits immobiliers et de consommation sur lesquels plusieurs banques appliquent des taux entre 4 et 5,5%. Repères 6.612 entreprises ont fait faillite en 2020 Suite à une année difficile, voire cauchemardesque, plus de 6600 entreprises ont déclaré faillite à l'issue de l'exercice 2020. C'est ce qu'a révélé une étude d'Inforisk, qui a souligné que le taux de faillite reste inférieur à celui enregistré en 2019, grâce aux mesures de prêts garantis. Toutefois, cette année sera dure puisqu'il y aurait plus de défaillances de paiements, après la fin des programmes de Daman Relance. L'économiste Mehdi Fakir préconise une intervention directe de l'Etat dans ce cas. 1.8 million de TPME Selon le rapport de la confédération marocaine des PME et TPE, sur les effets de la crise sur l'activité entrepreneuriale, le nombre des petites et moyennes entreprises s'élève à 1,8 million qui sont déclarées alors que 4 millions sont actives dans le secteur informel. L'informel demeure ainsi un véritable obstacle au financement, dont l'ampleur s'est fait sentir durant la crise sanitaire. Selon l'étude menée par la confédération, 90% des entreprises touchées par la crise du Covid-19 sont des TPE. Les PME n'en représentent que 8%.