En quête d'emplois décents et d'une éducation de qualité, près du quart (23,3%) de la population marocaine non-migrante déclare avoir l'intention d'émigrer. Ce sont majoritairement des hommes, entre 15 et 29 ans, généralement célibataires ou séparés, qui rêvent de migrer vers d'autres cieux à la recherche d'un emploi ou pour poursuivre des études supérieures. C'est du moins ce qui ressort de l'enquête nationale sur la migration internationale, publiée vendredi 18 décembre, par le Haut-commissariat au Plan (HCP). En lisant le bilan exhaustif réalisé par l'institution, on s'aperçoit d'emblée que les résultats obtenus concernant l'intention d'émigrer chez les Marocains ne confortent pas l'idée courante d'un large engouement en faveur de l'émigration. En effet, moins du quart (23,3%) de la population non-migrante déclare avoir l'intention d'émigrer. Sans surprise, parmi les principaux motifs du désir d'émigrer, figurent les raisons économiques avec un taux de 73,5% suivis des raisons sociales, 21,8%. Leur importance respective varie selon le sexe, le milieu de résidence et le type de ménage. Cela dit, les raisons économiques, selon le HCP, concernent «la recherche de meilleures perspectives socio-économiques comme des opportunités d'emploi, la recherche d'un meilleur revenu, d'un meilleur niveau de vie ou d'autres raisons liées à la nature ou aux conditions de travail ou bien au désir d'investir». Pour ce qui est des raisons sociales, elles portent sur le regroupement familial, le mariage, le divorce ou la séparation. «D'autres portent sur la recherche de meilleurs services sociaux et de santé, la recherche d'un meilleur système d'éducation pour les enfants ou bien pour la poursuite des études et de la formation», précise-t-on de même source. Les hommes plus pessimistes que les femmes Le chômage est, comme l'on pouvait s'y attendre, un facteur déterminant dans l'intention d'émigrer puisque la moitié des chômeurs (50,9%) l'ont. La proportion est plus élevée pour les hommes que les femmes (60,4% contre 40,7%). Par contre, le fait d'avoir un emploi réduit l'intention d'émigrer à un niveau un peu inférieur à la moyenne mais sans l'annuler. Cela veut dire que l'intention d'émigrer dépend aussi d'autres facteurs. Par ailleurs, il importe de noter que les raisons économiques sont plus fortes chez les hommes que chez les femmes, 81,8% contre 58,7%, alors que les raisons sociales et humaines sont plus élevées chez ces dernières. Cependant, les raisons familiales (qui font partie des raisons sociales, regroupement familial, mariages et divorces ou séparations) ne représentent que 1,8% ; elles sont quasi-exclusivement féminines. Selon le milieu de résidence, les raisons économiques sont plus évoquées par les migrants potentiels ruraux avec 79,7% contre 69,8% pour les citadins. Une donnée parfaitement cohérente vu le manque d'opportunités dans le monde rural. Les jeunes veulent (toujours) quitter ! L'étude précise aussi que l'intention d'émigrer diminue avec l'âge. Les jeunes expriment un désir important de quitter le Maroc alors que ceux plus âgés sont moins souvent tentés par la migration internationale. Ainsi, elle passe de 40,3% pour les 15-29 ans à 10,3% pour les 45-59 ans. Le grand intérêt des jeunes à l'émigration est stimulé principalement par l'éducation, du fait qu'il est de 12,4% seulement pour ceux qui n'ont pas reçu d'éducation, par contre il augmente de près de huit points chez les étudiants du supérieur (20,7%). L'intention d'émigrer atteint son plus haut degré pour les personnes qui ont reçu une formation professionnelle (40,6%). La différence selon le type de ménage est perceptible, notamment pour ceux ayant atteint la fin du secondaire ou bénéficié de la formation professionnelle, où l'intention d'émigrer est plus élevée dans les ménages non migrants que dans les ménages migrants, respectivement 30,7% contre 24,9% et 40,7% contre 36,7%, précise le HCP. La répartition régionale de l'intention d'émigrer montre que certaines régions sont bien au-dessus de la moyenne nationale (23,3%) alors que d'autres sont bien en dessous. La région de l'Oriental vient en tête avec 41,1%, suivie de celle de Tanger-Tétouan-Al Hoceima avec 30,8%, les régions du Sud, de DrâaTafilalet et de Marrakech-Safi avec 26 à 27%. Par contre, les régions de FèsMeknès, Casablanca-Settat et Béni Mellal-Khénifra et la région de Souss-Massa, sont en dessous de la moyenne, avec respectivement 21,5%, 18% et 10,5%. S'agissant de la région de la capitale du Royaume, elle se situe au niveau de la moyenne nationale avec 23,8%. Toujours dans l'intention d'émigrer, l'étude note qu'elle est très élevée pour les personnes seules, célibataires (40,4%), divorcées (34,7%) et séparées (75,7%) alors qu'elle est seulement de 12,7% pour les personnes mariées. L'Europe accueille 86,4% des migrants actuels Près de huit-dixièmes des migrants actuels (78,1%) sont partis depuis 2000, surtout vers les nouveaux pays européens d'immigration, et depuis 2010 vers l'Amérique du Nord et les pays arabes. La durée migratoire dépend des périodes migratoires et des destinations. Si la durée migratoire moyenne est de 13 ans, elle est la plus élevée en Europe, particulièrement dans les anciens pays d'immigration, suivie par l'Amérique du Nord, puis les pays arabes et les autres pays du Sud. L'enquête indique, en outre, que quatre cinquièmes des migrants actuels, qui sont partis à l'étranger depuis 2000, ont accédé au premier pays d'accueil de manière légale, ajoutant qu'ils étaient soit munis de documents légaux valides (visas ou autres documents, 77%), soit n'avaient pas besoin de visa (2,9%) et que seuls 18,3% n'avaient pas de visa ou autre document valide. Elle fait ressortir également que l'Europe accueille 86,4% des migrants actuels avec la France qui vient en première position (31,1%), suivie par l'Espagne (23,4%) et l'Italie (18,7%). L'Amérique du Nord en attire 7,4% (3,8% pour le Canada et 3,6% pour les USA) et les pays arabes 3,8%. Par ailleurs, il importe de noter que le nombre total des migrants de retour au Maroc depuis l'année 2000 s'élève à 187.566 individus, soit en moyenne quelque 10.000 retours par an. C'est peu par rapport aux cinq millions de MRE, d'une part, et aux trente-cinq millions de la population du Maroc, d'autre part. Ainsi, malgré les efforts fournis au fil du temps, le Maroc peine toujours à inciter sa diaspora à rentrer au bercail. Saâd JAFRI Repères Migrants marocains et éducation Un tiers des migrants marocains actuels (33,5%) a atteint le niveau d'enseignement supérieur, dont 24,4% l'ont achevé. La part des migrants ayant le niveau secondaire qualifiant est de 17,4%, le niveau collégial 16,3% et le niveau primaire 16,9%, précise l'enquête. Les domaines de spécialisation des hommes et des femmes sont différents, relève le HCP, faisant remarquer que le domaine relatif au commerce et à la gestion est relativement plus le fait des femmes, ainsi que les langues et la santé. En revanche, les hommes sont plus versés dans les technologies d'information et de communication, l'ingénierie, les mathématiques et statistiques et les sciences physiques. Investissements et contributions financières Seuls 2,9% des migrants marocains actuels ont réalisé des projets d'investissement au Maroc, 3,4% parmi les hommes et 1,8% parmi les femmes. Cette proportion augmente avec l'âge, passant de 2,4% pour les migrants âgés de 30 à 39 ans, à 6,7% pour les 50-59 ans et 8,2% pour les 60 ans et plus, selon le HCP, notant que 2,3% des migrants actuels ont investi à l'étranger, 2,8% pour les hommes et 1,3% pour les femmes. L'écrasante majorité des migrants actuels (97,1%) n'investit pas au Maroc, tient à souligner la même source, relevant que les raisons de non-investissement sont liées principalement à l'insuffisance de capital, aux procédures administratives compliquées et au faible appui financier et manque d'incitations fiscales. Echantillonnage L'enquête, qui a touché les Marocains résidant à l'étranger, les migrants de retour et les intentions d'émigrer des Marocains non migrants, a été réalisée sur le terrain entre août 2018 et janvier 2019 auprès d'un échantillon représentatif de 15.000 ménages, dont 8.200 ménages de migrants actuels, 4.100 ménages de migrants de retour et 2.700 ménages de non-migrants. Une deuxième phase sera menée en 2021 auprès des réfugiés et demandeurs d'asile, des migrants irréguliers et des immigrés régularisés.