"Lorsqu'on n'a pas de vie véritable, on la remplace par des mirages. C'est tout de même mieux que rien. Si tu veux avoir peu de temps, ne fais rien ?" Anton Tchekhov (1860-1904) La littérature russe, même d'avant la révolution, est souvent méconnue chez nous. Dans notre cursus scolaire, elle est complétement absente. Je peux dire la même chose de la littérature Chinoise ou Japonaise. J'ose affirmer que certains textes de Pouchkine (La dame de pique), Dostoïevski (Une sale histoire), Tolstoï (Guerre et paix) et surtout les nouvelles Tchekhov mériteraient une citation dans nos écoles. Pourquoi Tchekhov ? Si Pouchkine, Dostoïevski et Tolstoï peuvent faire l'unanimité, on peut bien se poser la question sur le pourquoi de Tchekhov. Il faut d'abord souligner que ses personnages sont si faibles, si désarmés et parfois absurdes. On dirait qu'ils ont adopté l'absurdité de leur existence. Ils sont souvent ridicules sinon pathétiques. Sans les discours des personnages où se mêlent rêves, illusions et désillusions, on serait tenté d'arrêter la lecture. La Russie d'avant la révolution de 1917 était un empire puissant en apparence mais très fragile en réalité. L'aristocratie domine une masse de paysans pauvres représentant plus de 80% de la population. C'est pourquoi Lénine disait dès 1917 que le socialisme ne pouvait y être tout de suite vainqueur même si on peut constater depuis 1880 d'importantes mutations économiques et sociales et un démarrage de l'industrialisation avec une présence notoire de firmes contrôlées par l'étranger. Un secteur capitaliste est né minoritaire mais il s'épanouissait. Dans une pétition envoyée au Tsar 1905 par les ouvriers de Saint-Pétersbourg, on pouvait lire : « Sire ! Nous, ouvriers de la ville de Saint-Pétersbourg, nos femmes, nos enfants et nos vieux parents invalides, sommes venus vers toi, Sire, chercher la justice et la protection. Nous sommes tombés dans la misère : on nous opprime, on nous charge d'un travail écrasant, on nous insulte ; on ne reconnaît pas en nous des hommes, on nous traite comme des esclaves qui doivent supporter patiemment leur amer et triste sort et se taire ! » Le prolétariat au sens de Marx était peu nombreux (3 millions), il vivait la misère telle que décrite par les grands écrivains de l'époque. Ce n'est que lors de la révolution de 1905 que le tsar Nicolas II a accordé une constitution qu'il ne respectait même pas. Le régime restait autoritaire, l'opposition restait faible et divisée entre réformateurs et révolutionnaires. La guerre de 1914 avec ses désastres militaires économiques et sociaux était « un cadeau » fait à la révolution bolchevique comme l'avouait Lénine. Au-delà de la dialectique, il y a l'incertitude, l'évolution inattendue, l'imprévu imprévisible ... qui fait l'histoire, qui façonne nos petites vies. Il y a aussi bien entendu les imprévus prévisibles qu'il convient de prévoir. C'est justement quand l'incertitude devient générale qu'il devient nécessaire de prévoir, de bien prévoir et je dirais même de mieux prévoir. Pour ce faire, à mon avis, il convient de rappeler que ceteris paribus sic stantibus (toutes choses égales par ailleurs) n'est qu'une hypothèse de moins en moins vérifiée. Les grands risques stratégiques qui étaient longtemps négligés devraient être mieux appréhendés et la capacité de résilience devient une priorité stratégique.
L'après COVID et ses incertitudes ? En 2001, Mary Douglas avait travaillé sur le lien entre les notions d'incertitude, d'institution et d'histoire, l'accroissement du sentiment d'incertitude étant lié à une mutation des institutions qui le tenait à l'écart. Elle préconisait un programme de travail pour étudier ces mutations avec précision : étudier « les fondements institutionnels de nos croyances ». « La certitude n'est pas une humeur, ou un sentiment, c'est une institution, telle est ma thèse... La certitude n'est possible que parce que le doute est bloqué institutionnellement : la plupart des décisions à propos du risque sont prises sous la contrainte des institutions... Si nous reconnaissons maintenant être confrontés à plus d'incertitude, cela tient au fait que quelque chose est arrivé qui affecte les fondements institutionnels de nos croyances et c'est cela que nous devrions étudier. » Quelle démocratie dans l'incertitude ? Quand les politiques obéissent à une poignée d'intérêts dominants, ou sont perçus comme tels, les institutions démocratiques élues sont remises en question, leur crédibilité est entachée et les urnes n'attirent plus. Pour nos prochaines élections, je ne crois pas que sans « une mesure choc » on pourrait s'attendre à un taux de participation respectable. Je ne pense pas aux mesures techniques (du genre élections législatives et communales le même jour) soient suffisantes. Je crois qu'il faudrait quelque chose de plus mobilisateur : des débats sur le fond, des idées fraiches des choix audacieux, des candidats plus jeunes, plus propres...Bref des changements. Sinon on passera du brouillard au mirage, c'est-à-dire à un faux jeu trompeur de la lumière et de l'esprit, qui finit par finir... La démocratie ne peut se résumer à une suite de mirages.