L'Agence du Bassin Hydraulique du Bouregreg et de la Chaouia vient de perdre son deuxième bras de fer juridique face à des particuliers qui veulent s'approprier le terrain de la Daya de Dar Bouazza. C'est un nouveau rebondissement qui vient hypothéquer encore plus l'avenir de la dernière zone humide de Casablanca. Après un premier jugement favorable à l'enregistrement d'une partie du terrain de la Daya de Dar Bouazza au bénéfice de particuliers, la Cour d'Appel casablancaise à confirmé ce jugement le mardi 13 octobre. Le site naturel se trouve pourtant dans le domaine public hydraulique, d'où le bras de fer légal entamé avec l'autorité gestionnaire. « C'est une nouvelle qui nous a choqués et attristés car nous étions confiants de savoir que l'agence des bassins avait les choses en main. Notre association a participé mardi dernier à une visioconférence où plusieurs représentations de la société civile marocaine (GOMAC, SPANA, GREPOM) étaient présentes afin d'étudier la question et réfléchir à des pistes d'actions que nous pouvons entreprendre pour protéger la zone humide de Dar Bouazza », confie Halima Bousadik, présidente de l'association marocaine des photographes animaliers. Appel à l'arbitrage Royal L'Alliance Marocaine pour le Climat et le Développement Durable (AMCDD), qui représente une coalition de quelque 800 associations situées dans les 12 régions du pays, n'a également pas manqué de réagir. « Il ne s'agit nullement de contester une décision de justice, car notre position se place à un autre niveau. D'ailleurs, notre communiqué sur le sujet a un référentiel institutionnel, évoquant la politique nationale dans le domaine de l'eau, le droit des citoyens, mais fait également référence aux discours royaux, aux choix étatiques et de la situation hydrique critique que vit notre pays et qui exige un état d'urgence », explique M. Abderrahim Ksiri, coordinateur de l'AMCDD. « Nous sommes en train de préparer un courrier pour demander à SM le Roi d'intervenir. Pas uniquement pour la Daya, mais aussi pour préserver toutes les sources d'eau, toutes les zones humides, et toutes les rivières », annonce le président de l'AMCDD. « Des lacunes dans la loi » Après ce jugement en appel, se profile un dernier recours légal à travers une procédure en cassation. M. Ksiri confie que l'AMCDD est en train d'étudier, avec des associations d'utilité publique, la possibilité qu'elles se constituent en tant que partie civile dans cette affaire. «Le rôle de la société civile à ce stade est toutefois minime, car la responsabilité d'agir incombe d'abord aux parlementaires et aux politiques. Si une décision de justice a été prononcée à l'encontre des besoins vitaux du Royaume, c'est parce qu'il y a des lacunes dans les lois. Les parlementaires doivent agir rapidement non pas pour préserver uniquement la Daya de Dar Bouazza, mais pour renforcer la protection du domaine public hydraulique dans son ensemble », explique le président de l'AMCDD qui, par ailleurs, précise que le cas de la Daya casablancaise n'est pas unique et que d'autres zones humides dans les régions de Bouskoura, de Nouacer et de Rabat ont subi le même sort. Engagement de l'autorité de tutelle À noter que l'affaire de la Daya de Dar Bouazza avait déjà trouvé son chemin dans l'hémicycle en octobre 2019. En réponse à une question, le ministre de l'Equipement, du Transport, de la Logistique et de l'Eau avait garanti que la Daya de Dar Bouazza faisait partie du domaine public hydraulique est qu'elle ne pouvait en aucun cas être enregistrée en tant que propriété d'un particulier. Le ministre avait cependant attribué la tentative d'appropriation du terrain de la Daya à un manque de mesure de protection des administrations précédentes. M. Amara avait cependant précisé que plusieurs travaux ont été entrepris par le ministère afin de remédier à la situation et garantir la sauvegarde du site qu'il a qualifié de maillon qui « joue un rôle important dans l'équilibre écologique local ». Rappelons que la Daya de Dar Bouazza avait fait l'objet d'un inventaire écologique de la part du Groupe Ornithologique du Maroc (GOMAC) qui a listé environ 80 espèces végétales diverses, quelque 177 espèces d'oiseaux ainsi que plusieurs espèces de mammifères, d'amphibiens et de reptiles. Affaire (en cassation) à suivre.
Oussama ABAOUSS 3 questions au Pr Rhimou El Hamoumi, présidente du GREPOM « Plus d'adéquation entre les engagements du Royaume et la réalité sur le terrain» Présidente du Groupe de Recherche pour la Protection des Oiseaux au Maroc (GREPOM/Birdlife), Pr Rhimou El Hamoumi a répondu à nos questions à propos de la destruction de certaines zones humides urbaines. - Quel est votre diagnostique des efforts de conservation des zones humides naturelles et urbaines ? - D'un côté, le Maroc a ratifié plusieurs conventions internationales environnementales qui l'engagent à protéger ces zones humides. D'un autre côté, la réalité sur le terrain atteste que plusieurs zones humides continuent à subir des destructions directes et parfois indirectes. Des zones humides détruites sciemment, à l'image de ce qui s'est passé pour la Daya de Takaddoum, et indirectement, à l'instar de ce qui se passe pour certains lacs du Moyen Atlas qui ont été complètement asséchés à cause d'une mauvaise gestion des ressources hydriques. Il y a certes des efforts louables qui sont déployés, mais il faudrait à mon sens encore plus d'adéquation entre les engagements du Royaume et la réalité sur le terrain au quotidien. - Quand une zone humide urbaine est détruite, qu'est-ce qui est perdu concrètement ? - On perd un écosystème, son cortège de biodiversité associée et tous les services écosystémiques qu'il peut apporter. On perd également un laboratoire à ciel ouvert qui peut servir à l'éducation environnementale et la sensibilisation. - Les oiseaux migrateurs sont-ils impactés par la destruction de zones humides urbaines ? - Bien sûr, car des zones comme celles de Takaddoum ou de Dar Bouazza sont des endroits où les espèces migratrices font leurs haltes pour se nourrir et se reposer. Quand ces haltes sont détruites, les migrations deviennent plus difficiles et la mortalité parmi les oiseaux augmente. Recueillis par O. A. Encadré Gâchis écologique : la dernière zone humide de Rabat, désormais sous les gravas Il y a quelques mois, nous avions relayé sur ces mêmes colonnes les appels de diverses associations environnementales nationales qui exhortaient les autorités à conserver la Daya de Takaddoum et appelaient le grand public à rejoindre leur mobilisation pour signifier leur attachement à la sauvegarde de ce plan d'eau. Le site, qui était considéré comme dernière zone humide d'eau douce de la capitale, jouissait d'une biodiversité remarquable riche de plusieurs espèces de faune et de flore. Menacée de destruction imminente pour céder la place au projet de la nouvelle plateforme agroalimentaire de Youssoufia, la Daya de Takaddoum est désormais en grande partie sous les gravas. En juillet dernier, plusieurs associations s'étaient mobilisées pour tenter de manifester leur opposition à cette destruction dans le cadre de l'enquête publique menée selon les dispositions de la loi n°12-03 relative aux études d'impact sur l'environnement. « L'enquête publique qui avait pour date limite le 27 juillet dernier, n'a finalement pas pris en compte les recommandations des scientifiques et de la société civile, car le projet a fini par recevoir l'acceptabilité environnementale », explique Pr Rhimou El Hamoumi, présidente du Groupe de Recherche pour la Protection des Oiseaux au Maroc (GREPOM/Birdlife). À l'heure actuelle, seules perdurent deux petites parcelles du lac situées des deux côtés de la rocade. « Nous espérons, qu'au moins, la petite partie qui reste puisse bénéficier de mesures de protection », souligne Pr El Hamoumi. Repères Quand le protectorat refusait de céder la Daya L'affaire de la Daya de Dar Bouazza remonte à l'époque du protectorat. Le ministère des Travaux publics avait refusé que le terrain soit une propriété de particuliers et avait rattaché la zone au domaine de l'Etat. « Si les autorités dans les années vingt ont refusé de céder cette daya à des particuliers alors que le taux de précipitation par habitant dépassait largement les 2000 mètres cubes, je ne vois pas pourquoi il serait possible de renoncer à ce site alors que notre pays vit une crise hydrique », commente Abderrahim Ksiri. Le potentiel économique de la Daya En plus de ses valeurs écologiques et hydriques, la dernière zone humide de Casablanca a également un potentiel de valorisation économique et de création d'emploi. « Il n'y a aucun sens à aménager des jardins là où il n'y a pas d'eau, et utiliser l'eau potable chemin faisant, alors que d'un autre côté on assèche une zone humide qui peut facilement, et à peu de frais, être aménagée pour devenir un endroit récréatif où se développe une activité écotouristique et pédagogique », explique le président de l'AMCDD.