Avec plus de 140.000 tests PCR par semaine, le coût supporté par l'Etat, les mutuelles et les assurances maladies au Maroc pourrait dépasser les 2 milliards de dirhams d'ici la fin de l'année. Alors que la saison tant redoutée de la grippe approche, la phobie de la contamination risque de grimper au sein de la population. L'automne et l'hiver pourraient être propices à l'épidémie. Cette période automne-hiver promet donc d'être très « spéciale », caractérisée par le soupçon et l'incertitude des gens devant les risques d'infection grippale. Ceci laisse présumer que le nombre de dépistages (comme mesure de prévention) pourrait connaître un rebond inédit, mettant ainsi sur la table la question de la prise en charge des frais de ces tests. Depuis le début de la pandémie, plus de deux millions de contrôles, très majoritairement par la technique PCR, avec prélèvement nasal par écouvillon, ont été réalisés dans le Royaume, portant la facture globale à plus de 900 millions de dirhams cette semaine. Facture prise en charge majoritairement par l'Etat. À ce rythme, plus de 4 millions de tests auront été réalisés à la fin d'année et plus de 2 milliards de dirhams dépensés. Une facture qui risque de monter en flèche, maintenant que les laboratoires privés entrent en jeu pile-poil avec la grippe saisonnière. L'Etat paye au prix fort Pour le moment, dès la première étape du test de dépistage, jusqu'à leur admission à l'hôpital, s'ils doivent être placés à l'isolement, les patients sont à la charge de l'Etat, nous indique le ministère de la Santé. Un protocole qui ne coûte pas cher, certes, mais la flambée des contaminations fait grossir la note. D'autant plus que l'Etat sera bientôt à court de ressources pour continuer à prendre en charge tous les malades Covid. «En incluant les laboratoires du secteur privé dans le processus, l'Etat serait, entre autres, à la recherche d'une alternative pour amortir ses dépenses face à une situation épidémiologique explosive », nous indique l'Istiqlalien expert en assurance, Fouad Douiri, soulignant qu'ainsi les compagnies d'assurance et mutuelles seront mises à contribution. D'ailleurs, les organismes de gestion ainsi que les assurances avaient annoncé, la mi-septembre, que la prise en charge des cas Covid-19 sera remboursable aussi bien dans le public que le privé. Ceci étant, les compagnies d'assurance n'ont pas encore mis réellement la main dans la poche, précise-t-on de même source. «Désormais que le spectre des bénéficiaires des tests dans les laboratoires privés a été élargi, il faut s'attendre à ce que le nombre de dépistages soit doublé. Mais les assurances privées seront les moins impactées, puisque le nombre d'adhérents dont elles disposent ne dépasse pas les 700.000 personnes », estime M. Douiri, précisant que les trésoreries de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) et la Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale (CNOPS) subiront par contre un coup sensible, puisqu'elles comptent quelque 10 millions d'adhérents. Face à ces prévisions sinistrées, la CNOPS, la CNSS, l'ANAM et le ministère de la Santé, ont formé une Commission en vue de se concerter quant aux modalités de remboursement des frais Covid. Cette dernière s'est accordée pour définir les modalités du remboursement qui seront conditionnées par les prescriptions des médecins habilités. Néanmoins, en cas de dépistage massif d'une zone quelconque, les tests resteront à la charge de l'Etat, nous précise un membre de ladite Commission. Quant au pourcentage de remboursement, il dépendra du taux de garantie précisé dans les contrats des clients. Les organismes de prévoyances essayent de minimiser les dégâts en cherchant un équilibre des prises en charge qui pourrait très probablement s'alourdir dans les mois à venir. Des prix pas très fixes... Ce boum des tests fait, par contre, des heureux, spécialement les laboratoires d'analyse, qui profitent de la conjoncture pour imposer des prix loin des 500 dirhams proposés par les établissements publics. Entre 600 et 1000 dirhams, certains laboratoires profitent des hésitations du ministère de la Santé dans la fixation des tarifs pour faire leur loi. « Le tarif est réglementé, mais les laboratoires refusent de s'aligner», nous indique Ouadie Madih, SG de la Fédération Nationale des Associations du Consommateur (FNAC), ajoutant que ce phénomène va persister tant que les services de la surveillance de marché de la Santé demeurent apathiques (voir 3 questions à...). Une source du département de Khalid Aït Taleb nous confie que le prix des tests pour les laboratoires est déjà fixé à 680 dirhams. Néanmoins, la nomenclature n'est pas encore publiée au Bulletin Officiel. Le dernier arrêté de la tutelle date de juillet 2005, d'où la multiplication des violations. Un comité ministériel étudie actuellement ces infractions, en vue de mettre fin à ce marchandage qui enfreint les règles déontologiques de la profession. Pour Ouadie Madih, les autorités compétentes doivent sévir contre ces laboratoires «qui jouent avec la santé des citoyens». Saâd JAFRI
3 questions à Ouadie Madih « Il est inconcevable que le citoyen paie de sa poche les frais relatifs au Covid »
Nous avons contacté Ouadie Madih, SG de la Fédération Nationale des Associations du Consommateur (FNAC), pour nous parler des conséquences de la dégradation de la situation épidémiologique sur le pouvoir d'achat des Marocains. - Le nombre de personnes qui se font dépister grimpe à vue d'oeil, maintenant que la saison grippale approche, or, peu de laboratoires sont agréés au niveau national pour effectuer les tests Covid. Cela n'aura-t-il pas un impact négatif sur le patient/client potentiel ? - L'octroi limité des autorisations aux laboratoires est un acte qui ne trouve pas sa place dans la situation actuelle. Cela aurait pu être justifié durant les premiers jours de la pandémie, où il y avait un nombre très réduit de tests effectués et peu de personnes atteintes par le virus. Mais face à la flambée des cas, il faut mobiliser le maximum de ressources possible. Il est de notoriété publique que 18 laboratoires privés déployés pour 12 régions ne feront pas l'affaire. Il faut donc libérer le marché pour pouvoir dépasser la crise actuelle à moindres dégâts. - Certains laboratoires imposent des prix exorbitants pour les tests PCR, quelles sont les raisons derrières ces dépassements et comment peut-on remédier à ce problème ? - Nous avons reçu des réclamations concernant la flambée des prix dans certaines villes comme Tanger, où les PCR se font à 700 dhs, alors que dans d'autres villes ils se font à 500 dhs. C'est une injustice et un abus à l'égard des patients. Le tarif est réglementé, mais certains laboratoires refusent de s'aligner. Un phénomène qui risque de persister tant que les services de la surveillance du secteur de la Santé demeurent apathiques. Il faut donc passer à l'action et sévir contre les contrevenants. Deuxième des choses, c'est l'affichage des prix. Il faut absolument le faire sinon c'est une infraction à la loi de la protection du consommateur. Les autorités compétentes doivent veiller au respect de ce point. - S'agissant de la prise en charge des cas Covid, ceux qui font des tests PCR juste par prévention n'ont pas droit au remboursement. Ne pensez-vous pas que cela créera une certaine réticence vis-à-vis du dépistage chez les gens ? - Effectivement, il y a un véritable problème quant à la non prise en charge des tests préventifs et des tests relatifs au Covid. C'est une injustice parce que cette pandémie pèse beaucoup sur les intérêts économiques du consommateur. Il est inconcevable que le citoyen paie de sa poche la médication, le traitement, les tests et analyses préventifs. Recueillis par S. J. Encadré Généralisation de la couverture sociale : Un chantier à finaliser en urgence face à la crise Aujourd'hui plus que jamais, la couverture sociale généralisée s'impose au Maroc du fait que le système marocain d'assurance sociale n'est pas suffisamment robuste pour supporter les risques découlant des crises économiques ou de santé publique. La chute de l'activité, les faillites, la hausse de la consommation des soins, sont autant de paramètres qui impliquent une baisse des recettes. La hausse des dépenses, au cas où la situation dure, pourrait conduire à un profond déséquilibre financier des régimes. Ainsi, dans cette conjoncture déplorable, la mise en place, en urgence, d'un système de couverture sociale qui pourrait inspirer la confiance des Marocains (même au cas où ils se retrouvent au chômage), est de mise. Lors d'un colloque-webinaire, organisé samedi, par le ministère de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l'administration-Trésorerie générale du Royaume, Noureddine Bensouda, Trésorier général du Royaume, a annoncé que ce chantier requiert la mise en place d'une cohérence dans l'investissement à engager entre les différentes composantes du système de la santé. La généralisation de cette couverture sociale aura nécessairement pour effet de créer une demande supplémentaire en termes de soins de santé, a-t-il relevé. En outre, la concrétisation et la réussite du chantier ambitieux de couverture sanitaire universelle passent, d'abord et avant tout, par la mise en place des préalables nécessaires en termes de mise à niveau de l'offre de soins, a ajouté le responsable. Le Trésorier du Royaume a, par ailleurs, souligné la nécessité de mettre en place une réelle cohérence de la politique de la santé, avec une volonté ferme de coordination entre les différents acteurs. Repères La couverture sociale en progression Le taux de couverture médicale a connu «une nette progression», passant de 16%, avant l'entrée en vigueur de l'Assurance maladie obligatoire (AMO) en 2005, à environ 68% actuellement, a indiqué, samedi, Noureddine Bensouda, Trésorier général du Royaume. Et d'ajouter que la progression de ce taux s'est accompagnée d'une évolution des taux de prise en charge des frais médicaux, qui peuvent aujourd'hui atteindre 100% dans le cas des Affections de longue durée (ALD) et des Affections lourdes et coûteuses (ALC). Prise en charge dans les cliniques Pour l'instant, les cliniques privées ne disposent pas encore de circuits adéquats pour le traitement des cas Covid, qui définit également les modalités de prise en charge. Les quelques établissements bénévoles appliquent le protocole thérapeutique, délivré gratuitement par l'Etat aux personnes qui ne trouvent pas de place dans les hôpitaux publics. Notons que le ministre de la Santé avait annoncé que si la dégradation de la situation épidémiologique persiste, les hôpitaux seront submergés. Allons-nous vers l'implication du secteur privé même dans le traitement ?