Tout le monde ne subit pas la crise de la même manière et avec la même intensité. Les travailleuses domestiques vivent un vrai calvaire à cause de la pandémie et du confinement. par Hayat Kamal Idrissi Fouzia, la quarantaine, vit avec ses trois enfants à douar Chlihate, à Rahma.Elle a passé la moitié de sa vie à faire le ménage chez des familles casablancaises. Depuis l'instauration de l'état d'urgence sanitaire, elle s'est retrouvée du jour au lendemain sans resources. Ses employeurs, un couple de fonctionnaires, lui ont posé un grand dilemme : Soit elle reste confinée avec eux le temps qu'il faudra sans droit de sortie, soit elle part pour de bon. « Je suis seule, j'ai personne pour garder mes enfants et pour prendre soin d'eux et mes employeurs avaient peur que je ramène le virus chez eux.Je n'avais pas vraiment le choix », raconte Fouzia, tiraillée entre son devoir de mère et ses engagements professionnels. Sans défense Aujourd'hui, au bout de deux mois, elle est au bout du rouleau. « Je n'ai pas pu bénéficier de l'aide de l'Etat. Je n'ai pas de carte RAMED mais j'ai fait tout de même une demande pour non-ramedistes. Ma demande n'a pas eu de suite », déplore-t-elle, la mort dans l'âme. Comment fait-elle pour s'en sortir sans resources ? « Sans les paniers et les aides des associations et d'autres bienfaiteurs, mes enfants auraient pu mourir de faim », martèle-t-elle, l'échine courbée sous son fardeau. Triste quotidien pour Fouzia, mais aussi pour beaucoup d'autres travailleuses domestiques, comme l'affirme Bouchra Abdou de l'Association Tahadi pour l'égalité. « Elles sont nombreuses ces employées virées à cause du confinement, sans aucune considération pour leur situation familiale. Lâchées dans un moment de crise sans indemnités, elles se sont retrouvées dans la rue en train de chercher désespérémentde l'aide. Du statut digne de travailleuse domestique, elles sont devenues presque des mendiantes », explique Bouchra Abdou. Détresse financière doublée d'une grande souffrance psychologique, ces employées sont frappées de plein fouet par la crise liée à la pandémie. Elles subissent, impuissantes, ses retombées catastrophiques. Le pain amer Pour Amina, 43 ans, si elle, a eu la chance de préserver son emploi chez des expatriés russes, ses collègues et voisines n'ont pas eu le même « privilège ». « Plusieurs de mes amies vivent dans des situations extrêmement critiques. Pour la plupart responsables principales ou uniques de leurs foyers, elles sont les seules pourvoyeuses de fonds. Certaines prennent en charges des maris et des enfants, des parents, des frères et des sœurs. Avec le confinement qui se prolonge, les salaires gelés, les opportunités d'emploi rares voire nulles et les maigres épargnes qui s'envolent, c'est une souffrance collective. Sans la solidarité des voisins et de certains bienfaiteurs etle crédit de l'épicier du quartier, j'imagine mal comment elles pourraient s'en sortir », se demande Amina qui côtoie au quotidien cette détresse à Hay Rahma. « Nous sommes en contact direct avec cette population de part notre travail sur le terrain. Nous vous assurons que c'est l'une des catégories les plus touchées par la crise et malheureusement les moins soutenues par les aides de l'Etat » atteste Bouchra Abdou. Entre celles carrément virées et celles dont le salaire a été suspendu en attendant le déconfinement, « on constate, aujourd'hui, la grande importance de la bonne application de la loi 19-12 relative au personnel de maison » souligne-t-elle en précisant que c'est le seul moyen de protéger leurs droits et surtout pour préserver leur dignité de travailleuses ». Même son de cloche du côté de Zahia Âamoumou, avocate et membre de l'association.« La loi est bien là mais son application et le contrôle de sa bonne application laissent encore à désirer. Le cadre du travail à caractère intime qui est le foyer familial, la nature spéciale des rapports dans ce cadre représentent l'une des grandes limites à la mission de contrôle de l'inspecteur du travail. Une problématique de taille qui freine la surveillance des conditions de travail des employés domestiques et le contrôle du respect des différentes closes des contrats », analyse l'avocate. Elle recommande de faire appel à des assistantes sociales pour accomplir cette mission comme c'est le cas ailleurs. « Si avec le déclenchement de la pandémieet la panique qui s'en est suivie, beaucoup d'employeurs ont commis de lourdes infractions à l'encontre de leurs employés domestiques, ces derniers n'ont toutefois eu aucun recours légal pour protéger leurs droits. Ils ignorent même l'existence d'une loi les protégeant. Même ceux qui sont au courant, n'y croient pas vraiment car ne voyant pas d'application dans la vie réelle. C'est juste un texte pour la forme ! », déplore Amina qui a déjà tenté, avec d'autres collègues, de constituer une association pour la protection des droits des travailleurs domestiques… sans succès ! Les raisons ? « Notre demande a été refusée car l'appellation choisie pour notre association avait une connotation syndicale », explique, incrédule, Amina. Cette dernière déplore d'ailleurs la non reconnaissance du statut de travailleurs domestique et la stigmatisation sociale du métier en général. Loi et limites La loi 19-12 relative au personnel de maison est entrée en vigueur le 2 octobre 2018.Elle est venue, en principe, pour changer un vécu amer caractérisé par la précarité, l'absence de droits fondamentaux, l'exposition aux différentes formes d'agression, de marginalisation et d'exploitation économique et sociale. Ambitieux, ce nouveau texte visait à garantir une protection juridique aux travailleurs domestiques et particulièrement aux mineurs. Cette loi fixe le salaire, la durée de travail, le repos hebdomadaire et le congé annuel payé ainsi que le droit à la protection sociale. Grandes ambitions même si les mécanismes de son application laissent planer quelques doutes. La pandémie a d'ailleurs mis à rude épreuve cette loi et a montré ses limites, « ça reste lettre morte », déplorent les acteurs associatifs.