Par Ahmed Charaï Il est évident que la défiance des populations vis-à-vis de la classe politique se renforce. Mais croire qu'elle n'est liée qu'à leurs querelles intestines, serait une erreur. Le fait est qu'il est quasiment impossible d'identifier un parti par un projet cohérent auquel il serait attaché et qui encadrerait ses différentes positions. Le PJD était présenté comme le dernier parti à référentiel. Abdelilah Benkirane insistait dessus, pas plus tard qu'aux dernières législatives. A Taroudant, il a même fait référence à Ibn Taymiya, le plus rigoriste des rigoristes, qu'il présentait comme leur chef spirituel. Et puis voilà que pour défendre une députée qui s'est dévoilée, il fait référence aux libertés individuelles. Ces référentiels à géométrie variable sapent la confiance dans l'action publique. Surtout auprès d'une jeunesse désemparée et en quête de sens. Mais les autres partis ne sont pas plus clairs sur les questions sociétales. Ils épousent l'air du temps et donc changent souvent de cap. Parfois par pur opportunisme, sinon par ignorance au sens le plus large, oubliant même leur ADN. Le PAM devait, à l'origine, promouvoir la modernité et en faire une arme contre «l'obscurantisme». Des sujets sociétaux importants ont été portés par ce parti, directement ou indirectement par «Dar al Hikma». Mais la politique politicienne a vite repris le dessus. Perturbant ce message qui pourtant se voulait le marqueur de ce parti. Cette attitude a ruiné électoralement la gauche. Elle a abandonné le combat culturel, sur les questions sociétales, par peur de voir ces positions instrumentalisées par les barbus. Résultat, elle a perdu le soutien des franges les plus modernistes de la société, qui ne se sentent plus représentées. C'est la réalité depuis le plan d'intégration de la femme. La société est traversée par des courants contradictoires. C'est visible à l'œil nu. Ce qui est demandé aux partis c'est d'avoir une identité tranchée et de porter le courant sociétal de leur choix qui leur parait aller dans le sens de leur projet. Au lieu de cela, ils se situent tous dans l'approche d'un consensus impossible entre conservatisme et modernité, spécificité et universalisme. C'est à nos yeux le drame de notre classe partisane qui refuse un engagement assumé, d'un coté ou de l'autre, par crainte d'éventuelles répercussions électorales. Si l'on y ajoute que, sur le plan des choix économiques, tous les partis se sont ralliés aux théories libérales, on peut comprendre la confusion ressentie par l'opinion publique. S'il y a 32 partis au Maroc, il n'y a pas autant de projets sociétaux. Il y a un projet conservateur, un projet moderniste d'essence libérale et un autre d'inspiration social-démocrate. Si la vie politique était structurée autour de ces trois projets, elle serait plus claire à décoder et donc plus riche parce que représentative des clivages qui existent au sein de la société. Il ne sert à rien de focaliser sur les déficiences organisationnelles ou de communication au sein des partis. Ces problèmes sont importants et doivent être résolus. Mais un parti politique se doit d'abord de créer du sens et il ne peut le faire sans une identité affirmée qui le situe auprès d'un courant de pensée et qui encadre toutes ses propositions à la société. Si l'approche actuelle perdure, elle ne produira qu'une démobilisation plus importante, surtout au sein de la jeunesse dont les besoins de repères ne sont pas assouvis. C'est un vrai débat qu'il nous faut.