En marge de la participation des islamistes au scrutin du 27 septembre Est-il nécessaire de rappeler que le courant islamiste au Maroc croit en la participation à la vie politique ? Est-il nécessaire de rappeler aussi que les pouvoirs publics continuent à refuser d'accorder la légalité à ces composantes ? Est-il enfin nécessaire de rappeler que la participation à la vie politique ne signifie pas obligatoirement la participation aux élections ? Les structures organisationnelles du courant islamiste marocain se trouvent en dehors du jeu électoral du fait du recoupement objectif avec la stratégie religieuse de l'institution monarchique et la tactique religieuse adoptée par les partis. Même quand certains islamistes sont autorisés à participer aux opérations électorales, ils le font sous la bannière d'un parti politique existant. Cette situation est bonne à rappeler pour aborder les limites de la participation des islamistes dans les dernières opérations électorales. Mais pourquoi donc a-t-on propagé la thèse du raz-de-marée islamiste ? Qui est responsable de la propagation de cette thèse ? Tout a indiqué que lors du scrutin du 27 septembre, c'est la logique de l'équilibre qui a prévalu. Par conséquent, la participation des islamistes ballottait entre deux hypothèses contradictoires : le raz-de-marée et l'équilibre. 1- Le raz-de-marée Deux courants distincts sont à l'origine de la propagation de cette thèse : le courant moderniste d'une part et quelques figures du mouvement “ Attawhid Wal Islah ” d'autre part. Les modernistes Sous le nouveau règne, la carte politique marocaine a connu des repositionnements certains puisque l'on ne parle plus de gauche ou de droite, de libéralisme ou de socialisme. Il s'agit actuellement du conflit entre la modernité et l'obscurantisme. En d'autres termes, qui est favorable à l'émancipation de la femme et qui est contre ses droits. Le courant moderniste qui brandit le slogan du “ projet de société démocratique moderniste ”, le fait surtout pour contrer le courant islamiste obscurantiste qui n'a cessé d'user de la menace d'un raz-de-marée islamiste lors du scrutin du 27 septembre. Ceci est dû à deux raisons : • L'insistance sur l'impossibilité de distinguer entre islamistes modérés et islamistes radicaux. En effet, les caractéristiques des islamistes sont antinomiques à la modération. D'ailleurs les récentes arrestations effectuées dans les rangs de certains groupes islamistes apparentés à “ Attakfir wal Hijra ” ou “ Salafia Jihadia ” démontrent bien que les modernistes ont usé de toutes leurs forces pour élargir la dénonciation de l'extrémisme religieux aux membres du parti de la justice et du développement. • Le courant moderniste a refusé de faire la distinction entre les participationnistes et les adeptes du boycott en mettant en avant la possibilité d'une coordination entre les islamistes pour que le PJD bénéficie du soutien électoral d'Al Adl Wal Ihsane. Par conséquent, le courant moderniste voulait à tout prix tirer la sonnette d'alarme et envoyer son message dans deux directions : rompre les liens du pouvoir avec les islamistes modérés présentés comme peu crédibles et inciter les électeurs à la vigilance face à l'obscurantisme. Attawhid Wal Islah Selon des calculs qui diffèrent sensiblement de ceux des modernistes, certains militants d'Attawhid Wal Islah ont propagé sciemment la thèse du raz-de-marée islamiste notamment en insistant sur le fait qu'ils constituent la première force politique du pays. Même si cela peut paraître proche de la réalité, il n'en demeure pas moins qu'une erreur fondamentale a été commise. En effet, ces islamistes voulaient donner l'impression que ce courant est uni. Or, ceci ne faisait que conforter la thèse des modernistes qui ne distinguent pas entre les modérés et les extrémistes. Les islamistes d'Attawhid Wal Islah ont contribué à la propagation de la thèse du raz-de-marée en adoptant la stratégie de candidatures limitées du PJD dans les circonscriptions électorales pour sauvegarder les grands équilibres. Cependant, il est nécessaire d'expliquer cette situation. Si les militants d'Attawhid wal Islah veulent se présenter comme la première force politique du pays, ils ne constituent en fait qu'une petite minorité. Par ailleurs, il faut distinguer entre les islamistes en tant que force politique et en tant que force électorale dans ce sens que la plupart des islamistes restent en dehors de la logique électorale. Et ceci restera valable tant que les pouvoirs publics continuent à interdire aux associations islamistes de présenter leurs propres candidats aux élections. C'est pour cela d'ailleurs que la principale association islamiste, qui est Al Adl Wal Ihsane, se considère en dehors du jeu électoral. D'ailleurs, rien ne prouve qu'il y avait une coordination entre Attawhid Wal Islah et Al Adl Wal Ihsane puisque les positions des deux organisations sont diamétralement opposées. D'ailleurs l'association de Cheikh Yassine n'a pas lésiné sur les moyens pour dénoncer l'option de la participation prônée par l'organisation de Raissouni. Devant cette situation, il est légitime de s'interroger sur les motivations d'Attawhid Wal Islah qui parlent d'éviter le raz-de-marée islamiste pour sauvegarder les intérêts du pays. Par cette thèse, les islamistes d'Attawhid Wal Islah adressent deux messages. Le premier a pour cible le courant moderniste qui est contrecarré dans sa représentativité populaire. Or, le raz-de-marée supposé consiste à présenter les Marocains comme des adeptes du courant islamiste représenté par Attawhid Wal Islah et leur parti le PJD. Le deuxième s'adresse aux autres composantes du courant islamiste notamment à Al Adl Wal Ihsane, pour justifier l'option participationniste et démontrer que l'option du boycott est dépassée puisque les Marocains ont voté massivement pour les amis de Othmani, Benkirane et autres Ramid. Cependant, au moment où la thèse du raz-de-marée islamiste circulait, il apparaît évident aujourd'hui que c'est la logique des équilibres qui a prévalu et qui légitime une thèse alternative. 2- La thèse de l'équilibre Cette thèse s'articule autour de la capacité du pouvoir de maîtriser le jeu électoral et se base sur des règles et des mécanismes. Les règles Pour le pouvoir politique, il y a deux règles susceptibles de sauvegarder les équilibres sur l'échiquier : la première est d'ordre politique, la deuxième est d'ordre juridique. La règle politique consiste à imposer un champ politique qui permet d'apercevoir en apparence un pluralisme tout en mettant en exergue une balkanisation de la carte. Lors du scrutin du 27 septembre, 26 partis ont participé aux élections dont 11 nouvelles formations. De par l'histoire politique du Maroc, plusieurs partis font leur apparition à l'occasion des opérations électorales et ce depuis 1963. Mais leur nombre demeurait limité. Mais en 2002, nous avons pu constater l'émergence d'un nombre record de partis. Hormis la Gauche socialiste unifiée qui a été créée sur la base de la fusion de l'OADP avec les démocrates indépendants, le Mouvement pour la démocratie et le groupe Al Maidan, neuf nouveaux partis ont vu le jour. Il s'agit du Congrès national ittihadi, le parti de la réforme et du développement, l'Union démocratique, Al Aâhd, Forces citoyennes, le renouveau et l'équité, le parti de l'environnement et du développement, l'alliance des libertés, Initiatives citoyennes pour le développement et le parti marocain libéral. Sachant que six de ces partis sont issus d'une scission de leur formation d'origine (CNI, UD et Al Aâhd, le PRD, le PED et le PRE). De ce fait, l'adoption du multipartisme dans son actuelle version consacre la balkanisation de la carte politique et renforce le jeu de l'équilibre électoral notamment en dispersant les voix des électeurs. D'autant plus que les programmes électoraux présentés par les uns ou les autres pêchent par leur ressemblance. Pire, certains slogans électoraux sont tellement identiques que cela a donné lieu à des conflits notamment entre le PJD et le Mouvement populaire. Une simple lecture de ces programmes fait ressortir les principaux axes sur lesquels ils s'articulent. • L'authenticité qui veut dire l'attachement aux valeurs culturelles et religieuses. • La démocratie en tant que pivot du système politique. • La justice en tant que prélude à la question sociale. • Le développement comme base de toute réforme économique. Devant la similitude des programmes et des slogans, le PJD se devait de se distinguer pour réussir son raz-de-marée. Mais il fallait compter sans la concurrence de l'Istiqlal qui a brandi à maintes reprises la question du référentiel islamique et choisi la balance comme sigle. D'autre part, l'équilibre juridique trouve son essence dans l'adoption du nouveau mode de scrutin de liste à la proportionnelle. Or, ce mode de scrutin ne permet à aucun parti de détenir une majorité confortable comme c'était le cas pour le mode de scrutin uninominal. Par conséquent, ce mode constitue une règle juridique fondamentale pour l'équilibre politique. Les mécanismes Le pouvoir politique s'appuie sur deux mécanismes pour la sauvegarde de l'équilibre : l'exclusion ou l'adoption. Pour le cas de l'exclusion, l'Etat adopte cette approche vis-à-vis de certaines composantes du courant islamiste pour deux raisons. • Le souci de l'Etat de neutraliser la clientèle électorale d'Al Adl Wal Ihsane notamment en perpétuant l'interdiction de cette association à caractère politique qui se trouve de ce fait hors-jeu électoral. • Le souci de l'Etat de ne pas reculer devant certaines de ses orientations majeures notamment en n'accordant pas l'autorisation à des formations politiques religieuses. C'est le cas d'Attawhid Wal Islah qui avait formulé le vœu de créer le parti du renouveau national en 1992 et le mouvement Al Badil Al Hadari (Alternative civilisationnelle) qui n'a pas été autorisé à créer en 2002 le parti Al Badil Al Hadari. Pour qu'il soit efficace, le mécanisme de l'exclusion requiert l'adoption de sa contradiction, c'est-à-dire le mécanisme de l'adoption. C'est pour cela que Attawhid Wal Islah a été poussé à agir légalement à travers le parti du Mouvement populaire constitutionnel et démocratique du Dr Abdelkrim Khatib. Il apparaît donc que le pouvoir politique considère ce mouvement comme une partie du jeu d'équilibre qu'il exerce surtout après la publication du mémorandum de Abdeslam Yassine “ A qui de droit ” (Ila Man Yahoummouhou Al Amr). Ce mécanisme d'adoption s'est illustré également par l'invitation adressée à Ahmed Raïsouni, président d'Attawhid Wal Islah, d'animer une conférence religieuse lors du cycle de Ramadan des conférences hassaniennes présidées par Feu Hassan II. C'est alors qu'Attawhid Wal Islah a obtenu un récépissé provisoire retiré par la suite par les pouvoirs publics pour des raisons tactiques. Le mécanisme de l'adoption est incarné par le message des islamistes du PJD adressé à ses électeurs et qui insiste sur le référentiel islamique sans toutefois contredire le même référentiel prôné par l'institution monarchique. C'est un discours qui est issu de la même légitimité religieuse d'Amir Al Mouminine (Commandeur des croyants) et par là même, il ne fait que reproduire l'islam officiel qui est contredit essentiellement par le discours d'Al Adl Wal Ihsane. Nous pouvons enfin conclure que la participation des islamistes aux élections s'appuie sur la logique de la sauvegarde des équilibres. De ce fait deux évidences sont à souligner : • Les islamistes constituent une réelle force politique sans pour autant constituer une force électorale du fait du boycott d'Al Adl Wal Ihsane. • Il n'existe aucune possibilité pour les islamistes du PJD de créer un raz-de-marée électoral pour la simple raison que l'Etat maîtrise le jeu des équilibres. Malgré tout ce qui se dit ou s'écrit, les islamistes n'ont récolté que 13% des voix exprimées lors du scrutin du 27 septembre caractérisé par un taux d'abstention de l'ordre de 48%. Cela veut tout dire.