Pour provoquer un état d'anarchie aidant à mener une politique interventionniste américaine, l'administration Bush et les faucons néoconservateurs américains sont des adeptes et des praticiens des principes des deux grandes théories en matière de relations internationales : la théorie du chaos et celle des catastrophes. C'est donc dans l'anarchie que la puissance se porte le mieux et qu'elle peut remplir la vocation d'arbitre par la force. Après l'Afghanistan, l'invasion de l'Irak, la gestion de la violence durant quatre longues années sont essentiellement gérées selon les bases de la théorie du chaos. Le triangle Afghanistan, Irak, Iran pourrait alors remplir la fonction d'un triangle de la catastrophe. Le triangle Afghanistan, Iran, Irak en tant que triangle particulièrement propice aux secousses n'est pas nouveau. Durant les années 70 et 80, ce triangle tremble déjà. Les Moudjahidines mènent le combat contre les troupes de l'Union soviétique à partir de 1979. La guerre entre l'Irak et l'Iran commence en 1980. Washington aide Saddam Hussein contre le régime islamique de Téhéran et apporte son soutien logistique aux combattants afghans. Ces scénarios prévoyaient déjà, depuis l'administration Carter puis celle de Reagan (dans laquelle Ronald Rumsfeld se chargeait du dossier afghan et Irakien) la gestion d'un état de tension permanent. Sous l'administration Bush père, Saddam Hussein envahit le Koweït en 1990, la suite, on la connaît. La linéarité de Washington se met donc en place et des multiples plans sont initiés. Il y a tout d'abord le plan Bush des années 90, visant à établir un Nouvel Ordre mondial. Dans cette phase, Washington aide Saddam Hussein dans sa guerre contre l'Iran, qui a coûté la vie à un million d'hommes (1981-1988). Plusieurs documents montrent que Washington a encouragé Saddam à déclencher ce conflit. Le 20 décembre 1983, c'est Rumsfeld, en tant qu'envoyé spécial du président Reagan, qui rencontre Saddam et lui apporte le soutien américain. Washington est par la suite informé de l'usage des armes chimiques par Saddam mais reste sans action. Un document gouvernemental américain top secret, daté de 1984, révèle : « Le président Carter a fait passer à Saddam Hussein un feu vert pour déclencher la guerre en 1980 contre l'Iran » et en 1986, le chef de la CIA William Casey, apporte le soutien de son agence aux groupes du jihad afghan au Pakistan. La CIA aide à la mise en place des camps d'entraînements des combattants musulmans au Pakistan, visant à former des combattants prêts à partir affronter les Soviétiques en Afghanistan. C'est ce qui donne lieu à la naissance de la nébuleuse structure d'Al-Qaïda (la base).En 1990, huit jours avant l'invasion du Koweït, Saddam Hussein convoque Mme April Glaspie, l'ambassadrice américaine à Bagdad. Mme Glaspie lui explique que les Etats-Unis ne prendraient « aucune position sur un conflit de frontières entre l'Irak et le Koweït». La première guerre contre l'Irak a lieu en 1991. A cette période, Washington continue à apporter son aide logistique aux combattants afghans. Washington qui secoue la bouteille régionale, parvient à la chute de l'Union soviétique en 1991. Les moudjahiddines, qui mènent les combats contre les troupes soviétiques, s'emparent de Kaboul en 1992. Mais Washington n'avait pas prévu que la bouteille qui tombe cachait Ossama Bin Laden. C'est durant l'été 1998, lors des attaques au Kenya et en Tanzanie, que Washington est touché pour la première fois par les conséquences de l'orientation made in USA. Les premières attaques contre le World Trade Center ont lieu. Le réseau Abdel Rahman se montre cinq ans plus tard. Le 26 février 1993, à midi, une voiture piégée explose dans le sous-sol du World Trade Center, à New York. Cinq ans plus tard les attaques contre l'ambassade américaine au Kenya se produisent en 1998. La taupe du FBI, l'agent égyptien Emad Salem révèle, lors du procès du WTC en 1995, que les explosifs, fournis par le FBI, devaient être factices. Les questions sur le rôle ou l'échec du FBI restent posées au même titre que son inaction durant les attaques du 11 septembre en 2001. L'attentat contre les tours jumelles du World Trade Center provoque un choc planétaire. La suite, on la connaît : la guerre contre le terrorisme est déclenchée par George W. Bush. D'abord en Afghanistan en 2001, puis en Irak en 2003. Depuis, les choses ne sont pas rentrées dans l'ordre et l'Amérique ne sait pas mener une politique cohérente dans le Moyen-Orient. En 2000, un nouvel état stable ou gamme d'états préférés est rétabli. Aucune possibilité de retourner à son vieil état stable mais les perturbations ont commencé. Alors qu'il se trouve dans un état d'équilibre instable, le système absorbe les changements de façon continue. La bouteille retourne peu à peu à sa position initiale. Pour arriver à la deuxième phase (la bouteille tombe), les Etats-Unis essayent de pousser le col de la bouteille le plus loin possible afin de la renverser (c'est le cas envers Saddam Hussein) : provoquer l'état de catastrophe. L'?quilibre instable commence par l'invasion de l'Irak en 2003. L'Amérique semble déterminé à pousser le col de la bouteille du Moyen-Orient le plus loin possible. En renversant la bouteille, un état de chaos global doit, selon la conception des néo-conservateurs américains, donner lieu à une meilleure visibilité dans la gestion de la région dans les décennies à venir. Le processus commence par la tournée de George W. Bush dans les pays du Golfe début janvier 2008, avec le pari difficile de rallier l'Arabie et les Emirats à ses vues sur l'Iran. Bush déclare alors que « l'Iran est une menace croissante » sur fond de regain de tension entre les Etats-Unis et l'Iran provoqué par les manuvres de bateaux iraniens à proximité des navires américains dans le détroit d'Ormuz. Suite à ces incidents, le chef d'état-major américain met en garde l'Iran. Mais vues de Téhéran, ces actions semblent perçues comme un défi. Téhéran se sent sur un terrain solide. « Bush tente en vain de nuire aux relations entre l'Iran et ses voisins » déclare le chef de la diplomatie iranienne Manouchehr Mottaki. Le Pentagone réplique et avertit être « prêt au recours à la force pour défendre sa Marine » alors que la Maison Blanche montre son inquiétude devant la livraison de systèmes de missiles anti-aériens S-300 par la Russie à l'Iran. Les choses s'accélèrent. Washington, qui veut ouvrir les portes du Moyen-Orient, pense gagner en favorisant des processus continuels d'adaptation qui lui permettent de contrôler au minimum la façon dont les changements par le chaos sont entraînés dans la mouvance et l'incertitude. L'administration Bush et les néoconservateurs disposent encore d'un an durant lequel tous les scénarios de provocation d'un état de chaos sont possibles. On assistera certainement à des pousses répétitives de la bouteille du Moyen-Orient qui tombera un jour. Cette bouteille contient deux ingrédients majeurs pouvant jeter toute la région dans la mer agitée de la catastrophe. Il s'agit d'un possible affrontant entre chiites et sunnites ou les frappes des installations nucléaires iraniennes. L'état de la catastrophe recherché par les néoconservateurs aura certainement des conséquences dévastatrices au delà de la région. Les voix des réalistes ou ceux de la realpolitik, comme James Baker ou Kissinger tentent de freiner la machine de Bush. Les élections de novembre 2008, risquent de changer la donne, mais la bouteille du Moyen-Orient restera toujours dans sa position initiale d'équilibre précaire prête à être renversée par une secousse inattendue et mal calculée.