geopolitique Le : 2008-04-01 Les gouvernements arabes viennent de se donner les moyens de museler les chaînes de télévision par satellite diffusées sur leur territoire qui viendraient à leur déplaire. Ces chaînes ne cessent de se multiplier depuis leur apparition dans les années 90. Début 2008, on en dénombre 500. Ce foisonnement a été rendu possible par les progrès des technologies numériques et la baisse du coût de diffusion liée à l'abondance de l'offre satellitaire. Ces chaînes faciles à capter arrosent le monde arabe mettant ainsi fin au contrôle de l'information exercés par les gouvernements. Pour beaucoup d'Etats, cette situation est inacceptable et ils cherchaient depuis longtemps la parade. La première étape pas vers une censure coordonnée vient d'être accompli. Les ministres arabes de l'information, réunis au Caire à l'initiative de l'Egypte, ont adopté mi-février une Charte de principes qui leur donne les moyens de contrôler les télévisions privées de la région. L'accord a été quasi unanime : sur les 22 membres de la Ligue Arabe, seul le Qatar, qui héberge et finance Al Jazeera, sans doute la plus connue et la plus controversée de ces nouvelles chaînes, a refusé de signer. Le texte vise large et dans des termes suffisamment vagues pour légitimer toute mesure arbitraire. Il proclame que son but est de « protéger l'identité arabe des méfaits de la globalisation ». Il somme les chaînes de télévision « d'adhérer à l'objectivité, à la sincérité et de respecter la dignité des pays, des nations ainsi que leur souveraineté ». Les chaînes sont mises en garde contre « toutes atteintes à la paix sociale, à l'unité nationale et à la morale publique » ; toute « offense » aux dirigeants et personnalités religieuses arabes leur est également interdite. Les contrevenants s'exposent à des sanctions sévères : leurs licences d'exploitation peuvent être suspendues ou supprimées, les permis de travail et visas de leurs journalistes retirés et leurs matériels et leurs biens confisqués. Anas el Fekki, le ministre égyptien de l'information a salué l'adoption de cette charte annonçant que l'Egypte allait immédiatement l'appliquer aux chaînes satellitaires arabes qui ont « dévié du droit chemin ». Le temps est venu « de confronter ( ) ceux qui marquent des points en critiquant la volonté des nations et des peuples », a souligné le ministre égyptien qui donne l'impression d'avoir des comptes à régler. La charte est d'autant plus inquiétante que, adoptée par tous les pays arabes sauf un, elle permet une campagne générale coordonnées visant l'ensemble des chaînes de télévision indépendantes au Moyen Orient. Leur apparition, dont celle de l'emblématique Al Jazeera, avait pu faire croire au début d'une dynamique vers la modernisation et l'ouverture de ces régions où les structures du pouvoir demeurent souvent encore féodales et tribales. Des pressions sur le conseil d'administration d'Al Jazeera l'année dernière ont effectivement forcé la chaîne à tempérer ses informations qui irritaient à la fois les monarchies de la région et l'administration du président Georges W. Bush. Ce résultat n'avait pu être obtenu par les menaces et les atteintes physiques emprisonnements et bombardements aériens compris- visant ses journalistes et ses installations. A côté des pressions financières et économiques, le brouillage des canaux satellitaires porteur du signal des chaînes a également été tenté encore l'année dernière contre une télévision diffusant des vidéos d'opérations de la rébellion sunnite irakienne. Mais ce genre de brouillage affecte également les autres transmissions hébergées par le satellite. Il est de plus relativement facile d'en identifier sa provenance et ses caractéristiques techniques et donc d'en déduire qui en est à l'origine. Une charte parée de tous les grands principes et permettant des mesures d'exception hors de toute garanties légales, est effectivement beaucoup plus discret et efficace. Le danger pour les libertés n'en est que plus grand.