Jusqu'au bout, la guerre en Libye sera restée à peu près incompréhensible ! Malgré la présence de nombreux reporters sur le front, le brouillard de la guerre se maintient, c'est-à-dire une confusion savamment entretenue par les deux camps. Il y a un mois, Tripoli est tombée aux mains des rebelles, pratiquement sans coup férir. Les experts qui prédisaient un bain de sang en sont restés éberlués : l'armée libyenne s'était volatilisée, tout comme Kadhafi. Les caméras ont exploré les corridors et les souterrains de Bab al-Aziziya et le monde entier a découvert que le château était vide. Dans le donjon abandonné, quelques retardataires vendaient chèrement leur peau comme des figurants qui feraient du zèle. Les responsables pensaient alors la guerre finie. Il ne restait que des poches à nettoyer, des fugitifs à arrêter, une opération de police. Excès d'optimisme, comme un retour de balancier après des mois de piétinement décourageants. Personne dans les Etats Majors ne croyait que les combats dureraient jusqu'à ce début octobre. Les bombardements de l'Otan se sont concentrés sur ce triangle que forment Syrte, Sebha, Bani Walid. Les Kadhafistes s'y sont peu à peu regroupés, en ville. Ils ont tenu ces bastions sous les bombardements aériens et la pression constante de ceux qu'on ne peut plus appeler des rebelles mais qu'il faut nommer les Thuwar. Ils résistent malgré les défections nombreuses, les palabres en cours avec les tribus, la certitude que le régime est fini et que rien ne pourra le relever. Ils se battent dos au mur, parce qu'ils n'ont nulle part où aller et qu'ils redoutent l'épuration. Et pour cause ! Quelques centaines de despérados, peut être deux mille mus par l'énergie du désespoir, aux cotés de Saef et de Moutassem, les deux fils de Kadhafi encore en vie et en Libye. Jour après jour, leur terrain est grignoté. Le drapeau royaliste flotte enfin sur la citadelle de Sebha. Malgré les divisions parmi les assaillants, le port de Syrte est tombé en début de semaine. Dans les faubourgs de Bani Walid, les combats de rues sont des batailles de voyous, avec les civils retenus en otages. La guerre en ville reste la hantise des états-majors. Celui de l'Otan aura engrangé une expérience considérable depuis qu'il a fait reculer les blindés qui se préparaient à investir Benghazi. Tous les moyens auront été utilisés pour minimiser les pertes et notamment le recours aux hélicoptères d'attaque. On peut parier que plusieurs générations d'officiers en tireront des leçons dans les écoles de guerre. La guerre a été un mirage en Libye. L'après guerre aussi. Mais le présent est riche de tous les espoirs. Comme ce « Premier forum amazigh libyen » organisé à Tripoli. Décor incontournable de la place des Martyrs, l'ancienne place verte où Kadhafi se mettait en scène, saluant ses partisans exaltés depuis le balcon, tel Mussolini. A la place du vert monochrome, les couleurs joyeuses du drapeau berbère. Un concert, des débats, une fête et l'hymne national chanté en alternance en arabe et en tamazight. Tintamarre incongru dans cette capitale d'ordinaire atone. Pendant 41 ans, le tamazigh a été proscrit. Il était interdit de le parler, de le lire, de l'écrire. A l'heure de la revanche, les Berbères réclament qu'il soit reconnu dans la future constitution. Ils ont acheté ce droit en étant à l'avant-garde de l'insurrection, de Zenten au djebel Nefoussa. Pourquoi faut-il que la présence des Brigades Amazighes déployés autour de la place gâche la fête ? Ce service d'ordre imposant semblait tenir à distance le reste des Tripolitains. Les brigadiste qui ont gardé uniforme et armement serait davantage à leur place à assiéger Syrte et Bani Walid. Ou mieux encore, à patrouiller à domicile, c'est-à-dire dans l'oasis de Ghadamès. Puisque le CNT croit savoir que c'est dans ce fief berbère à la frontière algérienne que se cache Kadhafi !