Aujourd'hui, 40% des dépenses des ménages marocains sont dédiées au logement. Un pourcentage qui en dit long sur l'importance de cette charge pour ces ménages, dont 64 % sont propriétaires et seulement 26% locataires. Un changement radical par rapport aux grandes tendances des années 80. Valeur refuge A cette époque, la pierre était considérée comme le meilleur placement d'argent. Le locatif, spécialement, constituait la principale opportunité de rentabiliser son investissement. Générant un revenu régulier, cette forme particulière d'épargne séduisait promoteurs, veuves, retraités et petits épargnants. La grande demande aidant, le secteur se portait relativement bien et continuait d'attirer les investisseurs. Mais les choses ne vont pas tarder à changer. De 47% en 1982 à 35% en 1994 et 27% en 2005, la part des locataires n'a cessé de régresser durant les trente dernières années. Rigidité juridique, problèmes de gestion, charges importantes et taux de rentabilité faible (ne dépassant pas les 4% net) … sont autant de facteurs qui ont fini par dissuader les promoteurs immobiliers. «Les investisseurs cherchent le bénéfice. Ils veulent construire et vendre de telle façon à rentabiliser leurs investissements, au maximum au bout de deux ans. Ce qui n'est nullement le cas avec le locatif, qui se présente comme une relation à long terme avec le client. L'investissement n'est amorti qu'au bout de dix ans au minimum», nous explique Samir Benmakhlouf, directeur de l'agence immobilière Century 21 et président de la Fédération des agences immobilières. Ceci dans le meilleur des cas et si toutefois le locataire honore ses engagements envers le bailleur. Mais vu la rigidité et la lenteur de la machine judicaire, croulant sous le nombre faramineux de litiges concernant les loyers et autres défauts de payement (80%), les investisseurs ne veulent plus s'y risquer. Selon les chiffres de la Fédération nationale de l'immobilier, ils seront plus de 80.000 apparentements à être fermés et inoccupés, rien qu'à Casablanca. Capital paralysé, l'immobilier locatif est fortement miné par plusieurs problèmes et à plusieurs niveaux. Les professionnels évoquent notamment les défaillances de la loi sur le locatif, les problèmes de recouvrement et l'impossibilité de revendre à des prix convenables. La location étant un inconvénient de taille pour un bien immobilier en vente. «Le manque de professionnalisme et de sociétés spécialisées dans la construction et la gestion de l'immobilier locatif aggrave la situation», ajoute Benmakhlouf. Rééquilibrage Si les impayés constituent la bête noire des bailleurs, ils ne sont pas le seul mal du secteur. Le développement et la relance du locatif sont surtout freinés par une loi protégeant le locataire, aux dépens des propriétaires. Cette même loi organisant les rapports contractuels entre propriétaires et locataires a été sujette à plusieurs modifications afin de redynamiser la production d'habitat destiné à la location. Ces tentatives de rééquilibrage des relations propriétaires/locataires visent essentiellement la protection des promoteurs et propriétaires individuels. «Le salut de ces derniers doit passer absolument par la suppression de l'article 2 du texte de loi en vigueur et qui n'a pas à avoir lieu», insiste Benmakhlouf. Rappelons que depuis la promulgation de la loi 6-79 organisant les rapports contractuels entre les bailleurs et les locataires des locaux d'habitation ou à usage professionnel, les propriétaires se retrouvaient sans protection. Résultat, ces derniers boudent de plus en plus le secteur et s'orientent vers la vente. Sinon, ils préfèrent geler leurs biens en attendant des jours meilleurs. De son côté, l'Etat multiplie les initiatives en vue d'une forte relance du secteur locatif, notamment à travers sa structuration et la sécurisation des relations entre locataires et bailleurs. Bouée de secours pour jeunes et familles en mal de moyens pour l'acquisition de logement, le locatif prend les allures d'un palliatif pour la crise du logement. Les promoteurs, de leur côté, réclament l'intervention de l'Etat au niveau des 3F : foncier,financement et fiscalité. «Les lois sont là, c'est leur interprétation et leur application qui font défaut. Par contre, le foncier constitue le plus grand problème pour l'immobilier en général et pour le locatif en particulier», nous indique Benmakhlouf. «La rareté et par conséquent la cherté du foncier, surtout dans les grandes villes (Casablanca et Rabat), dissuadent les investisseurs. D'où l'intérêt d'une action plus soutenue de l'Etat dans ce sens», ajoute le président de la FNAIM, qui propose une nouvelle formule susceptible de rentabiliser à long terme le foncier de l'Etat. «En France, ils ont adopté une loi qui permet à l'Etat de louer le foncier en sa propriété à des promoteurs pour y construire des logements. Au bout d'un certain temps, les locataires peuvent même acquérir leurs logements», explique-t-il, en conseillant aux décideurs marocains de s'inspirer de cette expérience afin de relancer le locatif. Fiscalité et financement Mais régler le problème du foncier n'est pas suffisant. Les professionnels évoquent le financement. Moteur de toute activité économique, l'accès au financement est l'un des chantiers majeurs du locatif. Le Secrétariat d'Etat à l'Habitat travaille à valider des dispositions propices à la baisse du taux d'intérêt sur les crédits d'investissement dans le locatif. Objectif : encourager l'investissement et réduire par la même occasion le montant des loyers. D'un autre côté, les promoteurs privés s'accordent sur la lourdeur des charges fiscales immobilières qui étouffent indéniablement toute nouvelle initiative. En effet, cette activité est soumise à l'impôt sur le revenu (IGR) et la taxe d'édilité fixée à 10,5%. Ces charges se rajoutent aux dépenses nécessaires à l'entretien des biens en question. Ceci sans oublier les frais de gestion du patrimoine immobilier. «Une éventuelle exonération ou révision de la fiscalité immobilière est à envisager pour ressusciter ce secteur», indique Benmakhlouf, qui n'oublie pas de mentionner tout de même un regain d'intérêt pour le locatif ces deux dernières années (2010-2011). «Auparavant, nous enregistrions au niveau du résidentiel 50% de demandes d'achat et 50% pour la location. Aujourd'hui, 70% des demandes vont pour le locatif. De même pour le locatif commercial ou professionnel. Les investisseurs préfèrent majoritairement louer. Ainsi, 9 sur 10 optent pour la location» déclare le président de la FNAIM. Les raisons de cette éclaircie ? Benmakhlouf l'explique par l'effet crise. Les jeunes couples, les jeunes cadres et employés qui commencent leurs vies, les citoyens incapables d'acquérir une propriété à cause des prix qui ont flambé et ceux qui sont en phase d'épargne, tous se rabattent sur la location pour se trouver un logement. Les professionnels, eux, préfèrent le mode locatif pour ne pas miner leurs investissements par la charge trop importante de l'achat.