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Libye, de mal en pis
Publié dans L'observateur du Maroc le 11 - 03 - 2011

Rien ne va plus en Libye. L'insurrection populaire a dégénéré en guerre civile meurtrière. Récit des derniers évènements.
Good morning Benghazi
Des civils bombardés et fusillés à l'aveuglette par les avions et les blindés de l'armée de leur propre pays, des hauts gradés déserteurs, un conseil national révolutionnaire «express» inconnu au bataillon, des mercenaires payés 1000 pièces la tête lynchés par des populations en furie, des insurgés sous-équipés et sans entraînement se battant contre les raids sauvages et des vents de sable. Et un dictateur mégalomane sevré de son pouvoir absolu, frisant le delirium tremens, alignant menaces limpides et discours confus, trônant dans ses fauteuils crèmes et or au milieu d'un décor kitch jusqu'au bout du bunker… Tous les ingrédients d'un film de guerre de mauvais genre sont réunis dans l'invraisemblable feuilleton opposant le président de la Jamahiriya arabe libyenne populaire socialiste et ses loyalistes à leurs adversaires. Sauf que la 20th Century Fox n'a pas ses studios à Tripoli, pas plus qu'aucun Robin Williams en chéchia ne viendra scander sur les ondes cyrénaïques «Good morning Benghazi !» histoire de remonter le moral des troupes. Depuis le 15 février 2011, date du début du soulèvement populaire contre le régime de Mouammar Kadhafi, voilà quatre semaines, le cauchemar dans lequel est plongé la Libye est une réalité quotidienne pour ses habitants et les milliers de travailleurs étrangers qui essaient de fuir tous les jours les «rivières de sang» coulées par les hommes de main du colonel. A tel point qu'aujourd'hui, instances internationales, reporters et acteurs humanitaires n'hésitent plus à parler de guerre civile.
Quatre semaines, six mille morts
Quel autre terme serait plus approprié au vu de la situation qui prévaut actuellement en Libye ? Le bilan des pertes humaines parle de lui-même : alors que le gouvernement de Kadhafi parle de 300 décès au total, et l'ONU de 1000 (au 25 février 2011), la Ligue libyenne des droits de l'homme (LLDH), évoquait, à la date du 2 mars 2011, 6000 morts, dont 3000 tués dans la seule capitale Tripoli, 2000 à Benghazi et 1000 dans d'autres villes, parmi lesquelles Zenten et Zawiyah : «Ce sont les chiffres dont nous disposons, mais cela pourrait être plus. Les corps des victimes des bombardements à Tripoli ont été évacués dans des camions et enterrés dans des fosses communes en dehors de la capitale. Les blessés disparaissent des hôpitaux, le pouvoir veut effacer les traces de ses crimes», a déploré Ali Zeidan, le porte-parole de la LLDH, lors de la conférence de presse tenue à ce sujet au siège de la Fédération internationale des ligues de droits de l'homme (FIDH) à Paris. Devant la violence des combats, rescapés de l'effroi, des milliers de réfugiés, majoritairement des travailleurs étrangers, seuls ou en famille, continuent à affluer aux frontières tunisienne (2000 par jour) et égyptienne, accablés par la fatigue et la faim, les bras chargés des menues possessions qu'ils ont pu emporter avec eux dans la panique. Une catastrophe humanitaire annoncée qu'essaient tant bien que mal d'endiguer le Haut commissariat aux réfugiés de l'ONU (HCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Sur le terrain, les forces armées de Kadhafi ne lésinent plus sur aucun moyen pour mater la rébellion, pilonnant par air et terre les positions rebelles dans l'Ouest et l'Est du pays. A 300 kilomètres au sud-ouest de Benghazi, (base arrière de l'opposition), à Ras Lanouf, principal terminal pétrolier du pays entre les mains des insurgés, des bombardements intensifs menés par des avions de chasse ont ainsi obligé la rébellion à battre en retraite et transformé la ville en cité-fantôme. Plusieurs installations et puits pétroliers ont été touchés, faisant aussitôt grimper à plus de 115 dollars le cours du baril, et amenant encore une fois le représentant du Conseil National, Abdelhafez Ghoqa, à demander l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye, telle que soutenue, entre autres, par la Ligue Arabe, les Français, les Britanniques, et certains sénateurs américains. D'autres membres de l'opposition en appellent à une intervention militaire extérieure pour stopper la répression meurtrière des insurgés et des civils par les forces de Kadhafi, mais cette voie rencontre toujours le veto de la Chine et de la Russie au Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Kadhafi, entre folie… et diplomatie
Alors que les rebelles sont entrés à Ben Jawad, déterminés avec leurs dérisoires moyens à déloger le colonel-tyran, et que les Libyens comptent leurs morts par centaines, «le roi des rois d'Afrique continue à s'agripper à son «trône» après 42 ans de pouvoir sans partage. Paradant avec son habituelle arrogance nonchalante auprès des médias internationaux, accordant des interviews à l'envi, tantôt à une télévision privée américaine ou à une chaîne publique turque, tantôt à une radio ou à un quotidien français. Après avoir accusé Al Qaïda de distribuer des drogues hallucinogènes aux jeunes manifestants dans le but de renverser la république socialiste pour instaurer un califat islamique qui «installerait le chaos jusqu'en Israël», Mouammar Kadhafi s'en prend à présent au «complot colonialiste» visant à s'accaparer «les champs de pétrolifères de la Libye». Avant de parler, sur LCI… d'une alliance avec Oussama Ben Laden pour réprimer l'Occident, et ce tout en envoyant ses émissaires à Malte, à Lisbonne et Bruxelles. Du côté de l'opposition, le Conseil national de transition (CNT), dont la tête du leader (l'ancien ministre libyen de la Justice, Mustafa Abdel Jalil) est mise à prix par Kadhafi pour un demi-million de dollars, devrait envoyer deux de ses émissaires, Mahmoud Jibril et Ali Essaoui, rencontrer Nicolas Sarkozy ce jeudi 10 mars 2010 à l'Elysée, pour s'entretenir de la situation en Libye et de l'éventuelle aide politique hexagonale au CNT. La voix de la France pèsera-t-elle durant le sommet européen extraordinaire prévu le lendemain à Bruxelles, sachant que la chef de la diplomatie de l'Union européenne, Catherine Ashton, rechigne à reconnaître ledit conseil comme unique autorité légitime en Libye ? Affaire à suivre…


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