Depuis son accession au trône, Sa Majesté Mohammed VI avait institué des rendez-vous réguliers pour les discours à la nation. Celui du 9 Mars est le premier prononcé en dehors des dates des fêtes nationales. On pressentait donc qu'il s'agissait d'un moment historique et ce fût le cas ! Le Roi nous propose une réforme constitutionnelle qui institue la régionalisation avancée, avec des institutions élues au suffrage universel et des prérogatives élargies, souveraines. Il nous propose aussi le renforcement du parlement, de la Chambre des représentants, la reconfiguration de la deuxième chambre, le renforcement du rôle du Premier ministre, la constitutionnalisation du Conseil du gouvernement. Mais en plus, la future constitution inscrira les droits humains, y compris ceux relatifs à l'environnement qui n'étaient revendiqués par personne, la reconnaissance de l'identité plurielle et donc de l'amazighité. Autant dire que toutes les revendications de ces dernières années sont prises en charge. Une unanimité se dégage pour dire qu'il s'agit là d'une révolution et que l'institution monarchique encore une fois est au rendez-vous du moment historique. Cette réponse royale à l'effervescence suscitée par le contexte du printemps arabe et les attentes exprimées tant par les jeunes que par les partis politiques, les syndicats et les ONG, s'inscrit dans le cadre du projet de règne. Dès les premiers mois de son intronisation, le souverain avait déclaré que la réforme constitutionnelle n'était pas un «tabou». Les changements que nous vivons, historiques, révolutionnaires, sont comme le dit le Souverain, le contenu d'un nouveau contrat social, s'inscrivant dans le projet national d'un Etat démocratique, moderne, développé. Les précédents acquis, le règlement du passif des années de plomb, la sincérité des élections, la démarche démocratique ont constitué un contexte favorable à cette évolution. Aujourd'hui, le Maroc vit une mobilisation nationale sans précédent. Les observateurs s'accordent sur le caractère historique de la période. Ceci impose des devoirs impérieux, urgents, à l'intermédiation sociale. La fameuse recomposition du champ politique ainsi que la mise à niveau des partis ne peut plus continuer à relever des discussions de salon. L'accélération de l'histoire trace déjà le chemin. Des partis se sont disqualifiés en étant totalement absents du débat et très hostiles au mouvement pacifique des jeunes. Le Roi lui-même, officiellement dans son discours, parle de partis sérieux. Seuls les partis qui participeront à la mobilisation et à l'élargissement du débat national survivront, car il faudra être à la hauteur de la réforme constitutionnelle en sélectionnant les élites capables de donner aux institutions la valeur que leur accorde la constitution en gestation. Le Maroc n'a que quelques mois pour le faire, mais l'accélération de l'histoire, la mobilisation populaire, la faveur des élites permettent l'optimisme. Le chantier est lancé hakim arif Le discours royal du mercredi 9 mars constitue une étape importante dans l'évolution démocratique du pays. Les attentes étaient certes nombreuses et les citoyens avaient besoin d'une réponse claire à leur angoisse. Les événements du 20 février ont mis tout le monde sur les nerfs. Pour le moment, le discours a apporté de grandes nouveautés. Premièrement, le Roi a parlé du projet de régionalisation qui est mûr et qui peut être réalisé par la loi, ce qui constitue une économie de temps et de ressources. Autrement, il aurait fallu le projeter dans un vaste programme de refonte constitutionnelle. Désormais, les recommandations de la commission de la régionalisation sont applicables tout de suite. Le plus important est que la région aura un véritable pouvoir avec des prérogatives réelles pour le président de région qui récupère les compétences dévolues au wali. Par conséquent, ce sont les citoyens qui géreront leurs régions sans intermédiaire. Tout dépendra alors des élections. Les régions seront représentées au niveau national par la deuxième chambre du parlement qui changera de composition, puisque les syndicats n'y siègeront plus étant déjà représentés au Conseil économique et social. Le conflit entre la première et la deuxième chambres n'aura plus lieu d'être. Plusieurs partis et politologues voyaient justement un double emploi. Même les ministres qui doivent répondre deux fois à la même question devant les représentants et les élus. Le deuxième apport du discours tient à la réforme de la constitution. Le Roi a annoncé la création d'une commission qui regroupera les acteurs politiques et sociaux pour proposer une réforme qui sera soumise à référendum. Le temps étant une variable importante, la commission aura jusqu'à juin prochain pour rendre sa copie. La réforme constitutionnelle devra conforter le pluralisme de la société marocaine, plus particulièrement la reconnaissance de l'amazighité comme appartenant à tous les Marocains. Elle devra consacrer l'Etat de droit, l'indépendance de la Justice, le principe de la séparation et de l'équilibre des pouvoirs. L'institution du Premier ministre sera renforcée par son lien direct avec les résultats des élections législatives et par des pouvoirs plus étendus. Par conséquent, le Conseil de gouvernement aura des responsabilités et des pouvoirs qui reflètent la configuration politique du pays. Par contre, la constitution devra également garantir les instruments de contrôle et de suivi du travail gouvernemental et de toutes les institutions publiques. La commission sera présidée par le juriste Abdellatif Mennouni. Il aura plus ou moins 4 mois pour présenter le projet de réforme. La constitution changera mais gardera les principes fondamentaux du pays, l'Islam comme religion avec la liberté du culte pour chacun, la monarchie et l'intégrité territoriale. Extraits "La sacralité de nos constantes qui font l'objet d'une unanimité nationale, à savoir l'Islam en tant que religion de l'Etat garant de la liberté du culte, ainsi que la commanderie des croyants, le régime monarchique, l'unité nationale, l'intégrité territoriale et le choix démocratique, nous apporte un gage et un socle solides pour bâtir un compromis historique ayant la force d'un nouveau pacte entre le Trône et le peuple. " "Nous estimons que le Maroc, au vu des progrès qu'il a réalisés en matière de démocratie, est apte à entamer la consécration constitutionnelle de la régionalisation avancée. Il Nous a paru judicieux de faire ce choix audacieux, parce que Nous tenons à ce que la régionalisation avancée soit l'émanation de la volonté populaire directe, exprimée à travers un référendum constitutionnel." "A travers ces orientations générales, Nous entendons mettre en place un cadre référentiel pour le travail de cette Commission. Cela ne la dispense pas, pour autant, de faire preuve d'imagination et de créativité pour proposer un dispositif constitutionnel avancé pour le Maroc d'aujourd'hui et de demain." "Nous invitons, par ailleurs, la commission à être à l'écoute et à se concerter avec les partis politiques, les syndicats, les organisations de jeunes et les acteurs associatifs, culturels et scientifiques qualifiés, en vue de recueillir leurs conceptions et points de vue à ce sujet. " Discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI du 9 Mars 2011. Réactions Hassan Ouazzani Chahdi, Professeur à la Faculté de Droit de Casablanca. Le discours royal est un socle très important pour le Maroc, un chantier qui va être amorcé. Je pense que le Roi a été très loin, car sur le point de la régionalisation par exemple, il y avait seulement une proposition de l'intégrer dans une loi, or il l'a constitutionnalisée. Un élément très important du discours est l'équilibre des pouvoirs car hormis la séparation, il y a l'équilibre qui est très important. Et avec l'indépendance de la Justice, j'espère que les droits fondamentaux, tels que le droit à la santé, la protection de l'enfance et les droits de la femme trouveront une plus grande place dans la constitution. C'est également l'occasion de revoir l'article 31 pour pouvoir introduire des dispositions concernant la primauté des traités internationaux sur les lois internes. Le suffrage universel pour les élections régionales est un point fort, il permettra à la région d'avoir une place très importante dans la constitution. Mohamed Yahia, Doyen de la Faculté de Droit de Tanger En 1999, dès son intronisation, le Souverain a annoncé une nouvelle ère. Aussi, il y a une décennie, une première vague de réformes a été entreprise. Mais il fallait au préalable lancer les grands chantiers du pays tels que la Moudawana, les nouvelles infrastructures... Aujourd'hui, donc, par son discours, le Souverain donne un nouveau souffle à toutes ces réformes. Avec une mise à niveau du paysage constitutionnel marocain, qui s'inscrit dans la logique du dynamisme de l'Etat.