Trois semaines après son déclenchement, la révolution égyptienne semble au milieu du gué. On la croyait récupérée par le général Omar Souleiman, actuel vice-président et très redouté patron des services de renseignements. Mais rien ne semble aussi simple. Et nul ne sait encore qui l'emportera. Côté cour : les manifestants. Ils ne désarment pas. Des milliers d'Egyptiens, plus décidés que jamais, campent nuit et jour place Tahrir, au centre du Caire. Ils n'en partiront, disent-ils, qu'après la démission d'Hosni Moubarak. A tort ou à raison, ils craignent, s'ils reculent, qu'une terrible répression ne s'abatte sur eux. Déjà, des milliers de jeunes, militants des droits de l'homme, blogueurs qui ont donné le «la» de la révolte populaire, ont été arrêtés et certains affreusement torturés. Côté jardin : le général Souleiman. Déjà numéro deux, de fait, du régime, le patron des services est plus que jamais l'homme fort du pays. Le vrai raïs auprès d'un chef d'Etat dont le pouvoir est de plus en plus chancelant sinon inexistant. C'est l'homme des Américains qui ont poussé Moubarak à lui donner officiellement la vice-présidence. Omar Souleiman sait qu'il ne peut agir par la force. Ses protecteurs américains ne le lui pardonneraient pas. Il a donc décidé de récupérer cette révolution. Sa méthode : le temps et le dialogue. Le général Souleiman estime qu'il a le temps pour lui, qu'il va décourager les manifestants dont les plus militants, épuisés, campent sur la place depuis près de trois semaines. Son second point fort : l'ouverture de négociations. Dimanche, il a reçu une délégation de six jeunes (cinq garçons et une fille) envoyés par ces contestataires sans organisation qui rêvent de démocratie et de liberté. Puis, il a ouvert sa porte aux responsables des partis, et aux Frères musulmans, ces ennemis depuis vingt ans auxquels il a mené une guerre sans merci. Le parti des Frères musulmans est interdit depuis 1954. Ses candidats participent aux élections sous l'appellation d'«indépendants». Aux législatives de la fin novembre, on les a laissés gagner – de force, puisque leur candidat s'était retiré – un siège. Une mascarade. Mais la méthode Souleiman n'a pas l'air de marcher. Le général espérait que l'ouverture du dialogue pousserait les manifestants à rentrer chez eux. Peine perdue. La place Tahrir s'est transformée en une immense kermesse où les Egyptiens, ravis que la vie économique ait partiellement repris et que les entreprises soient de nouveau ouvertes, vont se promener en famille et apporter leur soutien aux manifestants. Que va-t-il se passer demain? Chaque jour, le pouvoir lâche du lest sans aucune incidence, dans l'immédiat, sur la détermination des opposants. Mardi, il a signé un décret prévoyant la création d'une commission pour apporter des amendements à la constitution. C'est un premier pas pour transférer ses pouvoirs présidentiels au vice-président. En fait, dans ce pays où l'armée, colonne vertébrale du régime, comptait bien transformer la révolution en simple fin de règne du président Hosni Moubarak, la détermination des Egyptiens et le temps qui passe risque de rendre ce scénario de plus en plus difficile à appliquer. Aujourd'hui, nombre de manifestants crient «A bas Moubarak et à bas Souleiman». Alors révolte ou révolution ?