Y a-t-il d'autres Molenbeek, en France, en Belgique, en Angleterre ou même en Allemagne ? Répondre à cette question n'est pas aisé sans faire d'amalgame et sans faire peur à une population un peu désemparée. A Molenbeek, il y avait une vraie cellule Abaoud. Il était natif de cette commune et y bénéficiait d'un réseau de solidarité avéré, d'une omerta pesant sur une grande partie de la population. Il bénéficiait de liens fraternels dans son quartier, du soutien de ses amis d'enfance. Il y a un petit coté gangs new-yorkais. Il est mort sous les balles du RAID à St Denis. On a retrouvé dans son ordinateur à Athènes des plans de l'aéroport de Bruxelles. Donc, on peut imaginer qu'Abaoud avait conceptualisé tout cela. Il s'est fait prendre suite à une dénonciation et il n'avait pas d'armes quand il a été abattu. Il n'était pas préparé à mourir en combattant, il faut voir en lui un organisateur. La cellule Abaoud est démantelée. La cellule Molenbeek ne l'est pas. Le terreau existe encore. Abaoud n'est peut-être qu'une pièce interchangeable de l'édifice mafieux et terroriste.» explique Jean Martial un ex-responsable de la lutte antiterroriste en France. La question de savoir si d'autres modèles brevetés Molenbeek existent ailleurs mérite cependant d'être posée. «Quels sont les ingrédients ? Une police faible ou peu présente dans le quartier. Une forme de communautarisme rampant qui assure sinon l'impunité du moins une relative tranquillité aux délinquants. Un communautarisme plus volontiers ouvertement affiché en Belgique qu'en France d'ailleurs, où il est plus hypocrite et masqué derrière un discours convenu. Il faut aussi un tissu criminel bien installé, une présence des salafistes, des agitateurs actifs. Ces ingrédients-là n'existent pas qu'à Molenbeek. Ils existent dans un certain nombre de villes en Hollande, en Angleterre, en Allemagne. En France, le discours est plus biaisé. Les Français ne sont pas des Anglo-saxons, ni des Germains et ils n'affichent pas les choses de la même façon. Depuis les émeutes de 2005, on a un peu cédé les quartiers sensibles à d'autres forces que celles de la République, par commodité. Ces forces sont de deux ordres : criminelles d'une part (les trafiquants de drogue dans certains quartiers), et salafistes d'autre part. Curieusement, les salafistes n'ont pas avancé masqués : ils ont souvent vendu aux politiques locaux que leur influence allait être bienfaisante et qu'ils allaient pacifier les quartiers difficiles : quelques avantages sociaux, quelques lieux de prières et il y aurait moins de voitures brûlées. Ces concessions, ces compromissions forment un cocktail explosif. Cette politique de démission progressive s'est généralisée au point que les lieux de pouvoirs ont été déplacés, au détriment de la population tombée sous la coupe de ces individus n'ayant aucune légitimité. », conclut Jean Martial, également sociologue et engagé dans le soutien des quartiers défavorisés de la banlieue parisienne. Combien de Molenbeek ? On ne peut donc donner un chiffre mais le modèle existe. Sarcelles, Feyenoord, Schaerbeek, Trappes, autant de communes visées mais dont les maires ou bourgmestres acceptent désormais cette labellisation permettant, selon eux, de ne plus se cacher derrière les mots et de faire, s'il en est encore temps, la part du feu dans des endroits en marge de la démocratie et de l'Etat de Droit. Amélie Boutezkha, chargée de l'aide sociale en Seine-St-Denis précise toutefois que tout en disant enfin les choses, il faut éviter deux types d'exagérations. L'une quant au nombre, l'autre quant à l'intensité : «il n'est pas sûr non plus qu'il y ait à chaque fois des ponts entre la radicalisation cultuelle et la radicalisation politique même si les statistiques évoquent 50% de basculement. Si ces quartiers sont aussi exposés c'est qu'ils sont le fruit de multiples échecs. Les politiques publiques de l'école, de la famille et de l'emploi n'ont pas fonctionné. Echec des discours, des subventions et des administrations.» conclut-elle navrée. DOSSIER « De la délinquance à Daech » L'Observateur du Maroc et d'Afrique n° 349, du 08 au 14 avril 2016.