Cest un fait. Le séisme grec a mis en évidence une nouvelle conséquence de la crise financière et économique mondiale : lendettement gigantesque des Etats. En même temps quil représente un des plus grands défis pour le maintien de lUnion européenne. Rien ne sert daccuser les spéculateurs ou les agences de notation davoir «attaqué» la Grèce, même si ces derniers sen sont donnés à cur joie. La Grèce était en faillite depuis longtemps et elle a trompé tout le monde en dissimulant son déficit public 13,7% de son PIB (produit intérieur brut) alors quAthènes lévaluait à 6% ! Ce séisme aurait pu nêtre quune grosse tempête si les traités européens avaient prévu quelque chose pour affronter une telle crise. Ce nest pas le cas : la zone euro est une maison construite sans fondations, pour reprendre les termes de nombre déconomistes. Et la crise a révélé une dure vérité pour les europhiles : une monnaie unique sans un gouvernement économique unique - qui puisse contrôler et prendre des décisions supra-nationales - est difficilement viable. Le rêve impossible dEtats-Unis dEurope Plus évident encore : un gouvernement économique commun suppose non seulement une politique de change commune (qui existe déjà avec la monnaie unique) et un système de transfert pour aider les régions les plus pauvres, mais aussi une politique fiscale unique et des mécanismes adéquats pour combattre les déséquilibres macro-économiques internes de lUnion. Cela implique de réaliser le rêve dun petit groupe de fédéralistes européens depuis le début de la construction européenne à la fin des années 50 : construire une sorte dEtats-Unis dEurope, cest à dire se doter dun seul gouvernement. Cela aurait sans doute permis aux autres pays européens de réagir plus rapidement au lieu de promettre à chaque nouvel emballement des marchés «une décision», «un plan de sauvetage», bref des déclarations dintention. Cela aurait empêché quune crise évidente depuis lautomne dernier ne saggrave au point que la contagion risque datteindre le Portugal, lEspagne, lIrlande, voire lItalie. Les divisions des Européens sont bien sûr à lorigine de cette lenteur: lAllemagne, qui a réalisé de gros efforts de compétitivité sous le gouvernement Schr?der et na jamais vraiment accepté labandon du mark pour leuro, était particulièrement peu encline à voler au secours dun pays qui sest joué des règles de la zone euro. Une réticence dautant plus forte que lopinion publique allemande est défavorable à une telle aide alors quon est à la veille dune élection décisive en Rhénanie du nord-Westphalie. Divisions européennes Réticences allemandes ou pas, on comprend quil est difficile de mettre plus dune centaine de milliards deuros pour aider un pays dont le premier ministre a admis quil avait utilisé la garantie de lappartenance à la zone euro pour «acheter des maisons, des voitures et pratiquer le farniente» Pour les pays du nord (Allemagne donc, Angleterre, Pays-Bas), la perspective est même scandaleuse. Pour les pays du sud (France, Italie, Espagne) - que la Fondation pour linnovation politique juge «plus solidaires et compassionnels» dans une étude dopinions sur «Les Européens face à la crise grecque» -, «ne pas aider un pays en difficulté revient à remettre en cause la question de la légitimité de lEurope». En labsence dun gouvernement unique ou dun mécanisme européen pour aider un pays membre, lEurope a donc été paralysée quasiment deux mois pendant que les marchés paniquaient. Jusquà ce que la réalité apparaisse, brutale : si lEurope est incapable de voler au secours de la Grèce, quarrivera-t-il quand les autres Etats en difficulté seront en difficulté? Et combien de banques européennes feront-elles faillite dans la foulée ? LAllemagne a donc fini par prendre conscience de la gravité du problème et laide apportée à Athènes sur trois ans - 80 milliards des pays membres de la zone euro auxquels se sont ajoutés 30 milliards du FMI est assez consistante pour apporter un peu de calme aux marchés. Paradoxe Le problème, cest que nul nignore que cest là une mesure provisoire : un ballon doxygène pour les trois prochaines années alors quil est difficile de croire que la Grèce puisse résoudre en si peu de temps tous ses problèmes de déficit public et de manque de compétitivité structurelle. Il faudrait pour cela des mesures daustérité si violentes quelles plongeraient le pays dans la récession pendant plusieurs années. Avec tous les risques dexplosion sociale inhérents à ce type de cure daustérité. Une situation valable pour tous les pays européens dont la situation est similaire. «La crise grecque est un rappel à limpératif de restaurer les équilibres budgétaires en diminuant la dépense et en augmentant la recette», note ainsi Christine Lagarde, la ministre française de lEconomie dans une interview au Monde. Il ny a donc pas dalternative : ou bien lUnion Européenne avance vers une forme de gouvernement unique ou bien elle est menacée de désintégration. Reste à savoir quel état européen pense possible dharmoniser aujourdhui les politiques fiscales ou le droit du travail des états membres ou même à confier la direction de son économie à un organisme supra national à Bruxelles. Le paradoxe, cest que tous les Etats savent que lintégration politique est la seule manière daffronter la tempête de la globalisation et les déséquilibres macro-économiques internes. Mais que personne nest disposé à aller dans ce sens. On ne peut mieux dire que pour la première fois, le processus de la construction européenne se heurte frontalement aux fondements de la souveraineté nationale. Ce qui place lEurope au bord dune crise prolongée.