Les associations féministes sont en rogne. Le Haut Commissariat au Plan aurait publié une « ancienne » enquête sur la perception des Marocains par rapport à l'égalité en héritage. Une re-publication qui a coïncidé par ailleurs avec la journée nationale de la femme marocaine. "Anachronisme" « À l'occasion de cette journée spéciale, le HCP a publié une communication intitulée « Que pensent les Marocains de l'égalité femmes-hommes ? », basée sur les données de l'enquête nationale sur la perception par les ménages de certains aspects des Objectifs de Développement Durable en 2016. Bien que cette note fournisse des informations utiles sur les perceptions de l'époque, il est problématique de s'y référer en 2024 sans prendre en considération les transformations majeures qui ont eu lieu au cours des huit dernières années », notent dans un communiqué conjoint l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), l'Association Kif Mama Kif Baba et l'association Médias et cultures. Question épineuse, l'égalité successorale provoque à chaque fois un débat passionné entre ses défenseurs et les anti-changement. Alors que la nouvelle Moudawana est toujours en gestation, les activistes féministes restent en alerte et à l'affût de toute « manœuvre » susceptible de faire tourner le vent et d'influencer « négativement » l'opinion publique, comme l'explique Amina Lotfi, présidente de l'ADFM. « Nous déplorons l'utilisation hors contexte de cette enquête du HCP datant de 2016, spécialement la partie évoquant l'égalité en héritage. Nous souhaitons exprimer notre vive inquiétude quant à la publication décalée de cette étude qui n'est d'ailleurs plus d'actualité en ce moment précis », explique à l'Observateur du Maroc et d'Afrique Amina Lotfi. L'enquête en question Intitulée « Que pensent les Marocaines de l'égalité femmes-hommes ? », la note « controversée » du HCP est basée sur les données de l'enquête nationale sur la perception par les ménages de certains aspects des Objectifs de Développement Durable en 2016. Cette dernière révèle en effet que 86,8 % des Marocains s'opposaient à l'égalité entre les femmes et les hommes en matière d'héritage. « En ce qui concerne la parité hommes-femmes dans l'héritage, une large majorité de répondants soit 86,8% se déclarent opposés à cette idée. Ce rejet est légèrement plus prononcé en milieu urbain (89,2%) qu'en milieu rural », explique la note du HCP qui enfonce le clou en détaillant davantage et en révélant un refus presque catégorique de cette réforme longtemps réclamée et tant attendue par les associations féministes. « Sur le plan genre, les hommes expriment une opposition plus marquée avec 92,3% rejetant fermement cette réforme. Bien que les femmes seraient les principales bénéficiaires d'une telle réforme, près de 81,4% d'entre elles partagent ce désaccord refusant l'idée de l'égalité en matière d'héritage », détaille l'enquête. Mutations sociales « Il est problématique de se référer à ces résultats en 2024 sans prendre en compte les transformations majeures survenues au cours des huit dernières années et les événements qui ont bouleversé la société marocaine et impacté les perceptions et attitudes de la population sur des sujets aussi cruciaux que l'égalité des genres », argumente la présidente de l'ADFM. Trêve de taâssib, trêve d'injustice Selon les associations en rogne, de l'eau a coulé sous les ponts depuis 2016. Enumérant les événements qui auraient changé les résultats de ce sondage, ces dernières insistent sur l'aspect dépassé de l'enquête. « Les dernières élections législatives successives ont amené des changements dans le paysage politique marocain, influençant ainsi les discours publics et les initiatives liées à l'égalité des genres. Aussi, la crise sanitaire mondiale liée à Covid-19 a rebattu les cartes, mettant en lumière les inégalités économiques et sociales, et suscitant des débats autour de la justice sociale et des droits des femmes », argumente le trio associatif. Actualisation nécessaire D'après Amina Lotfi, depuis l'annonce de la réforme du Code de la famille, le débat autour des droits des femmes a pris une ampleur inédite et de nombreux acteurs de la société civile, des experts en théologie, en sociologie, en droit, en philosophie religieuse ainsi que des citoyens, se sont mobilisés pour une meilleure justice de genre, notamment en matière d'héritage. « Les crises récentes affrontées par la société marocaine, tels le séisme d'Al Haouz, ont également contribué à redéfinir les priorités des Marocains en termes de solidarité, de justice sociale et d'égalité, remettant en question les perceptions autrefois figées », ajoute l'activiste féministe en insistant sur l'aspect «inapproprié et trompeur » des résultats d'une enquête vieille de huit ans ne reflétant guère l'état actuel des mentalités et des aspirations des citoyens marocains. « Pire encore elle a été reprise par les médias nationaux sans soulever son ancienneté en induisant les gens en erreur », s'insurge Lotfi. Appelant les médias et les décideurs à faire preuve de rigueur dans l'analyse et la diffusion de données, les associations féministes insistent sur l'actualisation des études qui devraient être représentatives des réalités actuelles. « Ceci afin d'éviter les interprétations biaisées et d'encourager un débat constructif sur les questions d'égalité des genres et de justice sociale », conclut le communiqué de l'ADFM, Kif Mama kif Baba et l'association Médias et cultures. Un héritage plus équitable Question délicate et épineuse à cause notamment de son référentiel religieux, les amendements proposés par les associations des droits des femmes restent cependant prudents. Pour protéger les droits des héritières filles, on s'intéresse en particulier au «Taâssib» (héritage par agnat) et au testament. On recommande l'usage préalable du testament dans l'héritage avant tout partage. « L'équité homme-femme en héritage s'impose vu les mutations sociales mais surtout à cause des injustices successorales qui bouleversent l'existence des héritières filles. Taâssib de ce fait doit être annulé. Il n'est même pas évoqué dans le Coran alors aucune « contre-indication » religieuse pour s'en débarrasser » s'enthousiasme la présidente de l'ADFM en rejoignant les militantes féministes dans leur plaidoyer pour l'égalité successorale. Selon ces dernières, le testateur a le droit de faire un testament au profit de ses héritiers, filles ou garçons, leur léguant ses biens sans l'approbation de quiconque. Un avis qui n'enchante guère les anti-égalité en héritage car estimant que c'est anti-religieux et contre les préceptes islamiques en matière d'héritage. Intervenant lors des premières Assises du féminisme tenues en décembre dernier à Rabat, Rabéa Naciri, la fondatrice de l'ADFM, nous explique que « Beaucoup de gens n'ont pas idée de ce que c'est l'égalité en héritage, l'injustice successorale et ce que ça engendre. Ils se contentent de répéter des slogans et des préjugés en ignorant complètement la réalité de la société marocaine. Ils n'ont pas idée des situations dramatiques de vulnérabilité de beaucoup catégories sociales », regrette la militante. Trêve de "taâssib" Du même avis, le groupe de travail constitué en 2022, par huit personnalités et intellectuels aux profils complémentaires : Asma Lamrabet, Yasmina Baddou, Monique Elgrichi, Khadija El Amrani, Driss Benhima, Chafik Chraïbi, Mohamed Gaïzi et Jalil Benabbés-Taarji, fait une proposition audacieuse de réforme. Reconnaissant les rôles de plus en importants joués par la femme marocaine dans la vie familiale et active, le collectif estime qu'une équité homme-femme en héritage s'impose. Traitant cette question avec prudence, ce dernier propose des amendements susceptibles d'insuffler le changement sans brusquer les mentalités. Soucieux de protéger les droits des héritières filles, le collectif s'intéresse en particulier au «Taâssib» (héritage par agnat) et au testament. Il recommande également d'adopter l'usage préalable du testament dans l'héritage avant tout partage.