Lundi, 15h, en passant par Bab Marrakech, impossible de ne pas remarquer les petits rassemblements féminins ici et là à côté et aux pieds des remparts historiques. Nullement dissuadées par la chaleur grandissante de cette journée printanière, des subsahariennes ont jeté leur dévolu sur une bonne partie du trottoir. En solo ou en groupe, elles installent autour d'elles de petites chaises en plastique pour accueillir leurs clientes potentielles. Anta, une jeune sénégalaise à la forte corpulence, est très convaincante. Le verbe séducteur et le regard bienveillant, elle interpelle les passantes en les invitant à essayer ses divers services. «Tresses, manucure, pédicure, pose de cils, épilation de sourcils... nous proposons tout ce dont vous avez besoin. Venez vous installer, vous serez satisfaite », promets la jeune femme en m'attirant vers son salon de coiffure à ciel ouvert, au pied du mur bien à l'abri du soleil tapant. Mais avant d'entamer le travail, elle commence par m'encourager en me montrant le « beau résultat de la pose de cils, qui est très à la mode », sur la cliente de sa voisine. Installée sous un grand panneau publicitaire lui servant de parasol, Kimia est absorbée par sa besogne. Elle a juste le temps de nous lancer un bonjour rapide. Elle est en train de poser des cils artificiels à sa jeune cliente marocaine. Consentante, cette dernière la laisse faire docilement en essayant de ne pas trop bouger en répondant à nos questions. « J'aime le résultat. C'est la deuxième fois que je les mets ici. C'est indolore et c'est beau », nous confirme-t-elle. La prestataire, elle, insiste sur la bonne résistance de ces cils. « Ça tient jusqu'à 2 mois. Vous pouvez même aller au hammam avec, ça ne part pas », argumente Anta sous le regard approbateur de Kimia qui ne se laisse pas distraire pour autant. Concentrée, elle manipule, à l'aide d'une petite pince, des cils artificiels sortie d'une boîte « Made in china » et qu'elle présente comme « 100% d'origine naturelle ». Une substance brunâtre nonchalamment déposée sur un bout de papier glacé sert de colle à cils. Inutile de s'interroger sur le respect des normes d'hygiène dans des conditions de travail pareilles. Sous le soleil, coiffeuses et esthéticiennes pratiquent tous genre d'interventions. « Je viens souvent ici pour me faire des manucures, m'épiler les sourcils et parfois même me couper les cheveux », nous confirme Meriem, une jeune étudiante qui n'est pas la seule à se détourner des salons de coiffure « classiques », pour venir se faire choyer à Bab Marrakech. A 16h, le trottoir est déjà envahi par une belle foule féminine. Nullement intimidées par les regards curieux des passants, ces Marocaines, jeunes et moins jeunes, y viennent chercher « les petits prix », reconnait, Madiha venue accompagnée de son enfant de 5 ans. « Ici, c'est largement moins cher que chez le coiffeur. La pose des cils est à 100 DH à Bab Marrakech alors qu'elle coûte plus de 400 DH dans un salon », ajoute-t-elle. Vu le sacré décalage entre les prix pratiqués de part et d'autre, le choix est vite fait. Peu importe la qualité de la prestation, les prix alléchants l'emportent souvent chez ces clientes « bricoleuses»... parfois aux dépens même de leur santé. « Encouragée par le prix convenable, je me suis faite poser des ‘cils de manga' à Bab Marrakech. Au bout de 15 jours mes nouveaux cils ont commencé à succomber en donnant un aspect irrégulier et inesthétique à mes yeux. Pire, j'ai eu par la suite une inflammation des paupières avec de fortes démangeaisons. Lorsque j'ai essayé d'enlever mes faux cils, c'était la catastrophe ! J'ai fini par sacrifier mes vrais cils pour m'en débarrasser pour de bon », nous raconte Wiaam, étudiante stagiaire. Une mésaventure qui ne dissuade pas pour autant les clientes de plus en plus attirées par le bouche à oreille ou par simple curiosité en passant du côté de Bab Marrakech. Au-delà de la bonne affaire, une cliente assidue des coiffeuses subsahariennes évoque un argument pour le moins inattendu : La solidarité. « Certes les prix sont intéressants, mais je viens souvent ici par solidarité. J'imagine un peu les conditions difficiles qui ont amené ces femmes à quitter leur pays. Je fais appel à leurs services pour les aider à gagner leur vie décemment », explique, convaincue, la jeune Samira. « En plus, elles sont souples dans l'exercice de leur travail », ajoute-t-elle. Par souples, la jeune cliente veut dire la grande « adaptabilité» de ces esthéticiennes particulières. D'après elle, elles sont prêtes à rejoindre les clientes, les plus pudiques, dans leurs voitures ou même à se déplacer à domicile pour un service personnalisé. Amina, la soeur d'Anta nous a d'ailleurs donné son numéro de téléphone en se montrant prête à nous rejoindre à la maison et même au bureau. « Si vos collègues ou vos parentes ont besoin de mes services, n'hésitez pas à leur refiler mon numéro. Je fais aussi des massages amincissants pour le fessier et le ventre et c'est à 100 DH », insiste Amina, qui vient d'arriver du Sénégal il y a à peine deux mois. Chassée par la crise de l'emploi, comme elle le soutient, elle rejoint sa soeur au Maroc pour chercher du travail. «J'étais coiffeuse professionnelle dans mon pays mais à cause de la grande concurrence, surtout des immigrantes marocaines, j'ai préféré plier bagages et partir », raconte-t-elle. Un argument parmi d'autres que certaines ressortissantes venant du Sénégal, du Mali, du Nigéria, du Congo ou de la Côte d'ivoire avancent pour justifier leur présence au Maroc. « Il faut dire que mon passage par le Maroc est provisoire. Je préfère nettement rejoindre l'Europe. En attendant, je dois survivre... », confie Ngondo, une jeune congolaise, sans s'arrêter de couper les cheveux d'une compatriote installée au Maroc depuis des années. Une déclaration qui résume un peu la situation et explique cette sorte de « bricolage ». Ces migrantes converties en coiffeuses d'occasion gagnent de la sorte leur vie et des Marocaines désireuses de coller aux nouveaux standards de beauté se hasardent à acheter leurs services à petits prix ❚