Le 27 mai prochain, Henry Kissinger soufflera sa centième bougie. Cette longévité est d'autant plus exceptionnelle que ce grand homme fait toujours preuve d'une acuité intellectuelle, en tous points, remarquable. Arrivé aux USA en fuyant l'Allemagne nazie, il devient Conseiller à la Sécurité Nationale 30 ans plus tard, puis l'emblématique Secrétaire d'Etat de Nixon et de Gérald Ford. Il n'aura occupé le poste que 4 ans, mais les événements lui ont permis de marquer l'Histoire, avec un grand H, de son immense talent. Il continuera d'être considéré comme l'une des figures marquantes de l'histoire de la politique étrangère américaine non seulement en raison de ses réalisations dans l'Administration américaine, mais aussi en raison de ses écrits publiés plus tard, prolifiques, largement lus et très influents. Le très influent think tank CSIS, présidé par un autre grand homme, patriote, et faisant partie des membres les plus éclairés de l'Establishment américain, John Hamre, a organisé une réception, lundi soir, en l'honneur de Henry Kissinger, pour célébrer la carrière extraordinaire de ce dernier, mais surtout ses contributions marquées de bravoure et de vision profonde à des moments difficiles de l'histoire des USA. C'est avec des mots chaleureux et de reconnaissance que Bill Burns, le directeur de la CIA a prononcé un discours, rendant hommage au nom de l'Administration Biden au grand homme d'Etat. Il faudrait des livres pour retracer la carrière de Henry Kissinger. Mais limitons nous aux faits les plus importants. Il y eut d'abord la guerre du Vietnam. L'enlisement était évident et il divisait l'Amérique, traumatisée par le nombre de cercueils de boys rapatriés, dans une guerre dont le soutien baissait au sein de la population. C'est Henry Kissinger qui mena les pourparlers de la paix. Le régime du Sud-Vietnam s'est écroulé, c'était prévisible. Mais les militaires US ont pu faire un retrait sécurisé et surtout digne. C'est à Henry Kissinger que l'on doit la fameuse politique de détente avec l'Union Soviétique. Cela fait partie de l'histoire, mais cette politique, en limitant la course à l'armement nucléaire, en poussant à la désescalade plusieurs conflits régionaux, a contribué à éviter des conflits de très grande intensité. Après la guerre d'octobre 73, il réussit à poser les premiers jalons de ce qui aboutira à l'accord entre l'Egypte et Israël. Ces réussites en font un diplomate qui restera dans l'histoire. Dans son dernier livre consacré au « Leadership », il évoque les dirigeants qui, dans des conditions très difficiles, ont pu mener leurs pays sur la voie d'un changement radical en sauvegardant ou en retrouvant la cohésion nationale. Pour lui, ce mot est important parce qu'il faut un consensus sur les grands enjeux pour bâtir un leadership. S'il pense que les prophètes ont « la vision la plus passionnée » , Henry Kissinger leur préfère les hommes d'Etat parce que ceux-ci prennent en compte la complexité des réalités dans leur quête de changement. Malheureusement, le débat actuel ne permet pas l'émergence de leaders avec cette étoffe. Ce n'est pas en tweetant où en postant sur FB qu'un dirigeant politique peut développer une vision qui lui confère le statut d'homme d'Etat. La réflexion de Kissinger est très actuelle. Les USA auront du mal à imposer un leadership mondial si les divergences politiques englobent aussi la conception des intérêts de la Nation, du rôle des institutions et des alliances stratégiques. Toutes les démocraties souffrent du même drame, l'appauvrissement intellectuel de la classe politique plus obnubilée par les sondages et les réseaux sociaux qu'une vision de leur société. Il faudra peut-être réfléchir à la profondeur des transformations négatives apportées par les nouvelles technologies et l'usage qui en est fait en démocratie. Le monde a besoin de dirigeants visionnaires, Kissinger en est un. « Happy Birthday Dear Henry ».