«La réforme de la compensation est une démarche très complexe et un mal nécessaire. Il devient urgent de mettre fin à un système qui n'est plus viable et qui ne profite pas à ceux qui le méritent », résume le haut commissaire au plan, Ahmed Lahlimi. Même son de cloche du ministre délégué auprès de la ministre de l'Economie et des finances, chargé du Budget, qui lors de la présentation du projet de loi de finances 2023 a relevé que les personnes ayant un faible pouvoir d'achat bénéficient le moins de ces subventions. Faouzi Lekjaâ a été catégorique : le démarrage du RSU et des allocations familiales donnera lieu au démarrage d'une décompensation progressive. Un fardeau pour le budget l'Etat Le gouvernement actuel penche sur le remplacement du mécanisme de compensation par une subvention sous forme d'un revenu minimum en raison de son coût et de son efficacité. Il semble décidé d'aller jusqu'au bout dans ce choix. Lahlimi salue cette décision. Lui, qui était derrière la décompensation de l'huile et le début de celle du sucre via le retrait des subventions accordées aux industriels, en 2004, alors qu'il était ministre délégué auprès du premier ministre chargé des affaires générales du gouvernement, pense que « mettre fin aux subventions s'impose aujourd'hui ». Les avis sont unanimes. Le système de compensation instauré depuis 1977 et destiné en principe, à la disparition au début des années 1990 sous l'effet du Plan d'ajustement structurel (PAS), devient un fardeau pour le budget de l'Etat. Les chiffres du rapport sur la compensation accompagnant le projet de budget 2023 sont éloquents. Le dit rapport note que la charge de compensation prévisionnelle au titre de l'année 2022 hors soutien aux transporteurs routiers pourrait accuser une hausse de près 72% par rapport à 2021 dans un contexte marqué par des perturbations mondiales des chaînes de valeur et des tensions inflationnistes sur les produits énergétiques. « Eu égard à ces montées remarquables des montants de subventions et de la charge de compensation le gouvernement a procédé au cours de l'année 2022 à une rallonge budgétaire pour le soutien des prix à la consommation d'un montant de 16MMDH pour que les crédits ouverts réservés à la compensation s'élèvent à fin septembre à 32 MMDH », souligne le rapport ajoutant qu'en tenant compte de la charge prévisionnelle de soutien des produits alimentaires s'élevant à 11,03 MMDH , la charge de compensation globale prévisionnelle est estimée à 26,69 MMDH au titre de la période janvier-août 2022. Pour le gaz butane par exemple, le rapport indique que durant la dernière décennie, l'Etat a consacré plus de 113 MMDH pour le soutien à la consommation de ce produit. La charge de compensation à ce niveau, s'est réinscrite dans une tendance haussière depuis l'année 2021, en enregistrant une augmentation de 5,5 MMDH par rapport à 2020 pour s'établir à 14,6 MMDH en 2021 soit le plus haut niveau annuel enregistré depuis 2014. Lekjaâ avait annoncé un début de décompensation progressive des produits subventionnés à partir de 2023. Finalement, la décision a été prise de maintenir le système encore une année. Et la loi de finances 2023 prévoit une dotation globale de 25,98 MMDH destinée à soutenir les prix du gaz butane et des produits alimentaires (sucre, farine de blé tendre). Un montant bien en deçà de celui programmé pour la compensation en 2022. Ce report s'explique par la nécessité de mise en place des prérequis nécessaires pour l'opérationnalisation de ladite réforme. Lahlimi en est convaincu. Selon lui, « la réussite de cette réforme dépend des circonstances où elle va être opérée ». Une décompensation risquée? Le Maroc a fait le choix d'aller vers une aide directe avec des transferts financiers mensuels ciblés. D'après les économistes, le gouvernement ne peut pas décompenser sans avoir une alternative. Et cette dernière a été déjà initiée avec la mise en place du RSU. Cela va donc nécessiter du temps pour avoir un ciblage pertinent permettant d'octroyer les subventions aux populations ciblées et la distribution d'aides directes aux ménages les plus pauvres ». Cette démarche ne semble pas être au goût de plusieurs économistes. Lahlimi en fait partie. Il estime que cette politique de soutien pourrait ne pas atteindre les objectifs escomptés. La question selon lui, est de savoir si le RSU permettra réellement de cibler ceux qui méritent surtout qu'il pourra faire face à de nombreuses déviations qui se manifestent habituellement lors du lancement des opérations de ce genre. Il met l'accent aussi sur un autre obstacle majeur : la difficulté de définir la population « des pauvres ». «Le HCP ne produit des données dans ce sens. Il ne définit que le taux de pauvreté au niveau national, par régions...», reconnait-il insistant sur la possibilité de changement de statut d'une année à l'autre. «Comment savoir chaque année qui est exclut de cette population ? Qui est devenu pauvre ? Et qui est devenu riche... », se demande t-il. Lahlimi avertit alors que ce système pourrait donner naissance à une catégorie de personnes « assistées par l'Etat ». « Personnellement, je n'ai jamais adhéré à cette théorie de distribution de subventions monétaires à une population ciblée. Je pense que le problème de distribution de revenus est plus lié à la croissance et l'emploi », insiste le haut commissaire au compte. A son avis, « il faut agir par l'économique pour résoudre le social ». Quid de l'impact sur la classe moyenne ? Là où le bât blesse, c'est que cette réforme risque d'avoir des conséquences sur le pouvoir d'achat de la classe moyenne, déjà laminé pour diverses raisons. En appliquant la vérité des prix, les riches seront légèrement moins riches mais toujours riches. Pour les pauvres, il y a un transfert monétaire prévu et ils seront compensés financièrement, mais, pour ceux qui se trouvent entre les deux, ça sera violent! Elle paiera donc le prix. D'ailleurs elle le fait déjà. Puisque les données de HCP révèlent que quelque 3,2 millions de marocains ont basculé vers la pauvreté et la vulnérabilité. Pour un gouvernement qui avait comme priorité de préserver le pouvoir d'achat du citoyen et l'émergence d'une classe moyenne, le pari est loin d'être gagné. «Nous sommes dans un contexte où une décompensation va dans le sens d'une politique budgétaire qui serait très restrictive et resserrée, alors que nous avons par ailleurs la politique monétaire qui va dans le même sens dans un contexte marqué par une faible croissance et une dégradation du pouvoir d'achat des marocains », affirme Lahlimi. Il ajoute que toutes les classes sociales sont en mauvaise passe avec l'augmentation des prix et la faible croissance de l'économie. Il ne cache pas par ailleurs sa crainte quant aux conséquences de l'arrêt des subventions et pense que la situation risque d'être difficilement gérable aussi bien sur le plan économique que social. Le haut commissaire au plan, recommande ainsi d'associer la population à cette décision. Comment ? «Il serait préférable de procéder à une large opération de communication en expliquant les tenants et aboutissants du projet et faire adhérer les citoyens à cette nécessaire réforme ».