La réforme de la Caisse de compensation est à l'arrêt depuis quatre ans. Une réforme structurelle de plus qui n'a pas encore abouti. Les raisons.
La réforme inachevée de la Caisse de compensation (CDC) est symptomatique de la procrastination, pour ne pas dire du manque de courage, dont font preuve nos élites politiques et administratives. On pourrait en dire tout autant de la réforme des retraites, entamée, mais toujours pas menée à son terme. En effet, depuis la suppression en 2014 de la subvention aux hydrocarbures réalisée par le gouvernement Benkirane, sous la pression du Fonds monétaire international (FMI), la réforme de la Caisse de compensation fait du surplace. L'Exécutif bute depuis 2015 sur la dernière étape qui doit mettre fin aux subventions du gaz butane, de la farine et du sucre. Ce qui permettrait au budget de l'Etat d'économiser environ 17 milliards de DH annuellement, et la génération de ressources financières supplémentaires pouvant être déployées dans les secteurs sociaux.
Hydrocarbures : le plus dur est fait ? Pourtant, en supprimant la subvention aux hydrocarbures, le Maroc semblait avoir fait le plus dur. Il faut se rappeler en effet qu'en 2012, le coût de la subvention avait atteint le montant faramineux de 55 milliards de DH, soit près de 7% du PIB, alimentée par la hausse des cours du pétrole. Face à la détérioration des agrégats macroéconomiques, la réforme de la CDC devenait plus qu'urgente. Le démantèlement de la subvention aux hydrocarbures en 2014 a eu un effet immédiat sur les comptes publics: la charge de compensation est retombée à 25 milliards de DH et à 12 milliards de DH en 2015. La poursuite de la réforme n'allait être qu'une formalité, pensait-on, d'autant que le Maroc se voyait offrir une fenêtre de tir idéale : en 2015, les prix du baril de brent étaient au plus bas, et les cours mondiaux du sucre avaient également considérablement baissé. Une baisse des cours des produits décompensés aide à faire passer la pilule plus facilement.
Sucre et butane : des annonces… puis plus rien Ainsi, en 2015, le gouvernement affirmait son intention de décompenser le sucre dès 2016. Un scénario de suppression de la subvention avait même été annoncé, à raison de 10 à 15 centimes par kilo de sucre supprimés, sur une période totale de 18 mois. De quoi réaliser une économie estimée à 2 Mds de dirhams. Pour le gaz butane, qui absorbe près de 80% de la charge de compensation, le ministre des Affaires générales de l'époque, Mohamed El Ouafa, annonçait la décompensation du gaz butane pour la fin de l'année 2015. Et puis plus rien ! Le gouvernement a fait marche arrière, pour des raisons principalement électoralistes et politiciennes. La perspective des élections législatives de 2016 a littéralement anesthésié toute velléité de réforme. La logique politicienne et les calculs d'épiciers ont pris le pas sur la logique économique et le bon sens. Une étude du haut-commissariat au Plan (HCP) avait pourtant montré que «les dépenses publiques consacrées aux subventions du butane sont pro-riches». Un argument inaudible en période de période électorale.
La fenêtre de tir s'est refermée Dès son accession à la tête du gouvernement en avril 2017, après des mois de blocage, Saad Eddine El Othmani avait fait part de sa «détermination» à poursuivre la réforme de la Caisse de compensation. Une réforme jugée alors «inévitable» par l'Exécutif. Un calendrier précis, faisant état d'une suppression progressive des subventions, avait même filtré dans la presse, avant que le gouvernement n'apporte un démenti formel. Une énième reculade qui s'explique par l'évolution considérable, entre 2014 et 2018, de l'environnement macroéconomique, mais aussi (et surtout !) du contexte social. Ainsi, sur le plan mondial, les cours des matières premières, et notamment ceux du gaz et du sucre, se sont inscrits dans un trend haussier. La fenêtre de tir évoquée plus haut, propice à la poursuite des réformes, s'est refermée. La décompensation du gaz butane allait avoir dans ces conditions-là des répercussions non négligeables sur le pouvoir d'achat des Marocains. Sur le plan social, le climat s'est beaucoup détérioré, en témoignent les événements d'Al Hoceima qui ont ébranlé le gouvernement, ceux de Jerada ou encore l'épisode du boycott qui ont tempéré les ardeurs de réformes de l'Exécutif. Réformer dans un tel contexte devenait bien plus compliqué.
En attendant le RSU Lorsque l'on interroge les membres du gouvernement sur leurs intentions en matière de réforme de la CDC, ils répondent tous en chœur : pas avant que le dispositif de ciblage des aides directes, au profit des populations les plus vulnérables, soit opérationnel. Ce chantier, confié au ministère de l'Intérieur et au HCP, et appuyé par la Banque mondiale, et qui doit déboucher sur la mise en place du Registre social unique (RSU), est en cours. Il devrait être achevé d'ici la fin de 2019 pour pouvoir ensuite asseoir un système de compensation ciblé. Si la réforme de la CDC doit être bouclée, cela sera donc au plus tôt pour 2020. A moins que les élections législatives programmées pour 2021 n'inhibent, une fois de plus, toute velléité de réforme… ■