L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Comment l'envolée des prix des engrais à impacté les pays africains ? Qu'en est-il de la souveraineté alimentaire du continent ? Achraf Hassan Tarsim : L'Afrique est un continent qui englobe plus de 65% de terres arables à travers le monde. C'est le continent où nous avons le plus d'opportunités et de potentiel pour produire ce que le monde pourra manger. Pourtant, le continent importe aujourd'hui 100 millions de tonnes par an de produits alimentaires. Il y a quelques années, la facture d'importation était de l'ordre de 30 milliards de dollars. Aujourd'hui, elle dépasse les 75 milliards de dollars, en raison notamment de la flambée des prix qui s'est accentuée avec la crise géopolitique actuelle. En Afrique, l'utilisation des engrais est trop faible (moyenne de 25 kg/ha) et donc la productivité ne décolle pas. Les prix ont été multipliés par 4. Et cela va aggraver encore plus la situation, les exploitants agricoles ne peuvant plus accéder à ces produits. Quelles solutions envisagées pour soutenir les pays africains ? Les agriculteurs africains ont besoin d'approvisionnements fiables, au bon moment, et en quantité suffisante. La banque africaine de développement, a créé ainsi, un mécanisme africain de financement du développement des engrais. L'idée est de proposer des garanties qui permettront aux producteurs de fournir les engrais nécessaires pour couvrir les besoins des pays africains. La BAD garantit le paiement. Mais, cette initiative reste insuffisante. La banque a décidé alors de mettre en place une enveloppe de 1,5 milliards de dollars dans le cadre de « la facilité africaine de production alimentaire d'urgence ». L'objectif est d'apporter un appui à près de 20 millions exploitants agricoles africains, pour produire 38 millions de tonnes additionnels de produits agricoles, et réduire par conséquent la vulnérabilité des pays concernés aux importations. Mais comment, selon vous, l'Afrique pourra réduire son dépendance aux importations de céréales et d'engrais ? La crise actuelle est une opportunité à saisir. Il est temps de réfléchir aux moyens adéquats et trouver les approches qui permettront de fournir davantage de fertilisants à l'ensemble des pays africains pour augmenter à la fois la productivité et la compétitivité. Il faut dire que le secteur agricole reste aussi exposé aux effets du changement climatique, ce qui le rend encore plus vulnérable. Il est important aujourd'hui de se prendre en main, se poser les bonnes questions, et d'agir en mettant en place les bonnes actions. Il s'agit d'introduire de nouvelles techniques afin d'augmenter la productivité, et de permettre l'accès à des engrais et des semences adaptés à notre climat. Je cite ici l'exemple de l'Ethiopie. Grâce au programme d'appui à la transformation agricole mis en place par la BAD en 2018, le pays a été accompagné via l'introduction de semences de blé plus adaptés à la chaleur. Après trois ans, l'Ethiopie qui importait jusque là du blé, a pu atteindre son autosuffisance et va même se lancer dans l'export dès l'année prochaine. Aussi, les terres cultivées sont passées de 5000 hectares à 650.000 hectares. Donc, la solution est simple : il suffit d'opter pour les bonnes technologies, utiliser les bonnes semences et les bons engrais pour produire en quantité suffisante des produits de qualité et au meilleur prix. Les prix des engrais pourront-ils baisser prochainement ? Avec la crise sanitaire, la situation des finances publiques était très tendue en Afrique. A cela s'ajoute l'inflation. Ce sont les produits alimentaires qui bénéficient de subventions étatiques qui ont accusé plus le coup. Donc, en gros, la situation n'est pas en train de s'améliorer. Et les prix des engrais ne vont pas nécessairement baisser dans la période à venir. Quid de l'expérience marocaine ? Au Maroc, grâce à la vision stratégique de sa majesté le Roi Mohammed VI, le plan Maroc vert a atteint de bons résultats. Celui de Génération Green en cours de déploiement, permettra de son côté de développer une agriculture productive, résiliente aux changements climatiques, et inclusive. Le Royaume a réussi à atteindre des résultats importants. C'est pour cela que nous insistons sur la nécessité de développer la coopération Sud-Sud dans le domaine. Il va falloir voir ce que nous avons réalisé chez nous, au Maroc, et le dupliquer ailleurs. Si le Maroc a atteint 100% de son autosuffisance dans les viandes, les fruits et les légumes, 80% au niveau du lait et 60% au niveau des céréales, les autres pays, peuvent s'en inspirer et le faire aussi. Actuellement, la BAD appuie le Maroc afin d'avoir un secteur de céréales à la fois résilient aux changements climatiques et compétitif. Les 40% des importations de céréales seront ainsi substitués par une production locale. Et le pays réduira ainsi son dépendance en la matière.