L'Observateur du Maroc et d'Afrique: Cette année, le Maroc traverse une période de rude sécheresse. Quelles conséquences attendues? Mohamed Sinan: Le constat est alarmant. Cette année le Maroc est confrontée à la pire année de sécheresse, jamais connue depuis le début des années 80. Le pays manque terriblement de ressources hydriques et demeure menacé par la pénurie. Et le phénomène n'est plus l'apanage du monde rural. Même le milieu urbain en pâtit. En chiffres, le Maroc compte aujourd'hui seulement 5,3 milliards de mètres cubes (m3) de réserves soit un taux de remplissage des barrages qui ne dépasse pas 32,8%, contre 49,2% à la même période de l'année dernière. Ce déficit a un impact sur la part par habitant, estimée à 600 mètres cubes, soit un niveau inférieur à la moyenne mondiale (1000 mètres cubes par habitant). Ce phénomène devrait perdurer et le Maroc est susceptible de perdre 30% des retenues de pluies d'ici 2050. Les répercussions pourraient être aussi dévastatrices pour l'agriculture, le tourisme... Le pays est menacé de pénurie d'eau dans les années à venir. Comment on en est arrivé là ? La sécheresse au Maroc ne date pas d'aujourd'hui, et l'année 2021, n'est pas vraiment exceptionnelle. Dans le début des années 90, Tanger par exemple, région pourtant la plus pluvieuse au Maroc, n'avait pas d'eau potable. L'eau était transportée via des bateaux depuis Casablanca pendant plusieurs semaines. Cette année a été considérée comme l'année la plus sèche au Maroc qui a été suivie de l'année la plus humide du siècle. Cela prouve que le climat est très variable indépendamment du changement climatique. Mais, le régime et la fréquence des années sèches a augmenté depuis le début des années 2000 et le Maroc se retrouve dans la région la plus affectée de la planète « le bassin méditerranéen ». Cette région a connu une augmentation sensible de la température moyenne par rapport au siècle dernier et cette augmentation va s'accentuer encore au fil des années. "Le Maroc est susceptible de perdre 30% des retenues de pluies d'ici 2050". Quels risques pour les années à venir ? Tout dépendra des actions préventives mises en place. Des scénarios prévisionnels restent pourtant décisifs. En l'absence de réactions urgentes et mesures d'adaptation adéquates, la situation va devenir très alarmante. Les plus pessimistes parlent même d'une augmentation de température de 3 à 7 degrés dans beaucoup de régions du globe dont la Méditerranée. Néanmoins, quelque soit le scénario prévu, une chose est sûre: le réchauffement ne va pas s'arrêter, le dérèglement climatique va s'accentuer et il faudra donc s'attendre dans les années à venir à plus de températures et moins de précipitations et donc une évaporation plus importante des eaux. Le tout avec une augmentation des effets climatiques extrêmes (incendies suite aux fortes vagues de chaleur, inondations lorsque les précipitations sont concentrées sur une durée courte...). Quelles mesures urgentes à mettre en place pour faire face à une pénurie inévitable ? Il faut que tout le monde comprenne que l'eau n'est plus une ressource intarissable. Il est donc inadmissible qu'un pays pauvre en ressources en eau, continue à la jeter en mer. Je reste convaincu par ailleurs que le changement climatique pourrait être une chance pour le Maroc plutôt qu'une menace. Comment ? Le Maroc n'a pas jusque là d'énergies fossiles. Il continue à importer quasiment tous ses besoins en la matière. Au moment où il suffit d'utiliser d'autres sources d'énergies, abondantes, gratuites et propres tels que l'énergie solaire, l'énergie éolienne et hydraulique. S'il n'y avait pas de changement climatique, le Maroc ne serait jamais intéressé par ce genre d'énergies renouvelables. Un chemin long a été parcouru dans ce sens. Encore faut-il accélérer le processus. Aussi, il faudra s'intéresser plus aux ressources en eau non conventionnelles. Outre le dessalement d'eau de mer, il faudra recourir à la déminéralisation des eaux saumâtres. Ces eaux souterraines saumâtres sont de presque 500 millions de mètres cube par an. L'eau déminéralisée peut être réutilisée ainsi dans différents domaines dont l'agriculture. Il est inadmissible qu'un pays pauvre en ressources en eau, continue à la jeter en mer Comment le Maroc pourra tirer profit de cette solution de dessalement d'eau de mer ? Nous avons 3500 km de côtes, une véritable opportunité à saisir. Malheureusement, nous sommes très en retard sur ce volet. Avant, le dessalement d'eau de mer coûtait cher. A Laâyoune par exemple il fallait débourser 50 DH pour chaque mètre cube. Ce prix est divisé par 5 actuellement, il continuera de baisser encore plus et va devenir même plus compétitif par rapport au prix d'un barrage. Il faut dire qu'un barrage a une durée de vie limitée (50 ans par exemple) et la quantité d'eau produite au cours de toute cette période reste très insuffisante. Par contre, une station de dessalement produit de l'eau quotidiennement. Quand on divise le coût global de la réalisation et le fonctionnement de la station par le nombre de mètres cubes produits en 50 ans, le résultat est incomparable. De plus, le Maroc est un pays très vulnérable à l'érosion du sol et perd en moyenne 75 millions de mètres cubes de capacité de stockage suite à ce phénomène, soit l'équivalent de la capacité de stockage d'un barrage moyen. En général, on perd un barrage par an à cause de l'envasement. Par conséquent, le dessalement d'eau de mer devient plus rentable aujourd'hui, ce qui n'était pas le cas auparavant. Quelles recommandations pour préserver la ressource d'eau ? Il y a différentes solutions à mettre en œuvre notamment l'épuration des eaux usées. A mon avis, il faut valoriser la totalité des eaux usées. Aucune goutte ne doit être gaspillée. Aussi, on pourra recourir à la collecte des eaux pluviales qui permettront l'arrosage des jardins, le nettoyage domestique et des chaussées...et la recharge artificielle des nappes d'autant plus que la capacité de stockage serait équivalente à plusieurs dizaines de milliards de mètres cubes. Pour préserver l'eau, il faudra également lutter contre les prélèvements illégaux des eaux, et bannir certaines cultures gourmandes en eau. Il est temps de doter chaque région d'une carte d'assolement des produits agricoles les plus adaptés et généraliser les techniques d'économie d'eau dans le secteur de l'agriculture particulièrement.