La nécessité de mobiliser les forces au profit d'une agriculture compétitive, moderne, intégrée et à forte valeur ajoutée est la préoccupation majeure du Maroc d'aujourd'hui. D'après les auteurs de la dernière étude de McKinsey, l'enjeu réside dans le développement durable de l'agriculture, grâce à une meilleure organisation du secteur et à la disparition du sempiternel gap entre agriculture moderne et celle traditionnelle. Pour ce qui est des échanges commerciaux, la contribution du secteur agricole varie entre 14 et 24% de la valeur des importations globales. La part du secteur agricole dans le PIB se situe autour de 15 à 20%. Le ministre de l'Agriculture, Aziz Akhennouch, a indiqué, à l'occasion du SIAM, que le rapport de développement dans le domaine de l'agro-industrie entre les deux pays voisins (Maroc et Espagne) est de 1 à 3. Même chose quand il s'agit du taux de valorisation généré par l'industrie agroalimentaire. Là encore, le Maroc est trois fois plus faible que l'Espagne. Ce manque de compétitivité s'explique par un ensemble de facteurs. Les nombreux petits exploitants ne peuvent prétendre à des crédits. Ils se trouvent éliminés de facto de tout emprunt bancaire. Et pour cause : 700.000 à 800.000 exploitations agricoles n'ont aucun statut foncier et n'ont pas, par ce simple fait, accès aux financements bancaires. D'après Tarik Sijilmassi, Président du directoire du Crédit agricole du Maroc, 750.000 fermes n'ont pas accès au financement bancaire parce que ne disposant pas de titres de propriété. Seules 108.000 fermes, c'est-à-dire environ 8%, remplissent vraiment les conditions requises. Sur 1,5 million d'exploitations répertoriées au Maroc, un peu plus du dixième serait viable et seules 108.000 atteignent une superficie critique, explique T. Sijilmassi. L'autre problème est inhérent à la trésorerie. Nombreux sont les agriculteurs qui pratiquent une gestion financière irrationnelle provoquant la plupart du temps une asphyxie financière. La cause ? Le recours massif à des crédits à court terme pour réaliser des financements rentables à long terme. Pis encore, sur 1,5 million de fermes agricoles, 600.000 sont financées par le microcrédit. Là encore un autre drame surgit. Les agriculteurs font recours au micro crédit à des fins autres qu'agricoles. Dans le cadre du Plan Maroc vert, la Société de financement pour le développement agricole (SFDA), filiale du Crédit agricole, réservera aux petits agriculteurs une ligne de crédits de l'ordre de 5 milliards de DH. Même le secteur de la microfinance s'y met puisque la fondation Ardi de microcrédit contribuera au financement du Plan Maroc vert à hauteur de 1 milliard de DH. Toujours dans le cadre du manque de compétitivité, un autre point capital est soulevé par la direction du groupe OCP. Il s'agit de l'utilisation des engrais. «C'est une problématique prioritaire» indique Fatiha Cherradi, chargée de mission auprès de la présidence à l'OCP. Une analyse de la situation actuelle en matière d'utilisation des engrais montre une sous-utilisation par rapport aux besoins et une faible rationalisation de la fertilisation. Une enquête sur le terrain réalisée par ce groupe montre que la moitié seulement des exploitations agricoles utilise des engrais. Ou encore que les apports en éléments nutritifs ne sont actuellement que de 45 unités fertilisantes par hectare, couvrant 33 % des besoins. Mustapha Terrab, Président-directeur général du groupe OCP, a rappelé lors du SIAM qu'un seul million de tonnes d'engrais est utilisé aujourd'hui, alors que le besoin national est de 2,5 millions de tonnes. Le faible niveau d'utilisation d'engrais se traduit non seulement par une perte de rendement mais aussi par un appauvrissement continu des sols en éléments nutritifs, avait-il souligné. Pour M. Terrab, les opérations novatrices qui pourraient amener les agriculteurs à une utilisation rationnelle et plus productive des engrais et de l'irrigation sont prioritaires, la fertilisation et l'irrigation étant très liées. A cela s'ajoute l'inadéquation entre la nature des terres et des types d'agriculture qui y sont pratiquées. «A mon avis, l'étude à mener d'urgence est de poser la question : quelles cultures pour quelles régions ?», s'insurge Najib Akesbi, agronome et économiste. Il évoque également le déficit en matière de compétences dans le secteur agricole, pointant du doigt le taux d'analphabétisme dans les zones rurales. «Ce n'est pas avec 80% d'analphabètes dans les rangs des agriculteurs que nous arriverons à quelque chose» constate-t-il, avant d'ajouter qu'il faudrait «commencer par éduquer et encadrer professionnellement cette population». Par ailleurs, le budget alloué à la recherche a toujours été faible, ne dépassant guère 0,7% du PIB. Ce pourcentage sera porté dans le cadre du Plan Maroc vert à 1% du PIB agricole à l'horizon 2012. Ainsi, le ministre de l'Agriculture a appelé à «de nouvelles relations de partenariat entre l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et les établissements opérant dans le secteur. Certes, une telle mesure est nécessaire, mais elle demeure insuffisante. La question des compétences que recèle le Maroc a été évoquée par Mustapha Terrab. D'après lui, le Maroc dispose d'une force capitale en ingénieurs et en ressources humaines en général. L'Etat investit fortement dans l'INRA, l'IAV, mais, malheureusement, les lauréats, tous des ingénieurs, se retrouvent à l'étranger alors qu'on a besoin de leur expertise localement. Selon l'OCP, il faudrait entreprendre des actions communes de vulgarisation, de sensibilisation et de recherche. Il prône également de mettre en commun les techniques et les informations propres à dynamiser le marché. Toujours est-il que la modernisation de l'agriculture à haute valeur ajoutée et celle dite de la petite agriculture ne pourra porter ses fruits qu'à une condition : mutualiser les moyens et les efforts, et contractualiser les opérateurs. Une démarche que les concepteurs de la stratégie désignent par le mot clé d'«agrégation». Pour T. Sijilmassi, le modèle de l'agrégation a l'avantage de permettre un accès à la terre sans investissement massif, d'aider les agriculteurs à participer à l'économie de marché et de favoriser le transfert de compétences et de technologies aux agriculteurs. C'est là que réside d'ailleurs l'une des six idées maîtresses de la construction du Maroc vert. Le ministre de tutelle précise que le développement de l'agriculture au Maroc, qu'elle soit petite ou grande, passe inévitablement par la mutualisation des efforts des nombreux acteurs.