Le président algérien Abdelaziz Bouteflika ne trompe plus personne. Même en Algérie, nombreuses sont les voix, dont celles de certains intellectuels, qui s'élèvent pour dénoncer sa tentative de faire diversion en ravivant la tension avec le Maroc. Boualem Sansal, écrivain à succès, est l'un d'eux. Ce dernier était en tournée en Europe pour la promotion de son dernier livre « Gouverner au nom d'Allah » quand nous l'avons contacté. Malgré tout, il n'a pas hésité à répondre à nos questions. Son ras-le-bol se lit à travers chacune de ses réponses. L'Observateur du Maroc. Comment expliqueriez- vous la nouvelle sortie de Bouteflika contre le Maroc ? Boualem Sansal Bouteflika est totalement absent de la scène politique depuis des mois. On dit que c'est son frère Saïd qui gouverne et qui fait tout pour être le successeur du président. La situation en Algérie étant ce qu'elle est, un encéphalogramme plat qui annonce de terribles évolutions, il faut donc constamment détourner l'attention avec ce qui tombe sous la main et l'exploiter à fond pour donner l'impression que le président est debout, vaillant et qu'il défend fièrement les valeurs nationales. L'affaire du drapeau est une bénédiction. Crier au loup en regardant vers le Maroc, ça marche toujours, le réflexe anti-marocain est un automatisme bien rodé que Bouteflika a beaucoup amélioré. On ne sait pourquoi, le Maroc est son cauchemar ? Derrière cette affaire, il n'y a, à mon avis, que ça : On fait du bruit pour dire que le président est vivant et gouverne le pays d'une main de fer et qu'il faut le reconduire en 2014. Nombreux les responsables et observateurs étrangers, américains notamment, qui ont dénoncé cette sortie de Bouteflika… Si les Américains suivent cette affaire de drapeau, ils doivent se marrer comme des fous. Pour eux, c'est une tempête dans un verre vide.Ils ont l'habitude, on brûle leur drapeau partout dans le monde et au quotidien. Mais bon, l'Algérie n'est pas l'Amérique et donc, le petit marocain qui a osé souiller le drapeau algérien mérite qu'on lui tire les oreilles, ces choses ne se font pas chez nous. Pourquoi les intellectuels gardent le silence face à ce qui se passe entre le Maroc et l'Algérie ? Que puis-je vous dire de plus concernant le silence des intellectuels, je passe mon temps à les dénoncer. Dans mon dernier livre « Gouverner au nom d'Allah », j'ai encore tiré sur leur ambulance. On ne les entend jamais, sur rien. Ce n'est pas la petite affaire du drapeau qui va les réveiller. Ils sont peut-être morts, allez savoir. Que peuvent-ils faire pour ramener les politiques à la raison? Rien, ils ne sont pas crédibles, personne n'écoute quelqu'un qui ne parle jamais. Qu'est-ce qui se prépare, selon vous, pour les prochains jours ? Les mois qui suivent vont nous réserver bien des surprises. L'élection présidentielle a démarré sur un scénario qui ne s'est jamais vu dans le monde : Comment élire un mort-vivant en faisant faire la campagne électorale par des doublures et des lièvres ? En vérité, le mort-vivant est déjà élu mais il faut quand même jouer la pièce électorale. BIO EXPRESS Boualem Sansal est un romancier et essayiste algérien qui a reçu de nombreux prix en France et en Allemagne notamment. Sa dernière consécration en date est le Grand Prix de la Francophonie qu'il a reçu en juin dernier. Ses premiers prix, il les a reçus pour son tout premier roman « Le Serment des barbare » publié en 1999 (prix du Premier Roman et prix Tropiques). Il publiera ensuite Poste restante, Dis-moi le paradis, Harraga, le Village de l'Allemand » (grand prix RTLLire 2008) et « Rue Darwin » (prix du Roman arabe). Sensal vient de publier chez Gallimard « Gouverner au nom d'Allah ». Lire aussi: ALGER: TOUT CHANGER POUR QUE RIEN NE BOUGE