A l'occasion de l'Aïd El Kébir, la campagne s'invite chez les citadins, quand ce ne sont pas ces derniers qui s'y rendent pour acquérir leur ovin, voire leur bovin. En tout cas, la fièvre du mouton bat partout son plein et avec elle la fièvre des prix... Reportage. En cette matinée du lundi, le village de Tlat Ghlimine (Oulad Saïd) est animé par une grande activité. Les visiteurs «étrangers» se font nombreux, ils viennent en masse découvrir l'offre locale en ovins. Habitué à ce genre de grands rushs en cette période, Abdelkbir accueille ses clients potentiels en leur montrant ses moutons sans oublier de citer leurs multiples mérites. Les épithètes «smine» (bien gras), «mâalef» (engraissé), «ould laâme» (ne dépasse pas un an), «Tni» (deux ans d'âge), un bon «sardi»... ponctuent le discours marketing de l'éleveur qui se targue d'avoir veillé personnellement à l'élevage de son troupeau. Aidé par ses deux fils, Abdelkbir ne manque pas de séduire quelques acheteurs tandis que les autres hésitaient encore. «Les prix ont flambé par rapport à l'année précédente. J'avais l'habitude d'acheter le mouton de l'aid à Casablanca, mais au bout de quelques tours dans les marchés, j'ai constaté que les prix sont largement hors de ma portée », nous explique Hamid qui est venu aujourd'hui en compagnie de son frère et son père. Encouragés par les prix plus «cléments » de Abdelkbir, ils ont entendu parler de lui à travers leur voisin, un fidèle client de l'éleveur saïdi. D'ailleurs, ce dernier sera à la hauteur de leurs aspirations et leur fera un bon prix pour trois moutons. «A 6500 dhs, ils ont eu de bons moutons. Les mêmes sont vendus à plus de 3000 dhs la tête à Casablanca», nous explique Abdelkbir avec un certain regret en caressant du regard sa « marchandise de qualité» comme il la qualifie. Une affirmation qu'un simple tour dans les différents quartiers de la métropole confirme. Dans ce grand garage à Belvédère, les moutons proposés impressionnent déjà par leur taille. «Ce sont de bons « srada » de Beni M'skine, le meilleur du marché et ils sont tous engraissés à l'orge et au bon fourrage... » nous explique fièrement le commerçant meskini. Louant le garage au prix fort (il ne souhaite pas en dire plus), Saïd préfère pourtant ce quartier pour son pouvoir d'achat relativement important. Un investissement que le commerçant compte rentabiliser en proposant des prix «chers allant de 3500 à 4500 dhs», commente Tarik, jeune fonctionnaire. S'avouant surpris par la grande hausse des prix de cette année, il se contente de contempler les beaux moutons en espérant que le marché s'apaise juste avant la fête. Même stratégie pour Touria, retraitée : «A quelques jours de l'Aid, je n'ai pas encore trouvé le mouton qui correspond à mon budget. Cette année les prix sont très élevés. Espérons que, dans les jours à venir, les prix baisseront sinon on risque d'acheter à des prix jamais vus», s'inquiète cette mère de famille tandis qu'elle vérifie du regard les moutons proposés dans ce petit garage à Hay Mohammadi. Des propos qui poussent Mohamed, cet éleveur venu de M'dakra, à réagir quant au rapport qualité prix qu'il estime très convenable. «Les moutons de bonne qualité ont toujours coûté plus chers. Le Sardi, qui est très demandé, en est le bon exemple. Pour le reste, les prix restent abordables même s'ils sont un peu plus chers que l'année dernière à cause notamment de l'augmentation des prix des aliments de bétail », argumente l'éleveur. Par un «peu plus chers», Mohamed veut dire des prix qui ont enregistré une hausse de 10 à 20% par rapport à ceux pratiqués lors de l'aid Adha 2012. Une augmentation logique que le ministère de l'agriculture explique par la hausse des prix de l'alimentation du cheptel et du fourrage qui a atteint 20% cette année. Pour Youssef, cadre dans une société privée, le mouton qu'il a l'habitude d'acheter entre 2000 et 2200 dhs est passé cette année à la catégorie «haut de gamme» en coûtant plus de 3000 dhs. «Du coup, je vais me rabattre pour le première fois sur les moutons vendus au Kilo. J'ai fait mon petit calcul et je trouve que c'est une meilleure affaire», rajoute ce jeune père venu accompagné de sa femme et ses deux fils à Marjane. Affichant les tarifs sur de grosses pancartes, l'hyper marché sis Bd Mohamed VI, redouble d'efforts pour attirer de futurs acheteurs. « A 51 dhs le kilo pour le « sardi de Beni M'skine » et 45 dhs le kilo pour le « bergui », le choix reste assez large pour les clients : petits, moyens et grands... c'est chacun sa bourse», argumente ce vendeur en insistant sur la qualité du cheptel proposé. Malgré sa forte portée religieuse et sociale, Aid Al Adha est devenu ces dernières années, une véritable source de soucis pour de nombreux foyers marocains. Entre les charges quotidiennes de plus en plus lourdes, les dépenses importantes de la rentrée scolaire précédée par les vacances d'été et le mois sacré du ramadan, le citoyen lambda se retrouve souvent dépassé par les événements. Si d'après le ministère de l'agriculture, l'offre en ovins reste amplement plus importante que la demande avec ses 8,3 millions de tête, les prix n'en demeurent que plus chers. Un sacré contraste que seul le marché peut réguler dans les jours à venir…