La sortie d'Ali Akbar Nateq Nouri, le responsable du bureau d'Ali Khamenei, le guide suprême iranien, qualifiant l'Emirat de Bahreïn de «14e province iranienne» ne pouvait que faire scandale dans une région où les pays sunnites redoutent la montée en puissance de l'Iran chiite. Si tous les pays arabes ont resserré les rangs autour de l'Emirat, le Maroc a provoqué la surprise en allant plus loin que Bahreïn lui-même. Rabat a en effet rompu ses relations diplomatiques avec l'Iran à la suite de cet incident, où Téhéran a d'ailleurs fini par reculer. La tension Bahreïn-Téhéran apaisée, c'est avec le Maroc que les choses se sont envenimées après que l'Iran s'en soit pris seulement au soutien de Rabat à Bahreïn. Cette escalade est difficile à comprendre quand les relations entre la République islamique et Rabat sont plutôt bonnes. Même si le Maroc, qui entretenait des liens étroits avec l'Iran du Chah, a normalisé ses relations avec Téhéran à la fin des années 1990, l'Iran est aujourd'hui l'un des principaux importateurs du phosphate marocain. Les Iraniens semblent par ailleurs être restés éloignés du conflit du Sahara Occidental. Au cours de sa première visite d'Etat en Algérie en août 2008, le président iranien a loué les bons rapports avec Alger et évoqué l'idée de la création d'une Opep du gaz, projet soutenu aussi par la Russie et le Venezuela. De même, la coopération économique entre Alger et Téhéran s'est-elle beaucoup renforcée depuis deux ou trois ans. Pour autant, Ahmadinejad ne paraît pas s'être engagé sur la question du Sahara Occidental ou du soutien au Polisario. Une crise qui dépasse Bahreïn Tout indique donc que le fond de l'affaire réside plutôt dans le prosélytisme politique et religieux iranien. Le communiqué officiel marocain évoque d'ailleurs une tentative de l'Iran de menacer par un «activisme avéré ( ) l'unicité du culte musulman et du rite malékite sunnite dont est garant le roi Mohammed VI». Une manière de signifier que le courant chiite et la volonté de Téhéran d'agir à travers ses centres culturels et ses différents bureaux au Maroc sont perçus comme une menace dans la mesure où ils concurrencent le rite sunnite malékite pratiqué depuis toujours par le royaume chérifien. La volonté de l'Iran de Mahmoud Ahmadinejad d'être reconnu par la communauté internationale comme un acteur incontournable sans lequel rien n'est possible au Proche et au Moyen-Orient, et surtout pas la paix, ne fait qu'aggraver ces soupçons. Surtout quand à un mois d'intervalle, fin 2008, le guide Ali Khamenei et le président Ahmadinejad se sont félicités que l'Iran soit «aujourd'hui la plus grande puissance dans la région». Ce discours, à quelques mois d'une élection présidentielle où Ahmadinejad est candidat, vise certes à galvaniser une population iranienne aux prises avec d'inextricables difficultés économiques, encore aggravées par la chute du prix des hydrocarbures. De même, le bras de fer avec les Occidentaux sur le nucléaire permet-il au très radical chef de l'Etat iranien d'être devenu un héros dans le monde arabo-musulman en se présentant comme le «seul capable de tenir tête aux sionistes et aux Américains». L'utilisation du conflit israélo-palestinien Cette popularité inquiète d'autant plus les pays de la région qu'Ahmadinejad se veut aussi le champion du soutien au Hamas palestinien et au Hezbollah libanais, posture par laquelle il entend signifier que les pays arabes «roulent pour Israël». Un échange cinglant entre Téhéran et Rabat montre d'ailleurs combien cette question est sensible dans un Maroc dont le roi est commandeur des croyants et préside le Comité Al Qods. Alors que Téhéran critiquait, pendant la crise sur Bahreïn, l'absence de Rabat à sa conférence de soutien à la Palestine, le Maroc a riposté qu'il n'avait «aucune leçon à recevoir sur ces questions, étant toujours au premier rang des défenseurs de la Oumma islamique et de la question palestinienne dont l'Iran ne peut en aucun cas se considérer le seul porte-parole». On le voit, la crise diplomatique entre l'Iran et le Maroc dépasse de loin l'affaire de Bahreïn. Elle touche à la volonté d'un Iran d'apparaître aux yeux de la nouvelle administration américaine comme un interlocuteur incontournable afin d'obliger Barack Obama à négocier avec lui, y compris sur le nucléaire. Cette ambition passe par la volonté d'utiliser le conflit israélo-palestinien pour déstabiliser les pays arabes et les placer en porte à faux face à leurs opinions publiques chauffées à blanc par leur impuissance à défendre les Palestiniens. Elle semble aussi passer par la délégitimation religieuse et politique de ces Etats.