La salle était comble en cette fin d'après-midi du mois de janvier au siège d'une des plus grandes banques du royaume. L'événement est de taille. Pour son cycle de conférences, l'institution financière a choisi un hôte de grande envergure, Noureddine Bensouda, directeur général des impôts, venu présenter les grandes lignes de la loi de finances pour l'année 2009. L'assistance était à l'image de l'occasion (première sortie officielle de ce super fonctionnaire du ministère des Finances après l'entrée en vigueur de la loi de finances) : prestigieuse. Patrons d'entreprises, représentants de divers organes de presse, experts comptables, financiers . tous sont venus écouter l'argumentaire de celui que d'aucuns considèrent comme étant le haut commis de l'Etat le plus respecté (et le plus craint) de la sphère économique nationale. «Au Maroc, on ne blague jamais avec le fisc », fait remarquer ce patron, non sans malice. Et il ne croit pas si bien dire. Comme sous d'autres cieux, le poste est sujet aux fantasmes des uns et des autres. Camarade de classe de Mohammed VI tout au long de ses années de scolarité, c'est pourtant le défunt souverain Hassan II qui remarque ce jeune juriste (il a obtenu son doctorat en droit public en 2001). Quelques mois avant sa disparition, en février 1999 plus exactement, Hassan II nomme ce trentenaire à l'expression pourtant sévère et au regard perçant à l'un des postes les plus stratégiques et les plus capitaux pour la bonne marche des finances publiques. «Le profil de ce jeune fonctionnaire qui a toujours évolué au sein du ministère des Finances a beaucoup plu à Hassan II ; sa proximité avec le prince héritier de l'époque faisait de lui un homme de confiance», explique cette source interne au sein de la direction des impôts. Les consignes de feu Hassan II étaient claires. Il s'agissait de trouver un moyen pérenne pour renflouer les caisses de l'Etat. Et le directeur des impôts n'y est pas allé de main molle. «L'une des premières décisions qu'il a prise après sa nomination est de mener des vérifications très poussées des entreprises royales, ONA en tête », explique cet expert comptable. Et d'ajouter que c'était là un signal fort donné à la communauté des affaires pour dire que l'état de grâce est terminé, et que désormais, plus personne n'est au-dessus de la loi... Fiscale, cela s'entend. Ces premières années de l'exercice de Bensouda sont aussi marquées par un climat fiscal empreint de clémence et de volonté gouvernementale d'assainir les finances publiques. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, l'argentier du royaume n'était autre que le socialiste Fathallah Ouallou, qui a prôné et mené jusqu'au bout une politique d'amnistie fiscale, invitant les patrons des entreprises privées à «payer pour acheter la paix avec le fisc». Bensouda accompagne la mise en application de toute cette mesure, mais n'en reste pas là. A ses yeux, l'un des maux qui rongent le système fiscal dans notre pays est la fraude fiscale, qui pousse 60% des entreprises nationales à annoncer des résultats déficitaires. Face aux tricheurs, Noureddine Bensouda est ferme. «De tels comportements sont inacceptables», ne cesse-t-il de répéter à chacune de ses sorties médiatiques qui sont, signalons-le, très rares et très filtrées. Pour augmenter les recettes fiscales, Bensouda est parti à une autre chasse, celle des exonérations, et ce sans remettre en cause la fragile équation incitations fiscales-investissement et croissance. Les promoteurs immobiliers en savent quelque chose. Autres aspects de la réforme : l'harmonisation de la TVA et de l'impôt sur le revenu (IR). Noureddine Bensouda veut leur consacrer tout l'intérêt qu'ils méritent pour leur importance et leur poids dans l'économie nationale. Son deuxième cheval de bataille est la mise à niveau juridique de l'ensemble des lois qui régissent le secteur. Ainsi, il met en place le nouveau Code général des impôts avec l'adoption du livre d'assiette et de recouvrement en 2006, cinq années après sa nomination. L'autre étape, tout aussi fondamentale dans ce processus, est l'évaluation des régimes dérogatoires. Ainsi, un rapport sur les dépenses fiscales, annexé à la loi des finances pour l'année 2006, a été présenté pour la première fois au Parlement, la même année. Mais la plus grande révolution qu'on pourrait mettre à l'actif de Noureddine Bensouda s'est produite en interne. Si personne n'avait compris au début la finalité de sa nomination à la tête de la direction des impôts, les fonctionnaires du fisc se sont vite rendu compte que la méthode de travailler allait changer. Progressivement, le fisc change de visage pour s'imposer comme une machine à augmenter les recettes. Pour mettre fin à cette grande tentation à laquelle sont sujets ses contrôleurs, il met sur pied un régime de primes de rendement calculées sur la base de la recette perçue. Sur ce point, les opérateurs économiques, y compris ceux qui ont souffert de l'acharnement du fisc, reconnaissent la compétence du directeur général des impôts. Mais sont divisés sur la pertinence des méthodes utilisées. Ses méthodes brutales n'épargnent personne et sont même assimilées à des armes de règlements de comptes politiques. Pour ce faire, Bensouda bénéficie d'un soutien infaillible : le Roi, son compagnon de classe pendant sept ans. Et malgré son sérieux et son impitoyable logique de résultat, ce quadra n'a pas perdu son sens de l'humour. Lors de sa dernière conférence casablancaise, il s'est même permis une petite blague en parlant de la carte régionale des revenus de l'Etat. Interrogé par des journalistes lors d'une conférence sur les mesures fiscales de 2009, Bensouda a catégoriquement refusé d'en parler. «Si je vous donne cette carte, je n'ai qu'à démissionner !», a-t-il répondu, un sourire narquois aux lèvres. Ce n'est pas pour rien qu'il est gardien du temple des recettes fiscales