Monsieur Abbas El-Fassi a été donc reconduit en qualité de secrétaire général du Parti de l'Istiqlal, à l'issue du XVe congrès de cette organisation nationaliste, fondée pendant la Seconde Guerre mondiale. Au préalable, il aura été procédé à un remaniement mineur dans un article des statuts qui disposait, depuis quelque temps, que le premier responsable du parti ne pouvait effectuer plus de deux mandats consécutifs. Un rectificatif mineur, ou plutôt un rajout qui permet que la seule possibilité de prolongement ne pourrait qu'être exceptionnelle dans l'éventualité de la désignation du secrétaire général à la Primature. C'est postuler qu'il n'était pas impossible que l'actuel Premier ministre puisse être désigné une nouvelle fois. Ou dans le cas d'un autre istiqlalien, bien sûr. Reste que dans une pure logique politique, il paraissait que le départ de monsieur Abbas El-Fassi de la direction du Parti était inimaginable, alors qu'il occupait, depuis quelque quinze mois, la Primature au lendemain des élections législatives de septembre 2007, qu'il a remportées, en quelque sorte, son parti y ayant occupé le premier rang des élus. Toute la classe politique éclairée n'avait pas hésité à applaudir la décision du Roi d'avoir procédé, de cette manière orthodoxe, à la mise en place du gouvernement. Le Souverain respectait par là l'esprit de la démocratie moderne et prenait modèle sur les pratiques constitutionnelles des ailleurs aux murs respectueuses des normes dictées par les urnes. L'actuel locataire de la Primature ne rejoindra pas ainsi l'aréopage (présidium) institué par le Parti, après le départ de monsieur M'hamed Boucetta de la direction, et réunissant une brochette de vieux caciques et de cadors retraités, baptisés selon la vieille terminologie datant des années quarante du siècle dernier : les moujahidines. S'il fallait que je donne absolument mon sentiment sur les événements qui ont marqué les dernières péripéties autour de cette affaire, je dirais qu'il me paraît naturel - et nécessaire - qu'il y ait reconduction du mandat pour la troisième fois. Comment, en effet, pouvait-il être possible que le Premier ministre puisse continuer à disposer, dans l'exercice de sa mission, d'une quelconque autorité au sein de l'Etat, sur ses ministres, sur la haute administration ou au sein de la coalition dite la «Koutla», face aux parlementaires (représentants et conseillers), s'il n'occupait plus le rang de numéro un, de patron dans son propre parti. Il n'aurait pas suffi qu'il soit un quelconque primus inter pares, auquel le roi lui-même ne se serait adressé sur le même ton. Ceci est d'autant plus sûr que, curieusement, monsieur Abbas El Fassi n'a eu droit, déjà avant qu'il n'ait été désigné, qu'à un flot de critiques émanant de partout. De chez les politiques, les observateurs ainsi que de chez les journalistes bien sûr - comme plus implicitement et de façon plus retenue de la part de beaucoup des décisionnaires véritables, les gouvernants réels. La rumeur le disqualifiait dès l'abord, essayant de faire pression sur le roi pour essayer de le dissuader de porter son choix sur le patron de l'Istiqlal et pour l'inciter à regarder ailleurs. Mais vers qui ? Une autre personnalité dite politique, technocrate ou indépendante ? On avançait à la fois, pour conforter ces efforts, des arguments divers et différents : l'affaire Najat, l'âge du capitaine, son népotisme supposé, la débilité de sa santé et jusqu'à la consonance de son patronyme même, à la connotation trop manifestement relevant d'une généalogie et d'une ville, Fès On ne se cantonnait pas à cette récusion en règle à l'endroit de celui qui, aujourd'hui, devient, à l'unanimité, pour la troisième fois, le secrétaire général du vieux parti nationaliste - pour quatre années encore, c'est-à-dire jusqu'à l'horizon 2012. Au nom d'un jeunisme simpliste et nébuleux, on proposait les noms de quadragénaires istiqlaliens, hommes sérieux qui, par ailleurs n'ont pas démérité dans leur action dans le gouvernement précédent. Il fallait, répétaient ces conseilleurs d'occasion, que le Premier ministre soit en phase avec le jeune roi de l'ère nouvelle, décennale, des hommes et des femmes de la même génération. Aucun des politologues auto-proclamés n'a pensé, selon cette logique primaire, à proposer la candidature d'un «ancien», genre monsieur M'hamed Boucetta ou son alter ego monsieur M'hamed Douiri On aurait peut-être mieux compris. Quant à la proximité avec le chef de l'Etat, le roi alaouite Mohammed VI, monsieur Abbas El Fassi en a toujours fait un postulat et une constante. Ne répond-t-il pas, à ceux qui lui demandaient des précisions sur son programme, qu'il était exactement et scrupuleusement celui proposé par le monarque. Et puis, il exhibe un téléphone portable rouge, bloqué sur le seul numéro royal, en relation constante et en permanence avec celui-ci. Je ne connais qu'un seul journal, «Aujourd'hui Le Maroc» qui, sous la plume de notre confrère Khalil Hachimi-Drissi, qui s'est étonné une fois qu'on ne laisse pas le temps au chef de file istiqlalien de faire ses preuves, avant que de le juger à l'aune de son action sur un terme suffisant. Je reste, quant à moi, perplexe devant cet implacable ostracisme, qui ne donne pratiquement aucune chance à celui qui occupe, pour le moment, une aile au Palais royal, contiguë aux locaux affectées au Cabinet royal. Mon intention, pourtant, n'est pas de défendre une personnalité, dont l'envergure et le rayonnement sont ce qu'elles sont, nonobstant tous ses détracteurs devenus, malgré tout, réduits, au moins dans le Parti lui-même, puisque c'est tous ensemble comme un seul homme que les militants délégués au XVe congrès ont porté le candidat unique Abbas El Fassi à la responsabilité suprême, après que son challenger-contradicteur principal, mocharde khalifat, unique lui aussi, se soit retiré de la compétition. Qu'en est-il sorti de cette conclusion finale et heureuse pour l'actuel chef du gouvernement marocain ? Que le Parti de l'Istiqlal, au passé prestigieux et patriote- c'est lui qui a apporté l'indépendance au Royaume face aux colonialismes français et espagnol - serait un mouvement réformiste. Peu de changement sur ce chapitre croyons-nous. Il l'a été hier, il l'est aujourd'hui et il le sera sûrement et résolument demain. Ce réformisme, sûrement sincère, n'est cependant pas très clair ni aussi résolu que veut bien l'affirmer la tête du parti de Bab El Had à Rabat. Bien sûr, il ne faut pas s'attendre à le voir rallier, par exemple, les tenants de «la monarchie parlementaire» ou même prôner une refonte de la Constitution dans un sens normal de rééquilibrage des pouvoirs. Sur ce plan, ce parti restera sûrement immuablement conservateur. Il y aura certainement, dans le proche avenir, l'annonce de quelques timides propositions d'ordre cosmétique dans les domaines social et économique, sans pouvoir oser aller au-delà. La marge de manuvre du Parti de l'Istiqlal restera fort mince, ne serait-ce que par le fait que monsieur Abbas El-Fassi s'arc-boute de toutes ses forces pour essayer de durer et de ne pas se faire remercier, au moins avant l'échéance électorale législative prochaine. Il ne faut pas s'attirer, de n'importe quelle manière l'ire royale Aller jusqu'au bout absolument (et entièrement) de son quinquennat. Dans très peu de mois, au mois de juin prochain, il ne pourra pourtant pas esquiver l'examen qui consistera à affronter les élections locales, professionnelles et autres. Ce sera un test, ou une épreuve. C'est selon. Elles consisteront à mesurer la popularité de la mouvance héritée du leader charismatique Allal El Fassi. On aura le loisir alors de voir venir.