Réhabilitation Cela fait deux ans déjà que les trieurs informels de la décharge d'Akreuch travaillent dans le centre de tri de déchets situé à Oum Azza, à quelques kilomètres de cette même décharge. Assurance, protection sociale et salaire mensuel fixe, les nouveaux ouvriers trieurs ont aujourd'hui définitivement tourné la page du passé. Reportage. Le 22 mars 2013. Sous un ciel pluvieux, la décharge d'Akreuch n'est plus ce qu'elle était depuis que le centre d'enfouissement technique d'Oum Azza a vu le jour. Verdures à perte de vue, champs de blés, de marguerites et de coquelicots à en perdre le souffle, le paysage de cette commune située à 30km de Rabat et à 5km d'Akreuch est splendide et particulièrement apaisant. Pas un bruit, sauf celui des rares voitures qui passent et qui profitent de la beauté de ce domaine agricole de plus de 3000 hectares. C'est en s'approchant du centre, que l'on se rend compte qu'il traite des déchets. D'où l'odeur nauséabonde qui émane de cette structure. Depuis juin 2011, le Groupe Pizzorno environnement, par le biais de sa filiale Segedema, a ouvert le centre de tri mécanisé de déchets d'Oum Azza où travaillent les anciens trieurs informels de la décharge d'Akreuch. La société a été déclarée adjudicataire d'un appel d'offres qui avait été lancé par la Wilaya de Rabat-Salé-Zemmour-Zaers. La fermeture du site d'Akreuch est intervenue à la fin de l'année 2007. A ce site aujourd'hui saturé se substitue le site d'Oum Azza, qui reçoit les déchets des villes de Rabat, Salé et Témara et qui permet de séparer les déchets organiques des déchets solides avec un tri matière. Pizzorno a ainsi établi l'intégration professionnelle des récupérateurs informels sur le nouveau centre de tri et a contribué à l'amélioration de leurs conditions de travail et de vie. «Le triage des déchets sur l'ancienne décharge d'Akreuch était extrêmement pénible et menaçait directement la vie et la santé d'environ 150 trieurs informels qui travaillaient jour et nuit sur des collines de déchets sans se soucier des aléas climatiques ou des dangers potentiels émanant des camions à ordures ou des déchets eux-mêmes. Face à ce problème et avec la fermeture du site d'Akreuch, la société exploitante, Teodem a décidé leur intégration dans un cadre organisé visant l'amélioration de leurs conditions de travail et de vie. Pour ce faire, une convention a été signée le 29 mai 2007, entre Teodem et l'autorité de tutelle des communes signataires de la convention de gestion déléguée pour la construction, et l'exploitation d'un centre de tri », explique Gérard Prenant, directeur général de Pizzorno Maroc. Une chance pour toutes ces personnes que la société stigmatisait en ne voyant en elles que des « bouâra » ou des « mikhala » et qui ont pu intégrer un cadre professionnel leur garantissant une véritable stabilité sociale. « Ne m'appelez plus Mikhali !» Ils étaient plus de 150 trieurs de déchets à travailler d'une manière informelle dans la décharge d'Akreuch. Aujourd'hui, ces hommes, femmes et enfants qui triaient les déchets jour et nuit à Akreuch vivent une nouvelle vie qui leur fait oublier leur passé si douloureux. « C'est la loi du plus fort qui régnait. Le fort écrasait le faible sans que personne ne puisse réagir. On travaillait dans des conditions lamentables sans aucune assurance ni protection sociale. Le pire c'est qu'aux yeux des gens, Akreuch a toujours été un nid de criminels et de malfrats. La société nous a toujours collé cette étiquette dont on a du mal à se débarrasser. Si on était de vrais criminels, aurions-nous pu nous intégrer dans un établissement pareil ? Aujourd'hui, on a prouvé à tout le monde que nous sommes capables d'être stables sur le plan professionnel même si l'on n'est pas cultivé. Il faut que la société comprenne bien que si l'on voulait voler ou gagnger notre vie d'une manière malpropre, on aurait jamais pensé à travailler dans la décharge », confie Yassine Mallout, ex-trieur informel à la décharge d'Akreuch et aujourd'hui président de la coopérative Tawafouk des ouvriers trieurs du centre Oum Azza. Créée le 3 janvier 2010 et agréée le 19 juillet 2010 par l'Office de développement de la coopération, cette coopérative réunit 167 adhérents (27 trieurs sont en liste d'attente). Les membres du conseil d'administration sont choisis parmi ces 167 membres. Pour donner corps à cette coopérative, chaque adhérent a apporté 100 dirhams, soit un capital global de 16.700 dirhams entièrement libérés dès la création. Pour le jeune Yassine, il n'a pas été simple de lâcher l'informel et de créer la coopérative. « Je m'étais disputé avec l'un des plus grands grossistes de la décharge d'Akreuch. Je l'ai frappé et j'ai même fait de la prison à cause de cet incident. Il voulait à tout prix nous stopper. Par chance, il s'est avéré qu'il avait trafiqué le certificat médical qu'il avait présenté au tribunal pour justifier le PV qu'il a déposé contre moi. Finalement, je m'en suis sorti et c'est lui qui est toujours derrière les barreaux », se félicite le jeune homme. Aujourd'hui, l'objectif de la coopérative est d'améliorer les conditions de travail et de vie des trieurs, de reconnaitre l'activité de tri, de valoriser les déchets par le réemploi et le recyclage, de participer à la préservation de l'environnement et de diminuer le volume de déchets à enfouir. « Après notre intégration, on nous appelle plus «Mikhali» (ndlr, synonyme encore plus dévalorisant de chiffonnier) mais plutôt ouvrier trieur », ajoute-t-il. De la protection et de l'ambition Pour Gérard Prenant, l'exemple du site d'Oum Azza fait du Maroc un pays des plus avancés dans les solutions globales dans le traitement des déchets. Dès leur entrée dans la décharge, les déchets sont orientés vers un centre de tri mécanisé (le seul au Maroc), la partie organique est sortie afin de faire du compost, les matières valorisables sont récupérées et les déchets ultimes vont être réorientés en combustible de substitution pour les cimenteries. Ce n'est pas pour rien que le site d'Oum Azza ne sera pas le dernier du genre dans le pays. 140 trieurs travaillent au centre dont la capacité est déjà dépassée. 86% sont des hommes, 46% ont moins de 20 ans, 40% ont suivi une scolarité jusqu'au primaire, 32% n'ont jamais été scolarisés, 49% sont célibataires, 49% sont mariés, 53% ont des enfants à charge et 89% se déclarent chefs de famille. Tous ont leur assurance, sont inscrits à la CNSS et touchent 2500 dirhams par mois. « Lorsqu'ils travaillaient dans l'informel, ils touchaient nettement mieux. Parfois, ils pouvaient gagner 4 fois leur salaire actuel. Certains touchaient 300 dirhams par jour. Le plus faible gagnait 100 dirhams par jour. Sauf qu'il n'y avait ni assurance ni protection sociale », précise Abdelkader Ouaâbib, contrôleur général du site d'Oum Azza. Il ajoute toutefois que le seul problème qui persiste est celui des retards des salaires. « Cela dépend de plusieurs critères comme la variation de prix des matières triées, les dysfonctionnements de la chaine de tri en général provoquant des retards de fonctionnement ou encore la diminution des prix des matériaux. De toutes les façons, avoir un revenu mensuel stable reste mieux bien qu'il soit inférieur aux sommes gagnées dans l'informel », insiste-t-il. C'est ainsi que les ouvriers trieurs d'Oum Azza n'hésitent pas à ouvrir des comptes bancaires pour y déposer leur argent. Un autre avantage qu'ils ne pouvaient se permettre lorsqu'ils étaient dans l'informel. Leur chance, ils l'ont saisie et ne comptent pas la lâcher pour rien au monde. « Je ne remercierai jamais assez Yassine pour son aide. C'est grâce à lui que j'ai intégré la coopérative Tawafouk. Je suis veuve et mère de deux enfants dont je suis la seule responsable. Hamdoullah je vis bien aujourd'hui. Je gagne de l'argent halal d'un boulot décent et j'en remercie Dieu jour et nuit. Je n'ai aucun mal à travailler dans les déchets. C'est comme tous les boulots ! », témoigne Hnia Laâouini, trieuse de déchets au site d'Oum Azza. Elle ajoute qu'à l'instar de ses collègues, elle peut parfois trouver de bons habits pour ses enfants. « On trouve parfois des pièces presque neuves ! », se réjouit-elle, tout sourire. La plupart des 27 trieuses de déchets qui travaillent dans le site sont des chefs de familles. Ce sont elles qui prennent donc en charge les dépenses du ménage. Pour Abdellatif A., trésorier de la coopérative et père de deux enfants, le centre d'Oum Azza a sauvé plusieurs foyers de la déchéance. « On travaillait chaque jour sans aucune vision de l'avenir. Aujourd'hui, nous sommes enfin capables d'avoir des ambitions et de voir loin. C'est notre droit », explique-t-il. Pour l'organisation du travail, les trieurs sont répartis en quatre groupes. Chaque groupe se charge de trier une matière précise. Après le tri, une réunion mensuelle est organisée pour choisir le client dont l'offre est la plus intéressante. L'argent des déchets Entre plastique, fer blanc, verre, et cuivre, les matières récupérées diffèrent chaque jour. Les prix aussi. Les quantités et la valeur des matières trouvées sont aussi des critères décisifs. Le plastique est le plus abondant. Les trieurs estiment à quatre tonnes la quantité globale amassée chaque jour en cette matière, ce qui représente 33% du revenu de la coopérative. «Lorsque le prix du plastique baisse, nos revenus sont automatiquement touchés. Par exemple, en 2011, on vendait la tonne à 2.700 dirhams. Aujourd'hui, on ne la vend qu'à 1.400», regrette Yassine Mallout. Pour le fer blanc, appelé communément « Lkazam (ndlr, le nain)» par les trieurs, sa quantité peut facilement atteindre 320 tonnes par mois, vendue à 1.650 dirhams. Le PHD (le plastique des bassins à linge), appelé communément « Lboudiza (ndlr, bouteille) » se vend, lui, entre 2.400 et 2.500 dirhams. Son prix peut même atteindre 3.500 dirhams. Les bouteilles de verres sont vendues à 50 centimes l'unité, le verre brisé à 700 dirhams la tonne, les canettes peuvent atteindre les 9.000 dirhams parce qu'elles contiennent de l'aluminium... Les bouteilles des déodorants sont également vendues au même prix à condition de les débarrasser de toute pièce de fer. D'ailleurs, un vieux monsieur ne se charge que de cela dans le site d'Oum Azza. A l'aide d'un coutelas, il enlève la « tête » de chaque bouteille jusqu'à ce qu'il finisse toute la quantité. Par ailleurs, les câbles de cuivre étaient très prisés. Mais, aujourd'hui, la demande a changé à cause, semble-t-il, des chinois. « Ces derniers nous ont massacrés. Ils mettent désormais du fer à la place du cuivre et ça se vend moins et ça rapporte moins aussi », se désole Abdelkader Ouaâbib. Mais la meilleure découverte reste celle des clichés des radiographies qui sont tellement sollicités et dont le prix peut atteindre les 10.000 dirhams la tonne. « Ils contiennent de l'aluminium et sont en voie de disparition puisqu'il y a de plus en plus de numérique dans les cliniques », ajoute notre interlocuteur, très averti. De son côté, Yassine Mallout souligne que l'eau des déchets est traitée et sert, en fin de parcours, à l'irrigation. « On met le concentré de ces eaux dans des bassins et on produit plus de 500m3 d'eau par jour », se félicite le président de la coopérative. C'est clair que le centre d'Oum Azza est un cas d'école.